^=CN 1 s^oO 1 /vl 1 ■1 y T— 1 ^=co L'ARMÉE ALLEMANDE A LOUVAIN E T LE LIVRE BLANC ALLEMAND L'Armée Allemande à Louvain EN AOUT 1914 et le Livre Blanc Allemand DU jo MAI J9i5 DEUX MEMOIRES PUBLIÉS PAR LES SOINS DU GOUVERNEMENT BELGE I Jj i> 0 I 0 PORT-V1LLEZ (Seine et Oise, France) Armée Belge. — Imprimerie de l'Institut Militaire des Invalides et Orphelins de la Guerre. ÉDITEUR 1917 w»« AVERTISSEMENT De jour en jour s'accroît le nombre des documents publiés sur la conduite des troupes allemandes à Louvain en août 1914. Que de témoignages, pourtant, n'ont encore pu arriver à la lumière de la publicité ! On a déjà tant écrit sur la destruction partielle de la vieille cité brabançonne, sur l'incendie de la bibliothèque de l'Université et de la Collégiale de Saint-Pierre, sur le massacre d'hommes et de femmes, de vieillards et d'enfants, sur la déportation de paisibles habitants, sur la légende des francs-tireurs, que l'intérêt du sujet semble parfois épuisé. Néanmoins, les relations qu'on va lire sont si vivantes et offrent en même temps de si sérieuses garanties d'exactitude, qu'il importait de les publier. Elles représentent ce qui a été écrit de plus complet, jusqu'aujourd'hui, sur le drame atroce de Louvain, sur ses causes et sur les responsabilités qui en incombent à l'armée alle- mande et, tout particulièrement, à ses dirigeants. Les auteurs des deux mémoires sont connus du Gouvernement belge. PREMIER MEMOIRE AYANT-PROPOS La tragédie de Louvain constitue un des épisodes les plus tristement célèbres de la légende des francs-tireurs belges. Les 25 août et jours suivants, l'armée allemande, sur l'ordre de ses chefs, a procédé au sac de la ville : elle a incendié la collégiale Saint-Pierre, les Halles et la bibliothèque universitaire, le palais de justice, le théâtre, l'école commerciale et consulaire de l'Université, l'Académie des Beaux-Arts et au-delà de 2,000 maisons privées (1); elle a mis à mort plus de 200 civils (2); elle a fait plusieurs milliers de prisonniers; elle en a déporté en Allemagne environ six cents, parmi lesquels une centaine de femmes et d'enfants; et, enfin, pour clore la série de ses méfaits, elle a chassé de ses foyers toute la population louvaniste, abandonnant au pillage ce qui restait de la vieille cité brabançonne. Pour paraître justifier de telles horreurs, les Allemands ont inventé de toutes pièces un conte digne du plus fantaisiste des romans. D'après leurs dires, la guerre des francs-tireurs aurait revêtu à Louvain un caractère particulier : ce ne seraient pas ici quelques bourgeois isolés qui auraient fait le coup de feu contre les premiers soldats qu'ils auraient aperçus, mais c'est la population toute entière, qui, après huit jours d'occupation, — et l'on connaît toute la rigueur de l'occupation allemande! — aurait, d'accord avec le haut commande- ment de l'armée belge, réalisé une véritable opération stratégique : les Louvanistes devaient exterminer la garnison de Louvain et prendre à revers les troupes allemandes en lutte, à quelques kilomètres au N. O. de la ville, avec des divisions belges sorties d'Anvers. Voilà le thème principal sur lequel l'imagination des journalistes et des littérateurs allemands a brodé les récits les plus extravagants et aussi les plus contra- dictoires. Il suffirait, pour faire éclater la fausseté de la thèse allemande, de juxtaposer, sans un seul mot de commentaire, les relations des événements telles qu'elles ont été publiées par des témoins soi-disant oculaires dans les journaux d'outre-Rhin et les brochures de propagande dont on a inondé les pays neutres. Ce travail nous avait d'abord séduit; si nous ne l'avons pas mis à exécution, c'est parce que nous avons appris que le gouvernement impérial avait ordonné une enquête sur les événements de Louvain. Pour répondre aux mensonges de nos ennemis, nous avons préféré attendre le résultat de cette enquête afin de n'avoir à discuter que des documents officiels, irrécusables, plutôt que des articles de journaux ou des brochures sans valeur qu'un gouvernement peut toujours désavouer, même après les avoir secrètement provoqués. Oh, certes, les conclusions de la commission d'enquête, nous les connaissions d'avance. L'Alle- magne officielle ne s'était-elle déjà pas prononcée ? Dans un manifeste qui couvrira à jamais de honte et de ridicule le pédantisme de la science allemande, 93 pontifes universitaires n'avaient-ils pas solennellement déclaré que Louvain avait été justement puni ? L'empereur lui-même, dans un télégramme au président Wilson, n'avait-il pas couvert de sa haute et impériale protection les excès de ses troupes à Louvain ? On conçoit qu'après de telles affirmations, la cause des Louvanistes était entendue. Mais si le jugement était rendu d'avance, quels allaient en être les considérants officiels? Par quels mensonges établirait-on la révolte des Louvanistes? Comment prouverait-on les atrocités auxquelles ils s'étaient livrés sur les soldats allemands ? Autant de questions auxquelles nous attendions impatiemment une réponse. Notre curiosité est aujourd'hui satisfaite : les résultats de l'enquête organisée par le gouvernement impérial au sujet de la guerre des francs-tireurs en Belgique ont été publiés par les soins du ministère des affaires étrangères d'Allemagne dans un Livre Blanc, intitulé : « Die voelkerrechtswidrige Fiihrwng des belgischen Volks- kriegs », Berlin, mai 1915. (1) Ce total se décompose comme suit : Louvain-ville : 1120; faubourgs : Kessel-Loo : 461 ; Corbeek-Loo : 129; Herent : 312; Héverlé : 95. (2) La liste des victimes est publiée à la fin du volume. — k — Malgré les circonstances défavorables dans lesquelles nou,s nous trouvons, nous voulons, dès à présent, répondre au Livre Blanc, pour tout ce qui concerne Louvain. Nous n'avons pas l'intention de raconter ici tout ce qui s'est passé dans cette ville pendant ces journées tragiques, ni de décrire toutes les cruautés dont ses habitants ont été les victimes : ce n'est pas à la sensibilité de nos lecteurs que nous nous adressons, c'est à leur raison ; notre but, c'est de démontrer, d'une manière irréfutable, la fausseté des accusations portées par la commission d'enquête contre les Louvanistes et conséquemment la culpa- bilité de l'armée allemande qui a commis le crime de Louvain et du gouvernement allemand qui s'en est fait l'apologiste. Notre réponse sera complète ; elle ne passera sous silence aucune affirmation de nos accusateurs. Nous voulons que notre méthode soit en contradiction directe avec celles que les Allemands n'ont cessé d'employer jusqu'à présent pour se justifier des crimes qu'on leur reproche. Qu'ont-ils fait, en effet? Ou bien, comme les 93 universitaires et comme les archevêques de Cologne et de Munich, ils ont exploité le faux prestige dont l'Allemagne jouissait .auprès de tous les peuples civilisés, en se contentant de répondre : « Les alliés accusent l'armée allemande d'avoir commis des horreurs sans nom ; vous connaissez assez la vertu, la morale, la discipline du peuple allemand pour le juger incapable de violer aussi outra- geusement les lois de l'humanité ; le mensonge est une arme empoisonnée que nous ne pouvons arracher des mains de nos ennemis ». Ou bien, comme l'ont fait ceux qui ont tenté de répondre aux rapports de la commission d'enquête belge et aux publications vengeresses de Bédier, de Nothomb et d'autres, ils ont, à grands renforts d'enquêtes, de dépositions sous la foi du serment, etc.. rectifié l'un ou l'autre détail sans importance, en laissant tout à fait de côté les faits principaux, et ils se sont écriés victorieu- sement : voilà bien la preuve que nos ennemis mentent : ab uno disce omnes. Pour nous défendre, nous ne nous contenterons, ni d'affirmations gratuites, ni de rectifications par- tielles ; malgré la répugnance que l'on éprouve à discuter longuement avec un adversaire de mauvaise foi, nous reproduirons l'acte d'accusation en entier, et, déposition par déposition, phrase par phrase, nous en démontrerons les invraisemblances, les contradictions et l'insigne fausseté. Nous ne pouvons malheureusement pas, sous le régime de fer qui nous opprime, utiliser toutes les armes que, dès à présent, nous avons à notre disposition. Pendant les seize mois d'occupation qui se sont écoulés depuis les sanglantes journées d'août 1914, nous avons pu recueillir de nombreux matériaux qui pourront servir à écrire plus tard l'histoire du sac de Louvain. Mais bien des documents, bien des témoignages ne peuvent voir le jour que dans une atmosphère de liberté, qui nous est maintenant tout à fait étrangère. Nous les avons déposés en lieu sûr et nous attendrons patiemment, pour les livrer à la publicité, le moment si ardemment désiré de la libération de notre territoire. D'ici-là, les preuves que nous pouvons produire sont suffisamment nombreuses et convaincantes pour nous permettre de combattre efficacement toutes les allégations de la commisison d'enquête. Dans plus d'un cas, nous n'aurons pas même besoin de faire appel à d'autres témoignages qu'à ceux du Livre Blanc : ce plaidoyer maladroit contient en lui- même sa propre réfutation. On comprendra aisément que nous soyons forcé de nous dissimuler sous l'anonymat; nous connais- sons trop bien les représailles que nos maîtres de l'heure présente savent exercer envers ceux qui n'ont pas le culte de la vérité... allemande. La gigantesque Allemagne a écrasé la petite Belgique ; elle l'a foulée aux pieds ; elle l'a martyrisée ; et — comble de lâcheté — alors qu'elle la croit réduite à l'impuissance, elle l'accuse devant l'humanité toute entière des pires horreurs et elle ne lui permet pas de se défendre. Mais, grâce à Dieu, si la Belgique est occupée, elle n'est pas soumise, et, malgré le bâillon qu'on lui met sur la bouche, elle ne cessera pas un instant de protester et de faire appel, devant tout juge impartial, aux immortels principes qui, tôt ou tard, finiront bien par triompher de la force brutale : LA VERITE ET LA JUSTICE. Décembre 1915. PREMIERE PARTIE Valeur de l'enquête officielle allemande Le Livre Blanc offre le curieux spectacle d'un accusé chargé de faire l'enquête sur son propre crime et présentant, pour sa défense, un mémoire justificatif qui ne contient que les dépositions de... ses complices. En effet, l'Allemagne est accusée d'avoir, sans la moindre raison, détruit Louvain ; pour se défendre, elle ordonne une enquête ; mais cette enquête, c'est elle et elle seule qui la fait ; non seulement aucun Belge, mais même aucun neutre, n'est admis à en suivre les travaux; et quand ceux-ci sont terminés, l'accusée proclame solennellement son innocence en basant uniquement son jugement sur les dépositions de ses complices, c'est-à-dire des officiers et des soldats qui ont ordonné et exécuté le sac de la ville. Ce sont là des procédés de justice quelque peu naïfs, et de nature à faire croire, à tout esprit sincère, que la cause ainsi défendue est singulièrement mauvaise. Ah ! s'il avait pu être prouvé, devant des juges impar- tiaux, que les habitants de Louvain s'étaient révoltés contre les troupes allemandes, qu'ils s'étaient livrés sur elles à des atrocités sans nom, et que, par conséquent, le châtiment infligé à la ville était mérité, le gouvernement allemand, que nous voyons à l'affût des moindres témoignages de sympathie des pays neu- tres, se serait certes empressé d'ouvrir toutes larges les portes de la salle où siégeait la commission d'en- quête et d'inviter les représentants des pays non belligérants à prendre place à côté des juges. Bien au contraire, à toutes les propositions d'enquête sérieuse, dans laquelle les droits des deux parties seraient garantis, les Allemands ont répondu par un refus catégorique ou par un silence tout aussi significatif. En voici deux exemples : Le 20 janvier 1915, le « Kreischef » de Malines, colonel Wengersky, adressait au cardinal Mercier la lettre suivante : « D'après une note parue dans un journal, de nombreux prêtres auraient été tués, quoique innocents dans l'évêché de Malines. <( Pour pouvoir commencer une enquête, je prie Votre Eminence de bien vouloir me faire savoir si des prêtres ont été tués, quoique innocents, et, dans l'affirmative, de me les signaler. Je désire beau- coup apprendre dans quelles circonstances ces faits se seraient produits, quelles troupes peuvent être mises en cause éventuellement et à quelles dates ces événements auraient eu lieu. « (s.) Wengersky ». Le cardinal Mercier adressa au « Kreischef » la réponse que voici : « Monsieur le Kreischef, « J'ai l'honneur de vous accuser réception de votre lettre datée du 20 janvier, que vous avez bien voulu me faire parvenir. Les noms des prêtres et des religieux du diocèse de Malines qui, à ma connais- sance, ont été mis h mort par les troupes allemandes sont les suivants : Dupierreux, de la compagnie de Jésus; les frères Sébastien et Allard, de la congrégation des Joséphites ; le frère Candide, de la congré- gation des frères de la Miséricorde ; le père Maximin, capucin ; le père Vincent, conventuel ; Carette, pro- fesseur ; Lombaerts, Goris, De Clerck, Dergent, Wouters, Van Bladel, curés. « A la date de Noël, lorsque je publiai ma lettre pastorale, je ne savais pas encore avec certitude quel sort avait subi le curé de Hérent ; depuis lors, son cadavre a été retrouvé à Louvain et identifié. D'autres chiffres, cités dans ma lettre pastorale, devraient être aujourd'hui majorés; ainsi, pour Aerschot, j'avais donné le chiffre de 91 victimes ; or, le total des Aerschotois déterrés s'élevait, il y a quelques jours, au chiffre de 143. Mais le moment n'est pas venu d'appuyer sur ces faits particuliers; leur rela- (ion trouvera place dans l'enquête que vous me faites espérer, et ce me sera une consolation de voir la pleine lumière se faire sur les événements que j'ai dû rappeler dans ma lettre pastorale et sur d'autres du même ordre. « Mais il est essentiel que les résultats de cette enquête apparaissent à ious avec une indiscutable autorité. A cet effet, j'ai l'honneur de vous proposer, monsieur le comte, et de proposer, par votre obli- geante entremise, aux autorités allemandes que la commission d'enquête soit composée en parties égale? de délégués allemands et de magistrats belges à désigner par le chef de notre magistrature, et qu'elle soit présidée par le représentant d'un pays neutre. « Je me plais à penser que Son Exellence M. le ministre des Etats-Unis ne refuserait pas d'accepter cette présidence ou de la confier à un délégué de son choix. <( Agréez, je vous prie, monsieur le Kreischef, les assurances de ma haute considération. « (s.) D. J. Cardinal MERCIER, « Archevêque de Mali nés » Le colonel Wengersky n'a jamais répondu à la lettre du cardinal. Le 27 septembre 1914, M. Magnette, sérénissime grand-maître du Grand Orient de Belgique, adressait aux neuf grandes Loges d'Allemagne, une lettre dont nous extrayons les passages suivants : (( J'ai l'honneur de vous proposer d'abord d'adresser tant aux populations civiles des pays belli- gérants qu'aux armées en campagne un appel pressant et une invitation solennelle à ne jamais se départir des règles de l'humanité, de celles du droit des gens et du code de la guerre. « Je vous demanderai ensuite de vouloir bien constituer, d'accord avec moi, une commission d'enquête qui parcourra les régions où s'est déroulée et où se poursuit la guerre, et qui, en s'entourant de tous les renseignements utiles, dressera un rapport de ses constatations. Cette commission se compo- serait de délégués de Grandes Loges appartenant à des pays neutres, par exemple, un frère Hollandais, un Suisse et un Italien, et naturellement il s'y trouverait un maçon Allemand et un maçon Belge. « Je suis convaincu qu'une pareille commission rencontrera, pour l'accomplissement de sa mission, les concours très bienveillants des autorités civiles et militaires de tous les pays engagés dans ce regret- table conflit. » Des neuf Loges, deux seulement répondirent : 1 1 Loge de Darmstadt et la Loge de Bayreuth; les sept autres ne donnèrent pas signe de vie. Voici le passage de la réponse de la Loge de Darmstadt relatif aux propositions de M. Magnette: « ...Un appel à l'humanité de nos dirigeants politiques, de nos généraux et de leurs soldats est superflu. Ce sont des Allemands et les Allemands sont des hommes, même dans le combat le plus violent. Et des frères Allemands, par un appel selon vos vœux, feraient à nos hommes en campagne et aux groupes politiques responsables l'injure d'avoir douté de leur humanité? Non, jamais je ne consen- tirai à faire cela. Par là, pour moi, la commission dont vous avez suggéré la création tombe d'elle- même. J'ai la plus ferme confiance dans nos armées et la conviction qu'elles mènent humainement la guerre scélérate dirigée contre nous, et que nos organismes administratifs rétablissent humainement l'ordre dans les pays occupés... » Et voici ce que répond la Loge de Bayreuth: (( ... Le vœu qui est exprimé dans la lettre de M. Magnette repose pleinement sur des vues et des desseins maçonniques, mais la question se pose si ces desseins peuvent être réalisés maintenant, c'est- à-dire s'ils peuvent être pratiquement mis à exécution. A la solution actuelle de ce problème s'oppose- ront des -«courants dangereux, car nous savons que les atrocités des ennemis de l'Est et de l'Ouest doivent être imputées aux ordres d'officiers de haut grade ou au travail d'excitation de prêtres fanatiques. En consé- quence, je tiens pour impossible d'intervenir à présent effectivement, sans compter que cette commission pourrait être suspecte d'espionnage... Pour le surplus, nous savons que nos troupes n'ont pas commis de cruautés. Les mesures sévères et impitoyables qui durent parfois être prises jusqu'à présent furent pro- voquées par la conduite de la population ennemie... » Cette attitude des défenseurs de l'Allemagne vis-à-vis des propositions d'enquête impartiale ne suffit-elle pas à juger de quel côté se trouve le bon droit? À une exception près, le Livre Blanc ne contient que des dépositions d'Allemands. Cepen- dant, lorsque la commission d'enquête siégea à Louvain, en novembre 1914, elle fit comparaître devant elle un certain nombre de Louvanistes, parmi lesquels les principales notabilités de la ville. Il ne faudrait pas croire que ces témoins purent, devant le juge, raconter tout ce qu'ils savaient au sujet des événements d'août ; non, ils n'eurent oue le droit de répondre aux Questions oui leur étaient posées et lorsque l'un — 9 — ou l'autre d'entre eux s'en écartait en signalant un fait qui présentait cependant quelque intérêt, comme par exemple, qu'il avait vu un soldat allemand s'introduire dans un jardin et de là tirer dans la direction de la rue pour faire croire à une attaque de civils, le juge lui fermait la bouche en disant : Das hat keinen Wert. « Cela n'a pas d'importance ». Parfois les réponses aux questions pourtant habilement posées paraissaient encore trop compromettantes; le juge enquêteur essayait de les tronquer, de les dénaturer, au point que certains témoins protestèrent en disant qu'ils ne signeraient pas leurs dépositions si elles n'étaient en tous points conformes aux déclarations qu'ils avaient faites. Que sont devenues toutes ces dépositions ? Nul ne le sait. Même recueillies dans des conditions aussi flagrantes de partialité, elles ont sans doute été jugées encore trop accablantes et on a préféré les soustraire à l'appréciation de l'opinion publique. Peut- on de façon plus évidente se reconnaître coupable ? On nous objectera peut-être que la commission d'en- quête belge n'a pas procédé d'une autre manière que la commission d'enquête allemande. Pas plus que celle-ci, elle ne comprend des membres appartenant à des pays neutres et la plupart des témoignages qu'on trouve dans ses rapports sont des témoignages belges. Le Livre Blanc lui-même, dans sa préface, se charge de répondre à l'objection. « La commission d'enquête belge, dit-il, n'est pas en état, dans les circonstances présentes, d'établir les faits dans toute leur exactitude; elle ne peut pas contrôler sur place les récits qui lui sont faits. » Que l'Allemagne offre un sauf-conduit aux membres de la commission belge et ceux-ci n'hésiteront pas un seul instant à venir en Belgique faire partie d'une commisison d'enquête interna- tionale offrant toutes les garanties d'impartialité. Dans un essai de réponse à la brochure écrasante de M. Bédier, le professeur Kuttner émet un beau principe que nous nous empressons de faire nôtre. 11 dit à la page 5 : « J'espère être entendu partout où M. Bédier a trouvé une oreille bienveillante, car le vieil adage juridique : Audiatur et altéra pars, qui se trouve inscrit sur de nombreux hôtels de ville et tribunaux allemands sous la forme suivante ou une forme analogue : « Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son », continuera, malgré la rupture de tous les cailles, à garder toute sa valeur dans le monde entier du droit... » Sur ce point au moins, Mon- sieur le professeur, nous serons tout à fait d'accord et nous espérons bien que vous serez à nos côtés pour condamner l'enquête officielle organisée par le gouvernement de votre pays. Audiatur et altéra pars. Nous pourrions nous arrêter ici et borner à ces quelques considérations notre réfutation du Livre Blanc. Il est clair, pour tout homme de bonne foi, qu'une enquête faite dans de telles conditions et dont les résultais sont publiés de façon si incomplète, ne mérite aucun examen ; elle est a priori dénuée de toute valeur. Mais nous voulons faire plus que constater la faute ; nous en mesurerons toute l'étendue et nous montrerons, surtout pour l'édification de ceux qui, dans les pays neutres, sont encore sous l'influence de l'ancien prestige de l'Allemagne, jusqu'à quel degré de cynisme peut atteindre, dans ce pays, le mensonge officiel. La partie du Livre Blanc qui concerne Louvain comprend deux chapitres que nous reprodui- rons et critiquerons successivement : l'exposé général des faits et les dépositions des témoins. DEUXIEME PARTIE L'Exposé des Faits CHAPITRE I TRADUCTION DE L'EXPOSÉ DES FAITS D'APRÈS LE « LIVRE BLANC »» /. — La révolte de la ville de Louvain contre les troupes allemandes qui l'occupaient et le châtiment infligé à cette ville ont eu un écho retentissant dans le monde entier. Et cela pour deux raisons : d'abord parce que Louvain est une ville connue par sa très ancienne uni* ver site, ses riches monuments et ses trésors artistiques, dont le sort a provoqué un légitime intérêt dans une grande partie du public et, surtout, parce que les ennemis du peuple allemand, et en particulier le gouver- nement belge, ont, par leurs représentants diplomatiques et par leurs commissaires envoyés dans toutes les directions, répandu, au sujet des événements d'août IQ14, des récits de nature à indisposer l'opinion publi- que contre les Allemands. La commission constituée par le gouvernement belge pour rechercher les cas de violation du droit des gens, les lois et usages de la guerre a essayé, par tous les moyens, de faire retomber la faute des troubles de Louvain sur les troupes allemandes. Dans plusieurs rapports, elle a accusé celles-ci d'avoir, en violation du droit des gens et sans aucune raison, attaqué et maltraité les habitants de Louvain, prétendument paci- fiques et innocents, d'en avoir blessé beaucoup, d'en avoir tué un bon nombre, et d'avoir pillé, dévasté, incendié, et même complètement anéanti la ville. Ces accusations sont fausses ; bien plus, il est établi que les troupes allemandes se sont conduites d'une façon irréprochable et qu'elles n'ont commis aucun acte en violation du droit des gens. Par contre, la popu- lation civile de Louvain et des environs encourt le grave reproche d'avoir, par sa conduite insensée et crimi- nelle, et au mépris des conventions du droit des gens, occasionné des pertes à l'armée allemande et, con- séquemment, d'avoir été la cause de représailles exercées envers la ville. II. — L'enquête a démontré que les faits se sont passés de la manière suivante : Le iç août IQ14, les premières troupes allemandes firent leur entrée à Louvain et prirent quartier en ville. Les rapports entre les habitants et les troupes, dont l'effectif et la composition changèrent conti- nuellement au cours des jours suivants, furent au début exceptionnellement bons. Il ne se produisit aucun excès. Les troupes allemandes se conduisirent d'une manière exemplaire, ainsi que les Belges eux-mêmes l'ont reconnu. La population faisait bon accueil aux soldats et ceux-ci se sentaient tellement en sûreté que la plupart d'entre eux sortaient sans armes. (Ann. 2, 3, 7 à g, 11, 18, 31, 36, 38, 40, 45, 48.) Ces dispositions pacifiques changèrent tout à coup le 25 août 1914. Ce jour-là, des troupes belges firent une sortie d'Anvers dans la direction de Louvain. Les troupes allemandes qui se trouvaient dans la ville et aux environs se portèrent à leur rencontre; d'autre troupes furent envoyées de Liège au front et passèrent par Louvain. Le combat se livrait sur la route de Matines, près de Bueken et de Lièrent, dans les environs de Louvain. Les Allemands infligèrent une grave défaite aux Belges, qui, le soir, furent refoulés vers Anvers. Apparemment, les habitants de Louvain qui, même après l'occupation de la ville étaient restés en communication avec Anvers et avaient connaissance de l'attaque que leurs compatriotes devaient entre- prendre, ne s'étaient pas attendus à une défaite des troupes belges. Ils croyaient à tort que la poussée de l'armée belge devait réussir, grâce à l'appui de forces anglaises ; ils virent dans les débuts de la sortie des troupes d'Anvers un succès et un encouragement à prendre, eux aussi, part au combat. (Ann. 1, 3, 45, 48.) L'engagement n'était pas encore terminé lorsque, vers 6 heures du soir (1), une compagnie alle- mande de landsturm, qui s'était établie à la sortie N.-O., traversa la ville pour aller s'installer sur la place (1) Afin d'éviter toute confusion, nous adopterons partout l'heure belge. (Note des auteurs du mémoire.) 12 de la station, située du ente est. A leur passage, la ville paraissait encore tout à fait tranquille. Dans les nies se trouvaient quelques colonnes du train, quelques colonnes de munitions et plusieurs petits détache- ments de soldats allemands. Il n'y avait pas en ce moment à Louvain des corps de troupes particulièrement importants. (Ann. 3, 7, 8, 38.) On a remarqué avec étonnement que, parmi les habitants de la ville qui regardaient le passage de la compagnie de landsturm, se trouvaient beaucoup de jeunes gens appartenant, semblait-il, à la classe aisée; ils se tenaient par petits groupes dans les rues et se retiraient lentement dans les maisons. (Ann. 7, 10, 34, 46.) On ne voyait ni femmes ni enfants. Le retour de la compagnie et d'autres petits détachements confirma les habitants de Louvain dans l'opinion que les Allemands avaient subi un échec et battaient en retraite ; ils trouvèrent l'occasion excel- lente de mettre à exécution un plan préparé, à ce qu'il semble, depuis longtemps et qui consistait à anéantir les Allemands au moment où ceux-ci repasseraient, en retraite, à travers la ville. Peu de temps après que la compagnie de landsturm fut arrivée àla place delà Station et s'y fut installée pour prendre quelque repos, environ vers 7 heures, deux fusées s'élevèrent au-dessus de la ville. Un grand nombre de soldats virent appa- raître, dans l'obscurité du ciel, d'abord une fusée verte, puis une fusée rouge, (Ann. 7, 8, 12 à 17, 22, 38, 45, 46.) ^ Au même moment, les habitants de Louvain, avertis par ce signal, commencèrent, à différents endroits de la ville, à tirer avec rage sur les troupes allemandes qui se trouvaient sur la place de l' Hôtel- de-ville, sur la place de la Station et dans les quartiers situés entre ces deux endroits. Ils se servaient de fusils, de^ revolvers et de pistolets ; ils tiraient des caves, des fenêtres et particulièrement des mansardes . (Ann. 1 à 8, 7 (sic) à 13, 18 à 22, 24, 25, 29, 30, 32, 33, 36, 37, 43 à 4c.) Le bruit des détonations donnait l'impression, à certains endroits, qu'on employait aussi des mitrailleuses. (Ann, 2, 29, 38, 40, 42, 46, 4g.) Les soldats allemands furent pris tout à fait à l'improviste. Beaucoup d'entre eux furent blessés, quelques- is tués avant qu'ils n'aient pu se mettre en état de défense. Il en részilta une telle déroute parmi les colonnes et les détachements de bagages qui traversaient les ru.es que les chevaux, effarouchés par la fusillade ou atteints bar les balles et par les plombs, rompirent leurs traits et se mirent à galoper à travers les rues. (Ann. 8, 18, tq, 37, 47.) Un feu particulièrement violent fut dirigé sur la première division du commandement général qui s'était établie sur le « MarktPlatz » (t). Plusieurs officiers et soldats furent tués ou blessés ; l'état-major du commandement général verdit, à lui seul, 3 officiers, 2 employés, 23 hommes et 95 chevaux. (Ann. t.) C'est dans la rue de la Station et à la Place de la Station que la fusillade fut la plus violente. La com- vaçnic du landsturm qui se trouvait au milieu des convois de bagages dut se retirer à la gare, pour pouvoir mieux se mettre à couvert. Les troupes qui stationnaient sur la ■Place du Peuple eurent aussi à subir un feu violent. (Ann. 6, 20, 46.) L'obscurité qui régnait dans la ville — car l'éclairage des rues était détruit — reydai^ l'attaque plus sinistre encore. Les troupes surprises cherchèrent à se rassembler, se mirent sur la dêfen^he et répondirent à la fusillade. Lorsque ccll^-ci se ralentit wn peu, les soldats, sur l'ordre de leurs chefs, Pénétrèrent dans les maisons d'où l'on avait tiré et se mirent à la recherche des coupables. Quelques-uns de ceux-ci furent tués dans le combat (Ann. 1, 3, 29, 37) : un certain nombre furent saisis les armes à la main et fusillés d'avrès les usages de la guerre, avrès qu'il fut établi qu'ils avaient pris part au combat contrairement au droit des gens. ( Ann. iç, 20, 37, 38, 40, 41, 43, 44, 48.) Beaucoup purent s'enfuir par les portes de derrière des maisons et participer, à d'autres endroits, aux combats de rues qui s'organisaient Partout. Pendant que ceux-ci faisaient rage, le général von Boehn, commandant le IXe corps d'armée de réserve, arriva en ville, revenant du champ de bataille. Il était environ 91/2 heures. On tira plusieurs fois sur lui pendant qu'il se rendait à l'hôtel de ville. Pour mettre fin aux combats de rues, il ordonna à une bri- gade de landtvehr de rentrer en ville et fit saisir comme otages le bourgmestre et d'autres notabilités. Sur son ordre, les otages furent conduits à travers la ville et durent, à haute voix, exhorter les habitants à cesser les hostilités. Quoique, en même temps, la ville fût menacée de peines sévères, les exhortations des otages n'eu- rent aucun succès. Les habitants continuèrent à attaquer les troupes. Dans leur fureur, ils tirèrent sur les médecins, des membres du personnel ambulancier, des malades et des blessés qui se trouvaient soiis la protection de laCroix-Roup-e. (Ann. 9, 21, 23 à 28, 47. ) Ils respectèrent si peu les décisions de la Convention de Genève qu'ils tiraient même de maisons qui portaient le draheau de la Croix-Rouge (Ann. 29, 38) et qu'ils dirigèrent leur feu contre un hôpital. (Ann. 25, 27, 28.) Il est attesté de plusieurs côtés qu'ils ont em- ployé des explosifs et des bombes (Ann. 36, 37, 46); il est missi trouvé qu'ils ont versé du goudron bouillant sur les troupes allemandes. (Ann. 2c, 29.) Dans certains cas, la population se livra à des actes de barbarie féroce sur des soldats sans défense. Le soldat Hoos trouva dans la cave d'une maison le cadavre d'un soldat allemand dont on avait ouvert le ventre au moyen d'un instrument tranchant; les intestins sortaient de la plaie béante. (Ann. 33.) Des habi- tants dépouillés de tout sentiment d'humanité ont fait subir une mutilation révoltante à un soldat qui est mort des stiites de ses blessures. (Ann. 37.) (1) Le rapport, de même que la déposition du général von Boehn sur laquelle il se bas^, manque de précision. Il ne ressort pas clai- rement de son texte si par « MarMflatz » (traduction littérale : place du Marché), il vise la Grand'Place (en flamand : Groote Marht) ou la place A" r>— -'- — i3 — En présence de ces agressions brutales, les troupes allemandes durent avoir recours à d'énergiques représailles. Suivant les avertissements qui avaient été donnés, les habitants qui avaient pris part à l'attaque furent fusillés et les maisons d'où l'on avait tiré furent incendiées. On ne put empêcher que le feu ne se communiquât à d'autres maisons et n'anéantît certaines sections de rues. C'est de cette manière que la cathédrale prit feu. (Ann. 4.) Sos soldais empêchèrent le développement de l'incendie; sous la conduite de leurs officiers, ils se dévouèrent pour limiter les ravages du jeu. (Ann. 4, 6.) C'est grâce à eux que seulement une partie relativement petite de la ville, c'est-à-dire le quartier situé entre la gare et l'hôtel de ville, devint la proie des flammes. C'est à nos soldats que l'on doit la conservation du superbe hôtel de ville. L'incendie des maisons éclairait de ses lueurs la nuit obscure; grâce à cela, nos troupes purent répondre d'une ma- nière plus efficace à l'attaque des bourgeois. La révolte diminua peu à peu d'intensité ; pendant la nuit on n'entendit plus que de-ci de-là quelques coups de feu. Le lendemain matin, l'attaque recommença avec violence. Les troubles continuèrent ce four et les jours suivants, malgré les exhortations des otages qui, le 26 et le 27, jurent encore conduits à travers les rues de la ville pour engager les habitants au calme. (Ann. 1, 37 > 3#> 4°> 44> 45> 47-) III . — Cette révolte ne fut pas accidentelle ; elle était préparée de longue main ; ce qui le prouve, ce sont, outre les fusées-signaux que l'on a vu s'élever au-dessus de la ville pour marquer le début de l'attaque, les constatations suivantes : 1. Des armes furent trouvées en grande quantité, quoique le bourgmestre ait déclaré qu'elles avaient déjà été livrées le 19 août. (Ann. 1, 20.) 2. Un grand nombre de jeunes gens étaient arrivés à Louvain et s'étaient répartis dans les différents quartiers de la ville. (Ann. 34.) Il leur était facile de trouver du logement dans les hôtels et dans les nom- breuses chambres d'étudiants qui étaient libres. 3. Dans les maisons en flammes éclatèrent de grandes provisions de cartouches et de matières explo- sives qui y étaient tenues cachées par les habitants. (Ann. 1, 2, 6, 37.) On voit, d'après cela, que cette attaque doit avoir été préparée d'une façon méthodique. Elle a duré avec le plus grand acharnement pendant plusieurs jours. Rien que la longue durée du soulèvement contre l'autorité militaire allemande exclut l'idée d'une attaque soudaine et imprévue dont quelques habitants seule- ment seraient responsables. La conduite de ce soulèvement perfide doit avoir été entre les mains de personnes haut placées. Tout indique qu'il s'agit d'une organisation officielle. C'est à Louvain que se trouvait le siège administratif du commandement de la milice appelée garde-civique; immédiatement avant la sédition, le chef de celle-ci avait encore séjourné en ville; le mouvement commença alors par l'envoi à Louvain, par bandes non organisées, de jeunes gens sans chef, ne portant aucun signe distinctif, qui se cachèrent dans les maisons, en même temps que des soldats déguisés en civils, pour, sans cire vus, tirer, au moment propice, sur les troupes allemandes qui paraissaient battre en retraite. Le gouvernement belge n'a jamais osé signaler le fait que des troupes régulières de l'armée belge avaient participé àl'action. Il s'agit d'un coup perfide des francs-tireurs qui reçurent l'accueil le plus empressé de la part de la population de Louvain et purent ainsi se cacher dans les maisons. Le cas classique de Louvain dévoile au monde civilisé tout entier les méfaits de la garde civique. (Ann. 1, 30, 45, 48.) Malheureusement, un certain nombre de prêtres se sont laissés aller à employer l'in- fluence qu'ils exerçaient sur la population civile pour décider les habitants à recevoir les francs-tireurs; il est établi que certains d'entre eux ont été jusqu'à prendre part directement au combat. (Ann. 1, iç, 34, 37, 38, 41, 42, 45, 48.) Celui qui apprécie les constatations authentiques du gouvernement allemand, constatations qui ne reposent pas sur des dépositions faites à la hâte par des personnes excitées et souvent peu cultivées devant des juges tout aussi excites, mais qui, au contraire, sont basées sur des déclarations sérieuses, re- cueillies dans le calme, mesurera quelle valeur on peut accorder à d'autres accusations semblables que les Belges portent contre les troupes allemandes. Dans le cas de Louvain, la commission d'enquête belge a voulu expliquer les coups de feu, qui l'em- barrassaient, mais qu'ele aurait pu difficilement nier, en disant que les soldats allemands auraient tiré les uns sur les autres. Mais elle passe sous silence le fait que la fusillade a duré plusieurs jours et s'est cons- tamment renouvelée; cette constatation suffit à écarter V explication cousue de fil gris ( fadenscheinig ) , que l'on a tenté de donner de l'origine des combats de rues. Tandis que la commission d'enquête belge fait ainsi bon marché de la question principale concer- nant ce cas de violation du droit des gens, elle cherche, par des accusations particulières, à diffamer l'armée allemande. Aucun des cas qu'elle allègue n'a pu, de notre côté, être établi. Quiconque veut juger impartia- lement, ne doit pas perdre de vue, à ce propos, la qualité des témoignages sur lesquels reposent ces accu- sations qui, à côté de la question principale, à savoir la cause des combats de rues, doivent être reléguées à l' arrière-plan. Elles ont pour auteurs les mêmes personnes dont les affirmations mensongères ont été col- portées dans le monde entier par la commission, à savoir que Louvain était totalement détruit et que, comme il est dit dans le troisième rapport, de toute la ville il ne restait que l'hôtel de ville et la gare. En réalité, on peut se rendre compte, d'après le plan ci-joint, des limites des dégâts causés par l'incendie : moins de la sixième partie de la ville — principalement le quartier environnant la gare — est devenue la proie des flammes. (Ann. 50.) Une des rares calomnies précises peut être contrôlée, car elle pousse la sottise jusqu'à s'en prendre à l'administration toute entière de l'armée allemande, D'après le cinquième rapport de la com- mission, une grande partie du butin provenant du prétendu pillage aurait été chargée sur des camions — i4 - militaires et envoyée plus tard en Allemagne. Cette assertion est inventée de toutes pièces; c*est l'adminis- tration de l'armée qui décide ce qui doit être chargé sur les camions et les wagons militaires et elle n'a jamais pris de mesure semblable à celle qu'on lui reproche. Voici encore un fait qui montre le peu d'importance que la commission elle-même attache aux récits qui lui sont servis et que, malheureusement, elle propage sans discernement : c'est l'exécution de Mon- seigneur Coenraets et du père Schmit, mentionnée dans le cinquième rapport. La commission parle elle-même de la « prétendue » exécution et relate sans plus un conte d'après lequel les spectateurs involontaires de cette « prétendue » scène auraient été forcés d'applaudir. On ne saurait reconnaître, de façon plus évidente, que c'est pour faire sensation que l'on présente des dépositions recueillies à la hâte, sans trop se soucier de la vérité et de la justice. On doit savoir, en effet — et la commission belge peut difficilement l'ignorer, — que M. Coenraets vit actuellement en Hollande, en excellente santé, chez le professeur DT Toels, à Jirlen (i). Berlin, le 10 avril 1Ç15. Commission militaire d'enquête sur les violations des lois de la guerre. (s) Major Bauer. (s) DT Wagner, conseiller à la Cour d'appel CHAPITRE II CRITIQUE DE L'EXPOSÉ DES FAITS D'APRÈS LE LIVRE BLANC § 1. — Considérations générales. Avant d'analyser les détails de ce récit qui, ainsi que nous le prouverons de suite, n'est qu'un tissu de mensonges, nous tenons à émettre quelques considérations d'ordre général qui sont de nature, nous semble-t-il, à mettre en pleine lumière son absolue invraisemblance. Quel but auraient poursuivi les Louvanistes ? La commission d'enquête affirme qu'ils ne visaient à rien moins qu'à anéantir les Allemands au moment où ceux-ci repasseraient, en retraite, à travers la ville (Die Deutschen bei ihrem Rùcksug durch die Stadt vernichten.) C'est prêter aux habitants de Louvain une dose de prétention ou de naïveté peu ordinaire. Pendant huit jours, les troupes allemandes, presque sans discontinuer, avaient traversé les rues de la ville : troupes fraîches, magnifiquement armées et équipées, superbes d'entrain, donnant l'impression d'une force à laquelle rien ne peut résister. Croit-on que les Louvanistes aient été assez niais pour caresser l'espoir de vaincre et même d'anéantir un tel colosse? Apparemment, ajoute le rapport, le plan de la révolte était préparé de longue main (von langer Hand vorbereiteter Auf stand). Que faut-il entendre par « de longue main »? C'est là une expression bien vague, sur laquelle nous désirerions avoir quelques précisions. Mais le Livre Blanc n'en donne pas, et pour cause (2). Les combats de rues auraient duré du 25 au 28. A qui fera-t-on croire que l'armée allemande, pour avoir raison de la population civile de Louvain, a dû soutenir une lutte acharnée pendant quatre jours ? Le Livre Blanc cherche à masquer le caractère fantaisiste de cette affirmation sous les circonstances qu'il n'y aurait eu en ville que peu de soldats alle- mands et que la population, disposant non seulement de carabines, de revolvers et de fusils, mais aussi de mitrailleuses et de bombes, aurait été soutenue par des gardes-civiques étrangers et des troupes belges déguisées. Nous démontrerons tout-à-1'heure (§ 6) que la coopération de gardes civiques étrangers et de soldats belges en civils à la soi-disant révolte de Louvain est une pure invention; elle n'est basée que sur des témoignages dont nous pouvons, même dans les circonstances actuelles, prouver l'évidente fausseté. Quant aux Louvanistes jetant des bombes et maniant des mitrailleuses, c'est là un conte que personne, croyons-nous, ne prendra au sérieux. Bien loin de posséder des engins de guerre perfectionnés, les habi- tants de Louvain n'avaient plus d'armes à leur disposition (§ 5). D'autre part, est-il vrai, comme le (1) Il s'agit, en réalité, du professeur Dr Poels, à Heerlen. (2) D'après certains allemands, la préparation du complot doit remonter bien haut, puisqu'on avait eu soin de construire les maisons en vue de la guerre des francs-tireurs. On lit, en effet, dans Die Wahrheit ùber den Krieg, seconde édition p. 60 (cité d'après Waxweiler, La Belgique neutre et loyale, p. 208) : « Ici, à Louvain, beaucoup de façades de maisons sont préparées en vue de la guerre des francs-tireurs : elles possèdent des ouvertures par lesquelles le canon du fusil peut passer et qui se ferment au moyen de plaques mobiles en métal. Cela a été fait par des techniciens spécialistes en vue d'une organisation systématique de la guerre ». Cet Allemand a pris pour des meurtrières les trous réservés dans les façades pour y placer les pièces de bois qui soutiennent les échafau- dages, lorsqu'on procède à des réparations. -'■- prétend le Livre Blanc, qu'il n'y avait à Louvain, ce soir, que quelques soldats allemands? Bien au con- traire, nous prouverons (§ 3, B), et cela par les témoignages du Livre Blanc lui-même, que la ville à ce moment, renfermait encore de nombreuses troupes. Cela étant, quelle était la situation des deux adversaires en présence ? D'un côté, l'armée allemande, terrible, précédée d'une réputation de force et de cruauté, compre- nant des troupes d'infanterie, de cavalerie et d'artillerie; de l'autre, une population désarmée et terrorisée par les récits d'horreur qui était déjà parvenus jusqu'à elle et dont la réalité devait lui paraître plus évidente qu'elles s'étaient exercées, quatre ou cinq jours auparavant, à Aerschot, à quelques kilomètres seulement de la ville. Et dans un engagement entre de tels ennemis, il aurait fallu quatre jours pour décider de l'issue de la lutte! Dans un combat aussi long et aussi acharné, les pertes doivent être considérables, surtout du côté des vaincus. On ne conçoit pas que les Allemands aient pu mater une telle sédition sans avoir tué et fait prisonniers un grand nombre de francs-tireurs. La liste totale des victimes (hommes, femmes et enfants) de Louvain et de l'agglomération compte 210 noms. La commission d'enquête allemande n'a pu prouver qu'une seule de ces infortunées victimes ait tiré un coup de feu ou se soit livrée à un acte de violence quel- conque sur un soldat allemand. Quelques-uns de ces malheureux ont été extraits de leurs maisons parce que, prétendaient les soldats, on avait tiré; ils ont été traînés à la gare et là, après avoir subi un véritable martyre, ils ont été lâchement assassinés; d'autres ont été atteints d'une balle, soit à l'intérieur de leur mai- son, soit dans la rue, au moment où ils s'enfuyaient; d'autres enfin ont été carbonisés dans leur cave, où ils avaient cherché un refuge contre les brutalités des soldats. Plus de six cents civils ont été déportés en Allemagne, la plupart au camp de Munster. Sont-ce ceux-là les coupables ? Non, et ce sont les Allemands eux-mêmes qui nous en fournissent la preuve. On lit, en effet, dans le Berliner Tageblatt, du 7 octobre 1914, numéro 509. Il est inexact de prétendre que les nombreux prisonniers belges qui se trouvent au camp de Munster ont tiré sur nos soldats; un tel soupçon ne pèse que sur deux d'entre eux (1). , Et de qui émane ce certificat d'innocence ? Du commandant du camp lui-même, le général von Linde. Nous ne savons pas si les deux francs-tireurs supposés étaient de Louvain, mais, en tout cas, tous les Louvanistes internés à Munsterlager sont rentrés, après cinq mois de détention, sans qu'on ait pu retenir contre aucun d'eux le moindre motif d'accusation. Mais alors, les francs-tireurs de Louvain, où sont-ils? L'armée allemande, dit le Livre Blanc, a lutté quatre jours contre eux; elle est parvenue, après une lutte acharnée, à les vaincre. Et lorsqu'on établit le bilan de la bataille, on constate qu'elle n'en a tué ni capturé aucun. Les francs-tireurs sont insaisissables : ce sont des fantômes. Il est une dernière constatation qui suffirait à elle seule à détruire l'échafaudage de mensonges que la commission d'enquête a dressé autour des événements de Louvain : c'est celle de l'impossibilité absolue dans laquelle elle s'est trouvée de recueillir l'aveu d'un seul habitant (2). Les Allemands, depuis qu'ils sont les maîtres de notre ville, sont en rapport constant avec toutes les classes de la population : ils ont de plus à leur service une nuée d'espions qui se glissent partout, dans les trams, dans les cafés, dans les réunions publiques, pour surprendre les conversations qu'on n'oserait tenir en présence d'un uniforme. Ont-ils jamais reçu un seul aveu ? Ont-ils jamais même surpris une seule allusion au fameux complot J Qu'on vienne à Louvain ; qu'on interroge tous les habitants l'un après l'autre, les autorités civiles et reli- gieuses, les riches et les pauvres, les intellectuels et les ouvriers, les catholiques et les francs-maçons, les Flamands et les Wallons ; il n'en est pas un seul, nous osons l'affirmer, même parmi ceux qui, auparavant, faisaient profession de germanophilie — et ils étaient nombreux — qui ne haussera les épaules, lorsqu'on lui parlera d'une conspiration organisée par les Louvanistes contre les troupes allemandes. Et cependant comme ils ont souffert ! Les uns ont perdu des êtres aimés; d'autres ont subi cinq mois de détention en Allemagne; d'autres ont vu leurs biens détruits par l'incendie; tous, plus ou moins, ont été les victimes des journées tragiques. Et personne ne pousserait un cri de révolte! Personne même n'aurait un mot de reproche pour les auteurs et les organisateurs de ce soulèvement aussi insensé que funeste! 40,000 con- jurés de condition, d'opinion, de religion, de langue différente arrivant à garder, pendant de longs mois, le silence le plus absolu sur un complot qui aurait si lamentablement échoué et qui aurait eu pour eux des suites si redoutables, ce serait un fait absolument unique dans l'histoire et, au point de vue psycho- logique, purement inconcevable. (1) Es ist unzutreffend dass die in Munsterlager befindlichen zahlreichen belgischen Gefangenen auf unsere Soldaten geschossen naben ; nur bei zwei Gefangenen liegt ein solcher Verdacht vor. (2) Certaines dépositions (Ann. 30, 38, 45) contiennent des semblants d'aveu, très imprécis, dont nous ferons justice plus loin. Une brochure de propagande de la série Der Weltgrieg IÇ14, intitulée Sturmnacht in Loewert, renferme (p. 25) l'aveu d'un nabitant de Louvain, M. Rutgers, directeur du service des eaux de la ville, sujet hollandais. L'auteur, Robert Heymann, déclare que m. Kutgers lui a affirmé que les fenêtres de toutes les maisons étaient garnies de francs-tireurs. Or, M. Rutgers a publié, dans le journal RCh t h" "-teh": de Louvain, du 8 août 1915, avec l'autorisation de la censure allemande, une protestation dans laquelle il certifie que KODert Heymann lui est parfaitement inconnu et qu'il n'a jamais dit à personne qu'il avait vu des francs-tireurs 1 — iG — — Du 19 au 25 août. Passons à l'examen détaillé du récit : Pour mieux mettre en relief l'habile préparation du complot, le Livre Blanc déclare que, depuis l'entrée des Allemands à Louvain, le mercredi 19 août, jusqu'au mardi 25, jour de la révolte, les rapports entre la population et les troupes allemandes furent « exceptionnellement » bons. Les habitants se mon- traient prévenants, sans doute pour endormir la défiance des officiers et des soldats et pouvoir ainsi les attirer plus sûrement dans le guet-apens qu'ils voulaient leur tendre. « D'ailleurs, ajoute le Livre Blanc, il ne se produisit aucun excès ; les soldats allemands se conduisirent d'une façon exemplaire, ainsi que les Belges eux-mêmes l'ont reconnu. » Ces affirmations appellent quelques réserves et quelques compléments. L'armée allemande nous paraît être dans la situation d'un cambrioleur qui, après s'être introduit dans une maison à l'aide de violences, Bekanntmachung! Einwohner! Wlr ffihren nur Krieg gegeu die felndliche Armée und nictit gegen die Ein wotiner. Trotzdem slnd die deutschen Truppen rrâutig durch Personen angegriffen worden, die nfcht zur Armée gehôren. Mai bat die soheusslich- sten Grausamkeiton nient rut an unseren Truppen. sondera aucb an unseren Verwundeten undAerzten ' verOotdiesichunterdemSchutz desRotenKreuzesbefinden ■ lira dièse Gewalttâtigkeiten In Zukurft zu verhindern, befeUe les Folgendes: I. Jede nient militârische Person, die mit Waften In der Hand angetroflen wlrd, wirtf otine weiteres nlederge- schossen; sie wlrd sis ausserhalb des VWkerrechts stehend betrachtet. 1 Aile WaSen. Gewebre, Plstolen. Brownings Sàbel, Dolche usw. suwie jeder Eiplosivstof slnd durch den Orts- vorstasd soiort dem deutschen Truppenbefehlshaber abzulielern. Wbm eine einzige Waffa irgendwo gaianden. Oder irpend eins Feind- sdgkelt WK inseie Tnpiea,Transperte, Tategraptien- und Eïsentannllnie' m. togâip «ter wenn den Franktireurs Obdaca gewahrt wird, so werde-i il» Sctiaktip und die îestgenammenen Geisssh ortns Paidon niederp- sdussen. Afisserdetri werder. die ta orner der belreflende» Ortschafl vê- lait, die OfWiata and Stâdte saftst terden zerstdtl end inederpbianoi. Weftf} derç (Jtten a«l emer Strasse «ter indem Gelante zrédro m 0> 1 nrkornml, so *W In derseltei Weiss geieii die taaiuer der - Et* frwarte. &M tfe QrtSïorsttKla ww ««A 4e BertBctrvng ffcrch gwgnet- (fcbÉTwadiiiriq und bewmtwe HaJtang (fcw der Stthtvttttt imsar«r Trappes, m inti àrtr egwen Sictarhert nscàt! Eesdàeht *es wctrt sa total ffc< obw angekiméqte Rafenalitwft Kraft Der Kommandierende General. f Proclamation! *e Habitants! Nous ne faisans pas la guerre contre les citoyens mais seulement contre l'armée ennemie. Malg*è cela les troupes allemandes ont été attaque en grand nombre par des per- sonnes qui n'appartiennent pas à l'armée. On a commis des actes de la plus lugubre cruauté non seu- lement contre les combattants mais aussi contre nos blessés et nos médecins qui se trouvent sous l'abri de la croit ronge. Pour empêcher ces brutalités à l'avenir j'ordonne ce qui suit: 1. Toute personne qui n'appartienne pas à l'armée et qui soit trouvée les armes entre les mains sera fusillée à l'instant; elle sera considérée hors du droit des gens. 2. Tous les armes, fusils, pistolets, brownings, sabres, poig- nards etc et toute matière exploslble doivent être dé- livres par le maire de tout village ou ville aussitôt au commandant des troupes allemandes. En cas q'une seule arme soit trouvée dans n'Importe quelle maison oa que quelqu'acte d'hostilité soit commis contre nos troupes, nos transports, nos lignes télégraphiques, nos chemins de fer ou qu'on donne l'asile au» tranctireurs les coupables et les otages pi sont arrêtés dans chaque village seront fusillés sans pttle. Or cela tous les habitants des villages etc. en question seront chassésjes villages et les viHes mêmes seront dé- molis et brûlés. Si cela arrive sur la route de communi- cation entre deui villages ou entre deux villages on agira de la même manière contre les habitants des deux villages f aliénas que les mairo ainsi eu» la poputalm Tottdrw.1 assurer par teor prudente surteiaoce et condub la sorete de nés trappes aire, sue ta leur Dans le cas contraffe les masures ind*}ué« Dessus entrèrent en^ vigueur. — 0a ne Awajrs aucun paroW . Le Général Commandant en Chef. Fig. 1. Proclamation affichée à Louvain, le vendredi 21 août 1914. après avoir enlevé au propriétaire tout moyen de se défendre et l'avoir forcé, le revolver sur la poitrine, a passer par toutes ses exigences, dirait en sortant, les poches remplies de ce que sa victime lui a « donne » : <( Ce propriétaire, mais c'est un charmant homme; il s'est montré à mon égard d'une amabilité vraiment remarquable. » La population de Louvain connaissait de réputation le cambrioleur qui venait de violer son domicile; le récit des horreurs qu'il avait commises depuis qu'il avait franchi la frontière lui était déjà parvenu; aussi, sachant qu'elle ne pouvait lui résister, tâcha-t-elle d'éviter la moindre parole ou le moindre geste capable de provoquer sa fureur, qu'elle savait terrible. Le cœur meurtri par les tristes nécessités qui leur étaient imposées, les habitants donnèrent aux officiers et aux soldats, dans la mesure du possible, la nourriture et le logement qu'ils réclamaient. Les Louvanistes furent d'ailleurs avertis par l'autorité allemande elle-même que le moindre acte d'hostilité entraînerait les conséquences les plus redoutables. Dès le vendredi 21, on yit s'étaler sur les murs de la ville une affiche menaçante qui apparut à beaucoup comme un sinistre présage (fig. 1). Cette affiche ne porte ni date, ni nom de lieu, ni nom d'imprimeur, ni signature; elle a tout 1 air, on en conviendra, d'un placard anonyme, imprimé en Allemagne avant la violation du territoire belge, et — x7 — destiné à excuser d'avance tous les crimes et toutes les dévastations. C'est comme la préparation du refrain sinistre qui a retenti aux oreilles des Belges pendant toute la durée de l'invasion : Sie haben gesckossen (vous avez tiré). Suivant l'odieuse pratique qu'elle adopta partout, l'armée allemande prit des otages, choisis parmi les principales notabilités de la ville : représentants de l'administration communale, de la magistrature, de l'université. De nouvelles affiches firent savoir que, au moindre acte d'hostilité contre les troupes, les otages seraient mis à mort. En même temps qu'elle terrorisait la population, l'autorité militaire allemande se livrait à des vexations de toutes sortes à l'égard de l'administration communale. Dès son arrivée, elle imposa à la ville des réquisi- tions dont l'exagération était manifeste ; sans parler d'énormes quantités de vivres de toute nature, elle exigea, entre autres, la fourniture immédiate de 7,000 paires de chaussures militaires. On fit le tour de tous les magasins de chaussures et ateliers de cordonnerie et on trouva en tout 72 paires qui pouvaient convenir. Le vendredi matin 21, un officier arriva à l'Hôtel de Ville et déclara qu'il lui fallait, ce jour même, une somme de 100,000 francs. Les autorités communales répondirent que c'était chose absolument impossible, que la caisse de la Ville n'était pas en état de supporter une telle contribution. Alors, comme un camelot sur un champ de foire, l'officier abaissa successivement ses prétentions jusqu'à 50,000, 25,000, 20,000, 10,000, 5,000 et finalement accepta les 3,000 francs que le receveur possédait dans sa caisse. Pour être complet, il faut ajouter que l'officier trouva encore, dans la poche de l'échevin, 80 francs et qu'en homme d'affaires correct, il donna à la Ville un reçu de 3,080 francs ! Comme, d'après l'aveu d'un officier, il fallait à tout prix trouver de l'argent pour payer les troupes, les Allemands décidèrent, le lundi 24, d'aller lever les caisses des banques. Le butin fut maigre; si à la Banque Populaire, ils trouvèrent 13,000 francs, ils durent se contenter, à la Banque de la Dyle, de 600 francs et à la Banque Nationale... de quelques bouteilles de bière (1). Le lundi 24, à 11 heures du soir, le quartier de la gare fut mis en émoi. Un détachement de soldats venait d'arriver; l'officier, qui le commandait, exigea qu'on apportât immédiatement des matelas et des ali- ments chauds pour 200 hommes. De sa propre autorité, sans passer par la Kommandantur, il fit chercher le bourgmestre sous prétexte d'assurer l'éclairage électrique de la gare; il le fit garder à vue par deux soldats et, en vociférant comme un possédé, menaça de le faire fusiller si on ne fournissait pas immédiate- ment les prestations demandées. L'officier était d'ailleurs manifestement ivre; aussi un soldat dit-il à un témoin de la scène : « Ne faites pas attention, il est pochard. » Les habitants, toujours pleins de prévenance pour les soldats, dirait le Livre Blanc, mettaient déjà à la disposition de cet officier ce qui leur restait de matelas et de vivres, lorsque la Kommandantur, avertie, intima à celui-ci l'ordre de retirer ses réquisitions; les habitants purent rentrer chez eux avec tout ce qu'ils avaient apporté. D'après la commission d'enquête, les Belges eux-mêmes auraient reconnu que, pendant la première semaine d'occupation, les troupes allemandes se conduisirent à Louvain d'une manière exemplaire. Cette affirmation repose sur le témoignage de M. le professeur Lemaire (Ann. 31). Celui-ci déclare qu'il n'a pas eu à se plaindre des soldats qui sont venus prendre quartier chez lui le mardi 25. Voilà bien la méthode allemande prise sur le vif : deux ou trois soldats arrivent dans une maison pour y passer la nuit du 25 au 26; à peine y sont-ils installés qu'on sonne l'alarme et qu'ils doivent partir. Le propriétaire de la maison déclare que, pendant les quelques instants que ces hommes ont passés chez lui, ils n'ont donné lieu à aucune plainte; de là, la commission conclut que, du 19 au 25 août, de l'aveu des Belges, la conduite des trou- pes a été admirable. La conclusion, on l'avouera, dépasse de quelque peu les prémices. Nous reconnais- sons volontiers que bien des habitants auraient pu faire la même déclaration que M. Lemaire; nous savons que l'armée allemande n'est pas composée uniquement de bandits et qu'il y a parmi elle des officiers et des soldats qui savent respecter les lois de l'hospitalité, même en temps de guerre. Mais, avant de conclure, la commission d'enquête aurait dû poursuivre ses investigations; elle aurait pu, par exemple, demander à M. Lemaire s'il n'avait pas connaissance d'excès commis par les troupes; et celui-ci lui aurait dit que, dans la rue qu'il habitait, plusieurs maisons, entre autres celles de ses collègues MM. les professeurs Van Gehuchten, Sencie et Van Mosuenck avaient été saccagées et transformées en de véritables cloaques. Les armoires fracturées, les papiers éparpillées sur le sol, le linge extrait des armoires et souillé d'ordures, le tout recouvert d'immondices avec des raffinements de saleté que la plume se refuse à décrire, voilà le tableau que présentaient bien des maisons où avaient logé les soldats « à la conduite exemplaire ». Et ceci se pas- sait dès le 20 août. La commission aurait pu citer aussi le cas de cette pauvre jeune fille de 15 ans odieuse- ment outragée par trois brutes de soldats, blessée à la poitrine et à la jambe de plusieurs coups de baïon- nette et amenée mourante à l'hôpital, le vendredi 21 août. Cet oubli est d'autant plus impardonnable que plusieurs Louvanistes, appelés comme témoins lors de la fameuse enquête et dont les dépositions ont sans doute été jetées au panier — entre autres les médecins qui ont soigné la malheureuse — ont fourni au sujet de cette affaire toutes les précisions désirables. On pourra juger, par ces quelques faits, de l'extraordinaire cordialité des rapports qui ont existé, du 19 au 25 août, entre les habitants de Louvain et les troupes allemandes. Si le souvenir de cette semaine (1) Les sommes prises à la Banque de la Dyle et à la Banque Populaire furent restituées plus tard. s'est quelque peu effacé, c'est parce que ces vexations, ces déprédations, ces actes isolés de banditisme, si révoltants qu'ils puissent être, sont en réalité bien peu de chose en comparaison des scènes horribles d'in- cendie et de carnage qui se déroulèrent à partir de la soirée du 25 août. §3. — La journée du 25 août et la nuit du 25 au 26. A. — Etat de la ville. Le 25 août, au cours de l'après-midi, de nombreuses troupes arrivèrent à Louvain ; elles se répan- dirent dans les différents quartiers de la ville et prirent toutes les dispositions d'usage pour passer la nuit chez l'habitant. Les soldats étaient en train de se débarbouiller et de se rafraîchir, lorsque, tout à coup, vers 6 heures, on sonna l'alarme. Effarés, la mine anxieuse, ils s'équipèrent à la hâte, abandonnant même dans certaines maisons le linge qu'ils venaient de laver et qui n'était pas encore sec. Ils se rendirent au lieu de rassemblement; certains détachements furent envoyés au combat; d'autres restèrent en ville. Les habi- tants, entendant le canon gronder, à une distance, semblait-il, assez rapprochée de la ville, crurent la déli- vrance prochaine. Le Livre Blanc affirme, sans apporter aucun*» preuve, qu'ils étaient restés en communi- cation secrète avec le haut commandement de l'armée et qu'ils étaient au courant de la sortie des troupes belges d'Anvers; bien au contraire, tous étaient persuadés que les Français et les Anglais, dont on avait si souvent annoncé la venue, étaient enfin arrivés ; ils espéraient que les Allemands ne résisteraient pas aux Alliés, dont on disait les forces considérables, et que leur ville serait bientôt rendue à la liberté. B. — Troupes allemandes. La commission d'enquête allemande prétend que les Louvanistes auraient jugé le moment propice pour mettre à exécution le plan de révolte qu'ils avaient préparé depuis longtemps, car, ajoute-t-elle, il n'y avait en ville que peu de soldats. Cette affirmation est contredite par les dépositions elles-mêmes. Voici, en effet, la liste des troupes dont la présence à Louvain, le 25 août, après 8 heures du soir, est affirmée par les témoignages des officiers et des soldats : 1. Le régiment de hussards de réserve n° 6, qui rentra à Louvain dans la soirée et dont les grands bagages étaient restés en ville (Ann. 1); 2. Une compagnie du régiment d'infanterie n° 163 (Ann. 1); 3. Une brigade de landwehr stationnait aux portes de Louvain, dans la direction de Hérent; une partie rentra en ville dans la soirée (Ann. 1); 4. La première division de l'état-major du IXe corps d'armée de réserve (Ann. 1, 46); 5. Deux compagnies de la 27e brigade de landwehr (Ann. 3); 6. Une batterie d'artillerie (Ann. 3); 7. Une compagnie indéterminée (Ann. 3); 8. 300 blessés à l'hôpital, qui prirent une part active à la fusillade (Ann. 6 et 25); 9. Une compagnie de landsturm de Neuss, réduite à 100 hommes (Ann. 7); 10. Un détachement de soldats affectés à la construction des chemins de fer comprenant 60 hommes (Ann. 8); 11. 150 soldats du 35e régiment de réserve (Ann. 8); 12. La 2e compagnie du régiment de landwehr n° 55 (Ann. 35); 13. Le régiment d'infanterie n° 162 (Ann. 36); 14. Le 3e bataillon du régiment d'infanterie de réserve n° 75 (Ann. 37); 15. Une compagnie d'infanterie indéterminée (Ann. 46); 16. Un bataillon du régiment d'infanterie de réserve n° 18 (Ann. 48); 17. Une colonne de munitions du régiment d'artillerie de réserve n° 18 (Ann. 49). En additionnant ces différentes unités, on arrive à un total de plus de 10,000 hommes! Et la commis- sion d'enquête, qui a recueilli tous ces témoignages, ose prétendre que les Louvanistes ont profité, pour exécuter leur plan d'attaque, d'un moment où il n'y avait en ville que quelques soldats! C. — Fusées-signaux Un des principaux arguments sur lesquels se base le Livre Blanc pour justifier l'existence du complot est l'apparition dans le ciel, vers 7 heures du soir, de deux fusées; ce devait être, d'après lui, le signal convenu pour commencer la fusillade. Ici encore, la thèse allemande est invraisemblable. En effet, si les organisateurs de la révolte avaient voulu indiquer aux habitants des différents quartiers de la ville que le moment était propice à l'attaque, ils n'auraient certainement pas choisi pour cela des signaux lumineux; car, à 7 heures du soir, le 25 août, surtout lorsque le temps n'est pas couvert — et c'était le cas le 25 août 1914 — il ne fait pas encore obscur; des signaux lumineux auraient risqué de ne pas être aperçus. Comment d'ailleurs aurait-on pu convenir d'avance de ce genre de signal, puisqu'on ne savait pas si les troupes allemandes repasseraient en retraite à 5 heures de l'après-midi ou à 10 heures du soir. Le tocsin ou l'éclatement d'une bombe aurait averti les habitants d'une façon bien autrement certaine. De plus, des — i9 signaux lumineux ne pouvaient pas être destinés aux habitants qui, de l'aveu du Livre Blanc lui-même, étaient tous rentrés chez eux. Si des fusées ont été lancées, elles n'ont pu servir de signal qu'à ceux qui se trouvaient dans la rue, c'est-à-dire aux soldats allemands. Le rapport dit qu'un grand nombre de soldats ont vu apparaître à 7 heures du soir, d'abord une fusée verte, puis une fusée rouge.,. Il renvoie aux annexes 7, 8, 12 à 17, 22, 38, 45 et 46, semblant indiquer par là que tous les témoignages sont concordants. Qu'on jette un coup d'œil sur ces dépositions et l'on sera édifié. Un seul soldat (Ann. 13) a vu une fusée verte et une fusée rouge; il en donne une minutieuse description. Les autres ont vu, soit deux fusées dont la couleur n'est pas déterminée (Ann. 17), soit une fusée rouge (Ann. 14), ou verte (Ann. 38 et 46), ou bleue (Ann. 12), ou de couleur non définie (Ann. 7, 15, 16, 22, 45). Quant à l'Oberleutnant von Sandt (Ann. 8), il n'a rien vu du tout, mais des soldats lui ont dit qu'on avait fait des signaux lumineux. Il n'y a pas plus de concordance au sujet de l'heure. Les témoins 12, 13, 14, 15 déclarent que les signaux ont été faits à 7 heures; les témoins 36 et 45, à 8 heures. La plupart affirment que les fusées furent le signal du commencement de l'attaque; d'après le témoin 12, plusieurs coups de feu avaient déjà été tirés lorsque la fusée apparut. Mais où la con- tradiction est la plus frappante, c'est dans, la détermination de l'endroit d'où les fusées ont été lancées. ■ i Fig. 2. Plan de la place de la Station et des environs. A. Endroit où se trouvait Fenes. B. Hôtel Marie-Thérèse. G. Endroit où se trouvait Kiippers. D. Tombes des victimes belges. C. Hôtel de l'Industrie. E. Tombes des victimes allemandes. Le soldat Kùppers (Ann. 13) était de faction devant l'entrée principale de la gare; il a vu, dit-il, deux fusées venir de la ville dans la direction de la gare, l'une à droite, l'autre à gauche. Or, le caporal Fenes (Ann. 22), qui se trouvait devant l'hôtel de l'Industrie, déclare que la fusée est partie d'un endroit situé immédiatement en face de la gare où, précise-t-il, se trouvent aujourd'hui des tombes, c'est-à-dire pres- qu'aux pieds du soldat Kiippers. Il suffit de jeter un coup d'œil sur le plan ci-dessus (fig. 2) pour se con- vaincre de la contradiction absolue de ces deux témoignages. Quant au capitaine von Esmarch, qui se trouvait sur la place du Peuple, il a vu une fusée du côté S.-O., c'est-à-dire dans une toute autre direction (Ann. 46). Avant de tirer parti, d'une façon vraiment démesurée, d'un argument aussi mesquin que celui des signaux lumineux, la commission d'enquête aurait dû commencer par mettre d'accord les témoignages sur lesquels elle prétend baser son accusation. A-t-on en réalité lancé des fusées dans la soirée du 25 août? Des nombreux Louvanistes que nous avons interrogés, aucun n'en a connaissance; nous ne voudrions cepen- dant pas conclure par la négative, car, comme nous l'avons fait remarquer plus haut, à partir de 8 heures, tous les habitants étaient rentrés chez eux, suivant l'ordre formel qui avait été donné par la Kommandan- tur. Ce que nous pouvons affirmer avec une entière certitude, c'est que, si des signaux lumineux ont été faits, ils étaient destinés, non pas aux habitants, mais bien aux troupes allemandes. M> D. — Qui a tiré? <( Les habitants de Louvain, avertis par ce signal, commencèrent, à différents endroits, à tirer avec rage sur les troupes allemandes qui se trouvaient sur la place de l' Hôtel-de-ville, sur la place de la Station et dans les quartiers de la ville situés entre ces deux endroits. Ils se servaient de fusils, de revolvers et de pis- tolets ; ils tiraient des caves, des fenêtres et particulièrement des mansardes. Le bruit des détonations donnait l'impression, à certains endroits, qu'on employait aussi des mitrailleuses. » Qu'on ait tiré à Louvain pendant la soirée du 25 août, qu'on ait même tiré avec rage, cela ne fait de doute pour personne ; sur ce fait, les témoignages de tous les Louvanistes seront parfaitement d'accord avec ceux des officiers et des soldats allemands. Mais qui a tiré? Voilà le point qu'il s'agit d'établir. Parmi les 53 témoins dont les dépositions sont reproduites dans le Livre Blanc, il n'y en a guère qu'une dizaine (Ann. 19, 22, 25, 27, 28, 29, 33, 34, 45, 46) qui déclarent avoir VU les civils tirer. Nous constaterons plus loin, en analysant en détail les dépositions, que chacun de ces témoins peut être convaincu de mensonge ; par conséquent, leurs déclarations n'ont aucune valeur. Tous les autres, et parmi eux les principaux chefs, comme le général von Boehn, le major von Klewitz, le major von Manteuffel, ont ENTENDU des coups de feu, mais n'ont pas vu ceux qui les tiraient. On dira peut-être que, si des coups de feu partaient des fenê- tres des maisons, ils ne pouvaient être tirés que par des civils. Erreur ! Des soldats allemands s'introdui- sirent dans les maisons, se précipitèrent aux étages et de là tirèrent dans la direction de la rue. Nous montrerons plus loin (§ 3, G.), en confrontant les dépositions elles-mêmes du Livre Blanc et sans nous servir d'autres preuves, qu'il a dû en être ainsi à la place de la Station. D'autre part, le fait est attesté par de nombreux témoins louvanistes ; nous pouvons citer M. Verhelst, professeur à l'Université, qui a passé la frontière quelque temps après la destruction de Louvain. Le mardi 25 août, peu avant 8 heures du soir, on frappa, à coups de crosse de fusil, à la porte de son habitation, située rue Léopold. Etant allé ouvrir, il fut bousculé par des soldats qui crièrent : Wir miissen nach oben, «. nous devons monter ». Arrivés à l'étage, ils ouvrirent les fenêtres et tirèrent quelques coups de feu pour faire croire à une attaque de francs-tireurs. Immédiatement après, d'autres soldats pénétrèrent dans la maison, au cri de : Man hat geschossen. Heureusement, M. Verhelst réussit à s'esquiver. Sa maison, comme presque toutes celles de la rue Léopold, fut incendiée. La commission d'enquête n'ignore pas ces faits, puisque M. Verhelst, qui se trou- vait encore à Louvain au moment où elle siégea, fut appelé devant elle en qualité de témoin et lui fit le récit de ce qui s'était passé chez lui pendant la soirée du 25. Qu'est devenue sa déposition? Plusieurs officiers et soldats affirment avoir eu l'impression qu'à certains endroits on employait des mitrailleuses. Ils ne se trompent pas. Les Louvanistes aussi ont entendu le bruit caractéristique de ces engins ; mais, encore une fois, qui les manœuvrait, sinon des soldats allemands? Il serait absurde de pré- tendre que les bourgeois de Louvain étaient au courant du maniement de cette arme. Dira-t-on qu'elles étaient servies par des soldats belges déguisés ? Mais, alors, que sont devenues ces mitrailleuses ? Non seulement les Allemands ne les ont pas capturées, mais ils n'en ont même pas vu une seule. Ils en ont entendu le bruit, et pour eux, quand un coup de feu éclate, qu'il parte d'un revolver, d'un fusil ou d'une mitrailleuse, ce ne peut être l'œuvre que d'un franc-tireur. L'épisode suivant est, à ce sujet, tout à fait caractéristique ; il s'est passé le 13 septembre 1914, à l'hôpital Saint-Thomas. Un convoi de blessés, belges et allemands, venait d'arriver du champ de bataille ; les ambulanciers volontaires étaient en train de les transporter de la voiture à la salle d'examen lorsque, tout à coup, plusieurs détonations retentissent dans le voisinage immédiat de l'hôpital. Les soldats de garde, pris de panique, se précipitent dans la cour en criant : Man hat geschossen. Le <( Feldwebel » qui les commande, en vociférant comme un démon, accuse le personnel d'avoir tiré sur les blessés allemands et menace de lui faire un mauvais parti. Mais un ambulancier avait vu que les coups de feu provenaient d'une remise contigûe à la cour de l'hôpital. Il fait part de son observation au « Feldwebel » et s'offre à l'accompagner pour faire une perquisition. Le « Feldwebel » prend avec lui quelques hommes et, précédé de l'ambulancier qu'il menace d'abattre au premier coup de feu, il pénètre dans la remise et trouve en fait de franc-tireur, un... soldat allemand; celui-ci avait été réveillé par le bruit du transport des blessés; croyant à une attaque, il avait été pris de peur et avait déchargé son revolver par la fenêtre. Tous les témoins s'accordent à dire que la fusillade fut terrible, colossale même, pour employer l'expression de l'un d'entre eux. (Ann. 6.) « Les civils tiraient, presque sans discontinuer, des caves, des fenêtres, des toits, et même des arbres. » S'il en fut ainsi, comment se fait-il que les troupes allemandes, à en croire le Livre Blanc, aient subi si peu de pertes? Aux endroits où l'attaque fut la plus violente, il ne signale que quelques morts et quelques blessés. La première division de l'état-major du commandement général fut la plus éprouvée; ses pertes s'élevèrent, en morts, blessés et disparus, à 5 officiers, 2 employés, 23 hommes et 95 chevaux. Ce sont les chevaux, semble-t-il, que les Louvanistes visaient tout particulière- ment ! Certains témoins ont essayé d'expliquer cette disproportion entre la violence de l'attaque et le petit nombre de victimes (Ann. 9, 10); nous ferons ressortir plus loin (§ 3, G et Ann. 10) le caractère fantai- siste des explications qu'ils proposent. Il est encore un fait qui prouve que ce ne sont pas les civils qui ont tiré sur les officiers et les soldats, mais bien les Allemands eux-mêmes : c'est l'obstination avec laquelle les autorités militaires ont refusé 21 d'extraire les balles des cadavres allemands en présence de médecins belges. Une des notabilités de la ville demanda à un officier supérieur, pendant la soirée du 25 août, de faire pratiquer l'autopsie des soldats tués ; sait-on ce que l'officier lui a répondu? « Inutile, l'autopsie ne prouverait rien, car nous avons la preuve que les civils se servent aussi de balles allemandes. »! ! ! Lorsque la commission d'enquête internationale siégera à Louvain, des ambulanciers, dont nous possédons les dépositions, viendront déclarer avoir îecueilli de la bouche de quelques-uns des blessés l'aveu qu'ils avaient été atteints par les balles de leurs camarades. Certains médecins allemands (Ann. 9, 21) affirment avoir soigné des soldats blessés par des plombs. Si le fait est exact, pourquoi ne l'a-t-on pas fait constater par les médecins belges, les otages et les autorités communales? Pourquoi a-t-on laissé échapper une preuve a laquelle la commission semble attacher une si grande importance? Ces médecins n'ont-ils pas pris pour des blessures provoquées par des plombs des lésions occasionnées par des éclats de balles qui avaient fait ricochet? Les membres du personnel médical ont, comme les officiers et les soldats, l'obsession du franc-tireur; lorsqu'ils voient un blessé, ce ne peut être qu'une de ses victimes. Le vendredi, 28 août, un médecin allemand amena, dans une ambulance de la ville, une quarantaine de soldats qui, d'après lui, avaient été atteints par les balles des civils. Après interrogatoire, il fut reconnu que tous ces soldats avaient été blessés dans les environs de Louvain, au cours de combats contre les troupes belges régulières, sauf un seul, qui avait la tête contusionnée... à la suite d'une chute de cheval qu'il avait faite dans une rue de la ville! E. — Prétendues atrocités des Louvanistes. Les bourgeois de Louvain, au dire du Livre Blanc, ne se sont pas contentés de tirer de leurs maisons sur les troupes allemandes : ils se sont encore rendus coupables de toute une série de méfaits. Ils se sont postés, pour tirer, aux fenêtres de bâtiments qui portaient le drapeau de la Croix-Rouge ; ils ont dirigé leur feu sur des ambulances ; ils ont versé du goudron bouillant sur les soldats et ils se sont livrés sur eux à des actes d'une sauvagerie vraiment inouïe. Toutes ces accusations reposent sur des témoignages dont nous ferons justice plus loin. (Ann. 9, 21, 2% à 29, 35 à 38, 46, 47.) Nous nous bornerons ici, pour démasquer les procédés de la commission d'enquête, à relever le cas suivant : « Des habitants dépouillés de tout senti- ment d'humanité, dit le rapport, ont fait subir une humiliation révoltante à un soldat qui est mort des suites de ses blessures. » Il renvoie à la déposition 37. Or, voici ce que dit ce témoin, le soldat Westerkamp : « J'ai vu passer un soldat du régiment n° 162 ou 163 porté sur un brancard. Il gémissait terriblement. J'appris qu'au cours d'une patrouille en ville, il avait été surpris f>ar plusieurs habitants et que ceux-ci lui avaient fait subir une odieuse mutilation: j'ai su plus tard que ce soldat était mort de ses blessures. » Ce soldat mutilé, qui est-il? On ne le dit pas. Quels sont les médecins oui l'ont soigné? On ne le dit pas davantage. Qui l'a vu? Personne. Et c'est uniquement sur le témoignage d'un soldat qui a entendu tenir, au passage d'un blessé, quelques grossiers propos que la commission d'enquête se base pour porter contre les Louvanistes une accusation aussi infamante ! Il n'est pas une conscience honnête qui ne se révoltera devant de tels procédés. F. ErHAJTFFOURÉE DE LA PLACE DU PEUPLE. (( Un feu particulièrement violent fut dirigé sur la première division du commandement général qui s'était établie sur le « Marktvlatz ». Plusieurs officiers et soldats furent tués ou blessés; l'état-major du com- mandement général Perdit, à lui seul, 5 officiers, 2 employés, 27 hommes et 95 chevaux. » (Ann. 1.) La première division du commandement général était installée au « Marktplatz », assure le rapport, se basant sur la déposition du général von Boehn. Celui-ci a-t-il voulu désigner sous ce nom la Grand'Place (Groote Markt, en flamande, ou bien la place du Peuple, contigûe au Marché aux Grains, comme le font plusieurs autres témoins? Quoi qu'il en soit, c'est sur la place du Peuple que se trouvait la première division du commandement général, ainsi que cela résulte à toute évidence des dépositions de ceux qui en faisaient partie, notamment le capitaine von Esmarch (Ann. 46). C'est dans la rue de la Station et à la place de la Station que la fusillade fut la plus violente. La compagnie de landsturm qui se trouvait au milieu des convois de bagages dut se retirer à la gare, pour pouvoir mieux se mettre à couvert. Les troupes qui stationnaient sur la place du Peuple eurent aussi à subir un feu violent. (Ann. 6, 20, 46.) Vovons ce qui s'est passé à ces deux endroits, place du Peuple et place de la Station, où, d'après la commission d'ennuête, l'action des francs-tireurs a été la plus énergique. Nous ferons d'abord remarquer que la place du Peuple était un endroit bien peu favorable à un guet- apens ; le terre-plein qui en constitue la plus grande partie est entouré d'une double rangée de marronniers, 22 à feuillage très épais, qui forme un rideau de verdure impénétrable. (Fig. 3.) Il eut été impossible aux habitants de tirer, des fenêtres des étages et des toits, sur les soldats qui étaient installés sur la place ; ils n'auraient pu atteindre que ceux qui se trouvaient immédiatement devant les maisons. De plus, la place du Peuple n'est pas située, comme son nom pourrait le faire croire, dans un quartier populaire; au contraire, c'était un des endroits les plus distingués de toute la ville. Les maisons qui l'entouraient étaient habitées en grande partie par des rentiers ou des personnes exerçant une profession libérale. En voici la liste : <4W Q:2TpW I i "%5 wm" T^V $/ 1 6 '' ' > * x if : 5 « * S Tu ; ■' Fig. 3. Plan de la place du Peuple et des environs. Café de la Régence ; M. Schoofs, pharmacien ; M. De Keyser, avocat ; M. Bosmans, notaire ; M. Perdieus, avocat ; M. Fréson, rentier ; Mlle Mertens, tailleuse ; M. De Bruyn, conseiller provincial ; M. Gilson, rentier ; M. De Herdt, pharmacien ; Mme Vollen, rentière ; M. Gaudissart, médecin militaire ; M. Moulin, ingénieur ; Mlle Torf, dentiste; M. Oliviers, avocat ; M. Van Grunderbeek, libraire-éditeur ; M. Louckx, photographe ; Mme Dillen, modiste ; M. Delmarcel, professeur ; M. Mathy, médecin ; M. Thirion, avocat ; Mme la baronne de Dieudonné ; Mme De Brouwer, rentière ; M. Bauchau, industriel ; M. De Becker, juge ; Mme de Neef, rentière ; M. Staes, marchand de vins ; M. Simon, juge ; M. Gilbert, homme de lettres ; M. Heerenaer, huissier ; Café du Commerce ; Mme Vinck, rentière ; M. Van der Zypen, avocat ; Maison inoccupée ; Café du Casino. Mme De Coster, rentière. — 23 — Plusieurs maisons, dont les habitants étaient partis, entre autres celles de M. Gilbert et de M. Staes, avaient été transformées, pendant la première semaine d'occupation, en de vraies casernes allemandes ; des soldats y avaient séjourné jusqu'au mardi soir. Pour ce qui concerne les événements qui se sont déroulés à la place du Peuple, le rapport renvoie aux dépositions 6, 20 et 46 ; il aurait pu y ajouter la déposition 41. Les deux premiers témoins, 6 et 20, n'ont rien vu. Le témoin 41 se trouvait sur la place ; il déclare qu'à 8 heures des coups de feu partirent des maisons et qu'il chercha abri auprès d'un chariot dont les chevaux venaient d'être abattus; mais lui non plus n'a pas vu qui tirait. Seul, le capitaine von Esmarch (Ann. 46) affirme avoir vu les francs-tireurs. « Ils furent saisis les armes à la main, dit-il, et abattus par les soldats qui se trouvaient sur la place. » Nous analyserons plus loin en détail la déposition de ce témoin. Contentons-nous ici de réduire à néant ce qu'il dit au sujet des exécu- tions. Aucun civil n'a été tué sur la place du Peuple (1). En conséquence, nous avons le droit de dire que la constatation de la présence de francs-tireurs à cet endroit ne repose que sur une déclaration dont la fausseté est évidente. Aux fanfaronnades du capitaine von Esmarch, on peut opposer le récit de l'échauffourée que Karl Moenckeber^ a publié dans le Dùsseldorfer General Anzeiger du 10 septembre 1914, sous le titre : « Notre baptême du feu à Louvain ». Moenckeberg, comme tous les Allemands, a l'esprit obsédé par le franc-tireur. Sur le parcours de Tirlemont à Louvain, il voit des maisons incendiées; il en conclut tout naturellement que les habitants ont tiré sur les troupes, et il plaint ces infortunés qui ont été assez naïfs pour croire que quel- ques coups de feu tirés au hasard pourraient arrêter l'armée allemande. Néanmoins, il craint les francs- tireurs, et il s'estime heureux d'être bien installé dans un compartiment de chemin de fer, à l'abri de leurs attaques. A peine débarqué à Louvain, il apprend qu'un combat se livre dans les environs. Ici, nous lui laissons la parole : (( Je venais de manger un morceau à l'hôtel Métropole; de nombreux détachements d'infanterie n'ap- partenant pas à notre régiment passaient dans la rue ; on disait qu'on allait sonner l'alarme et que peut-être à la tombée de la nuit nous devrions prendre part au combat. Je cours jusqu'à la place, où se trouvaient nos chevaux sellés qui venaient d'arriver de la gare et où était installé le cam- pement d3,s chariots. Nous montons à cheval et chevauchons dans les rues qui grouillaient de sol- dats. L'excitation est grande et grandit encore à mesure que l'obscurité tombe ; personne ne sait ce qui se passe et les chefs sont forcés de retenir leurs hommes en criant à tue-tête, pour dominer le bruit du piétinement des soldats et du piaffement des chevaux. Après un certain temps, arrive un contre-ordre ; nous revenons en arrière et occupons de nouveau la place dont le terre-plein se remplit jusqu'au dernier petit coin de chariots attelés. Maintenant, on doit encore distribuer du fourrage, afin que, avant la nuit, hommes et chevaux puissent prendre leurs quartiers. Mon voisin, impatient, me citait la phrase suivante : « Le soldat passe la plus grande partie de sa vie à atteindre en vain », lorsque le dernier mot s'arrête dans sa bouche. Une détonation formidable vient de partir d'un coin de la place ; nous nous retournons avec la rapidité d'un éclair. Je vois, à hauteur d'homme, une lueur brillante. Ma première pensée est que l'artillerie belge arrive et tire sur nos troupes parquées sur la place. Au même moment, tous les chevaux de selle se préci- pitent du côté opposé à celui d'où est venue la détonation, se heurtent les uns aux autres et, en se débattant, s'engagent dans la rue qui se trouve en face. Les chevaux attelés, pris aussi de panique, se cabrent et tirent les chariots dans tous les sens; beaucoup rompent leurs liens et se mettent à galoper à travers toute cette cohue. Impossible de les maîtriser. La panique des chevaux menace de s'étendre aux hommes; personne ne sait ce qui se Passe. Tous, sans rien comprendre, regardent fixement dans la direction de la première détonation, en atten- dant une seconde. Alors, des quatre côtés de la place, une pluie de halles, venant des fenêtres fermées des prin- cipales maisons, s'abat en crépitant sur nous. Toute précaution est inutile. De quelque côté que l'on se tourne, les balles sifflent et crépitent à nos oreilles d'une manière folle. Quiconque a une arme — et tous avaient ou un fusil d'infanterie ou un mousqueton ou revolver — tire machinalement vers le premier point où il suppose un ennemi ; on tire une seconde fois, puis une troisième, on tire sans discontinuer, et tous se trouvent dans un double danger également grand, ou bien d'être abattus par les Belges, ou bien d'être atteints par leurs propres camarades. Mon revolver rate; une balle s'est calée dans le canon. Je me jette à plat ventre sous un arbre en même temps que plusieurs soldats qui tirent; je me représente d'une manière bien claire, mais aussi bien désespérée, que seul un miracle hautement invraisemblable peut me sauver, si ce chaos infernal doit encore durer quelques minutes. Je ne demande que d'être atteint d'un coup qui m'achève et ne me laisse pas à moitié mort entre les mains de ces agresseurs . Là ! écoutée ! Que signifient ces appels, ces ordres vociférés avec instance? D'abord, nous ne comprenons rien, car les détonations succèdent aux déto- nations. « Les Anglais arrivent », me dit un voisin à l'oreille. « Des troupes allemandes viennent à notre secours », cric un autre. Enfin, les cotips de feu deviennent plus rares, les voix plus distinctes, et nous com- prenons : « Tenez=vous tranquilles, ne tirez plus, ne tirez donc plus, tonnerre de tonnerre, tenez=vous tran= quilles ». (1) Deux habitants de In plncn du Peuple ont trouvé la mort au cours de ces journées : M. Heerenaer, qui a été atteint d'une balle dans la maison de son père, rue Coutereel, et M. Gilson, qui a été entraîné par les soldats hors de sa maison et dont le cadavre a été retrouvé dans la cour de l'hôpital. — 2/1 — (( Et, en effet, la tempête s'apaise un peu. La discipline allemande triomphe, l'ennemi est vaincu... » Singulière victoire que celle qui est assurée à celui qui, le premier, abandonne la lutte! N'est-ce pas la preuve que l'ennemi contre lequel il s'acharne est un ennemi imaginaire? Epinglons cet aveu sorti, peut- être bien involontairement, d'une bouche allemande : A la place du Peuple, la victoire a été remportée sur l'indicipline des troupes. Le récit qu'on vient de lire réfute l'allégation si souvent reproduite dans le Livre Blanc que, avant la fusillade du soir, les troupes allemandes étaient d'un calme parfait. Bien au contraire, dit Moenckeberg, l'excitation était grande et grandissait encore à mesure que tombait l'obscurité. Une détonation éclate et, aussitôt, c'est la plus folle des paniques. Qui a tiré? Personne n'en sait rien, mais n'importe, on riposte; tout le monde tire, à droite, à gauche, dans toutes les directions. Des officiers, des soldats, des chevaux tom- bent. Les chefs, s'apercevant que la comédie de l'attaque des francs-tireurs prend des proportions auxquelles ils ne s'attendaient pas, veulent la faire cesser. Mais ils ne sont plus maîtres de leurs soldats, et ce n'est qu'au prix de mille efforts qu'ils parviennent à ramener un peu de calme dans les rangs. Des morts et des blessés gisent sur la place. De qui sont-ils les victimes? Evidemment, des francs-tireurs. Et sus aux francs-tireurs ! Officiers et soldats se précipitent dans les maisons, pénètrent dans les caves où les habi- tants, terrorisés par la fusillade, ont cherché un refuge. Hommes, femmes, vieillards, enfants, on les fait sortir à coups de poing, à coups de crosse de fusils ; ce sont eux les meurtriers, les assassins. On les abreuve de coups et d'injures ; on les menace de les fusiller. Mais, auparavant, ils devront assister à l'in- cendie de leurs maisons. Pendant que les sauvages accomplissent leur sinistre besogne, on force ces malheu- reux à tenir les yeux fixés sur leurs biens qui flambent. Détournent-ils la tête? Un coup de crosse les rappelle bientôt à l'obligation qui leur est imposée. Une femme s'évanouit ; sa fille veut se baisser pour lui porter secours; un soldat l'en empêche brutalement et, en ricanant, brise sous son talon le flacon de sels qu'elle voulait présenter à sa mère... Mais, passons. N'insistons pas davantage sur toutes ces horreurs qu'il ne nous est pas permis, dans les circonstances actuelles, de préciser. Nous voulons avant tout ruiner les accusations de nos ennemis. Lorsque l'heure de la liberté aura sonné, à notre tour, nous dresserons les nôtres, et elles seront terribles ! G. — ECHAUFFOURÉE DE LA PLACE DE LA STATION. Au sujet de ce qui s'est passé à la place de la Station, le rapport se contente de dire que c'est là que la fusillade fut la plus intense ; il n'esquisse aucune narration des faits et ne renvoie à aucune déposition. Cependant, bien des témoins parlent des événements qui se sont déroulés à cet endroit ; citons les dépo- sitions i, 2, 7, 8, io, ii, 12, 23, 24, 37-1, 37-2, 37-3, 38, 40, 42, 43, 44, 45, 48, 49. Qu'on jette un coup d'ceil sur ces dépositions et l'on sera frappé une fois de plus, des contradictions et des invraisemblances qu'on y rencontre. En voici un exemple : le lieutenant-colonel Schweder (Ann. 7), venant de la rue Léopold, arrive à la place de la Station au moment où la compagnie de von Sandt est en lutte avec les francs-tireurs ; en confrontant sa déposition avec celle de von Sandt, il en résulte que ce devait être vers 7 1 h heures, 8 heures au plus tard. Il prend part au combat ; après dix minutes, une accal- mie se produit et il en profite pour envoyer de fortes patrouilles dans les maisons de la place, afin de saisir tous les habitants. Le « Feldwebel » Hilmer (Ann. 37) arrive par le train, à 8 heures; il reçoit l'ordre de perquisitionner dans les maisons situées en face de la gare et d'y mettre le feu. (( Vers 11 heures, dit-il, ce travail était fini. » L' <( Oberleutnant » Doerffer, commandant de la gare (Ann. 44), affirme qu'entre io heures et 10 1/2 heures la plupart des maisons de la place de la Station étaient en flammes. Voilà donc trois témoignages d'où il ressort que, avant 10 1/2 heures, les maisons de la place de la Station avaient été évacuées et que la plupart d'entre elles brûlaient déjà. Or, voici ce que dit le général von Boehn (Ann. 1) : « Un feu particulièrement violent, provenant des toits des maisons situées en face de la gare, vint surprendre soudainement vers 11 heures le commandement général et les troupes qui se trouvaient sur la place; nous nous vîmes dans la nécessité d'incendier les habitations . » Qui faut-il croire? Le général von Boehn fait manifestement erreur ; la fusillade dont il parle ne partait pas du toit des maisons situées en face de la gare, mais bien uniquement de l'hôtel Marie-Thérèse. Cela résulte des dépositions 8, 10, 11, 44, 45. Nous reviendrons tout à l'heure sur cet épisode. Voici comment on peut rétablir, dans les grandes lignes du moins, la suite des événements. Les cafés-hôtels, au nombre de quatorze, situés sur la place de la Station, avaient été occupés, dès l'entrée des Allemands à Louvain, par des officiers et des soldats. Des perquisitions avaient été faites de la cave au grenier et rien de suspect n'avait été découvert. Pour la nuit du 24 au 25, toutes les chambres étaient encore retenues par les Allemands, comme en témoigne l 'officier-paveur Rudolph, arrivé à Louvain le 24 (Ann. 45) : « D'abord, je m'adressai aux propriétaires des hôtels situés sur la place de la Station, et particu- lièrement au tenancier de l'hôtel Marie-Thérèse. On m'accueillit Partout de la façon la f>lus aimable. Mais, comme les chambres étaient occupées par des officiers d'autres détachements, on ne put me fournir le loge- ment nécessaire. » On conviendra que, dans l'hypothèse du complot, le lieu de réunion des francs-tireurs eût été particulièrement mal choisi ! Le 25 août, à 8 heures du soir, les tenanciers des cafés fermèrent leurs portes, suivant l'ordre formel qui avait été donné par la Kommandantur : à partir de 8 heures, tous les établissements publics devaient — 25 — être fermés et aucun civil ne pouvait se trouver en rue. A ce moment, la place de la Station était remplie de chariots et de soldats. Quelques instants après 8 heures, un coup de sifflet très strident se fit entendre et aussitôt les soldats qui se trouvaient sur la place se mirent à tirer dans toutes les directions. Il était au moins 8 heures, et non pas 7 heures, comme le prétend le Livre Blanc, lorsque les premiers coups de feu éclatèrent; le fait que les cafés étaient fermés ne peut laisser aucun doute à cet égard. Cette constatation est importante, car elle confond tous les témoignages qui prétendent qu'il faisait encore suffisamment clair pour voir les civils tirer des maisons. Les habitants, effrayés par la fusillade, se réfugièrent soit dans les pièces de derrière, soit dans les caves. Ils n'y furent pas longtemps seuls; des officiers, qui se trouvaient dans leurs quartiers au moment où les premières détonations se firent entendre, furent, eux aussi, pris de panique et allèrent rejoindre les civils dans leur refuge. Ce fut un spectacle peu banal que celui d'officiers allemands cherchant un abri contre le feu de leurs propres troupes dans les caves des francs-tireurs belges. Si extraordinaire que le fait puisse paraître, il est cependant parfaitement établi. En attendant que nous puissions produire les témoignages des habitants de Louvain, nous pouvons citer, pour faire la preuve de notre assertion, la déposition de 1' « Ober- leutnant » Telemann (Ann. 6) : « Le 25 août, au soir, je soufais en compagnie de deux médecins d'état-major au café Royal, à la Grand'Place; ce café a été incendié. Tout à coup — d'après mes souvenirs ce devait être peu après 7 heures, — j'entendis au dehors, sur la Grand'Place, une violente fusillade qui augmentait conti- nuellement d'intensité, ha tenancière de V établissement — une Allemande (1) — éteignit la lumière électrique, et, avec les autres clients, qui étaient presque tous des officiers de. notre armée, nous nous retirâmes dans une salle de derrière pour ne pas être atteints par les coups qui étaient tirés de la rue. » L' « Oberleutnant » Tele- man avoue donc qu'il s'est réfugié dans une maison, sur laquelle des coups de feu étaient tirés de la rue, donc par des soldats allemands, et qui, dans la suite, fut incendiée comme étant un repaire de francs- tireurs. C'est exactement ce qui s'est passé dans plusieurs maisons de la place de Station. Pendant que les habitants, accompagnés des officiers, étaient réfugiés dans la partie de leur habi- tation qu'ils croyaient la plus sûre, que se passait-il au dehors? Comme à la place du Peuple, les premiers coups de feu provoquèrent une panique. Nous n'avons pas, pour ce qui s'est passé place de la Station, de récit aussi vivant et aussi animé que celui de Moenkeberg (§ 3, G); mais le Livre Blanc lui-même offre la preuve de ce que nous avançons. Le caporal Fenes (Ann. 22) reconnaît que, dès les premiers coups de feu, il se produisit une cohue folle (ein toiles Durcheinander ) . Les chevaux s'emballèrent et se mirent à galoper dans toutes les directions. Au milieu du bruit de la fusillade, on entendait distinctement les cris de : Die Franzosen sind da. Die Englaender sind da. — Les Français, les Anglais sont là. » Sur ces entrefaites, un train entra en gare, venant de la direction de Tirlemont; il amenait 'es troupes du 3e bataillon du régiment d'infanterie de réserve n° 75. Croyant sans doute à l'arrivée de renforts ennemis, les soldats qui se trou- vaient sur le boulevard de Tirlemont se mirent à tirer dans la direction du train. La méprise fut de courte durée, car, d'après les témoins 37-1 et 37-2, après dix minutes, le feu cessa tout à coup et les troupes nou- vellement arrivées purent débarquer à l'aise. Comment expliquer l'arrêt brusque et définitif de la fusillade, sinon par l'intervention des officiers, qui, comme à la place du Peuple, ont dû courir à travers les rangs, en criant à tue-tête : « Tenez-vous tranquilles, ne tirez plus. » Lorsque le calme se fut un peu rétabli, commença le second acte de la sinistre comédie : l'arrestation des francs-tireurs. Des groupes de soldats envahirent les maisons et saisirent tous les habitants qu'ils y rencontrèrent. Les officiers poltrons qui s'étaient réfugiés dans les caves eurent la lâcheté d'abandonner leurs protecteurs aux mauvais traitements des soldats; ils s'esquivèrent promptement, heureux sans doute d'en être quittes à si bon compte. L'un d'entre eux, cependant, eut un bon mouvement : pour protéger la maison où il avait trouvé un abri, il s'offrit à aller placer lui-même un drapeau blanc à l'étage ; à peine s'était-il approché de la fenêtre que, de la place, on se mit à tirer sur lui, si bien qu'il fut forcé de descendre sans avoir pu réaliser sa bonne intention. Il jugea sans doute qu'il ne pouvait faire davantage et disparut. Trois patrons de café et un garçon furent assassinés ; les autres habitants de la place furent conduits, les uns à l'intérieur de la station, les autres à l'hôtel de ville ; ceux-ci furent dépouillés, par des soldats gradés, de tout ce qu'ils avaient sur eux; on enleva même jusqu'aux chapelets des femmes. Après les perquisitions et l'arrestation des habitants, l'incendie. Le feu fut mis aux maisons de la place, sauf à l'hôtel Marie-Thérèse; cette dernière maison fut provisoirement épargnée, parce qu'un dépôt de benzine se trouvait à proximité. (Ann. 8.) Tout ceci se passait entre 8 heures et 10 1/2 heures. Il est prouvé autant par le témoignage des Louva- nistes que par ceux du Livre Blanc que, avant 10 1/2 heures, les soldats avaient fait sortir les habitants des maisons (Ann. 7, 37-2) et que la plupart de celles-ci étaient déjà en feu. (Ann. 37-2 et 44.) Or, c'est entre 10 heures et 10 1/2 heures que le général von Boehn arriva à la place de la Station; l'heure de son arrivée n'est mentionnée en aucun endroit du Livre Blanc, mais on peut la déterminer par voie de déduction. En effet, le général, y est-il dit, rentra en ville, venant de Bueken, à 9 1/2 heures ; il se rendit d'abord à l'hôtel de ville ; là il se fit mettre au courant par les officiers de ce qui se passait, puis il fit adresser par un interprète des discours menaçants aux otages et prit des mesures pour réprimer la révolte. (1) C'était la caissière et non la tenancière de l'établissement qui était allemande. Le café était exploité par un Belge, M. Raes. — 26 — En admettant que tout cela, y compris le parcours de la porte de Malines à l'hôtel de ville et de l'hôtel de ville a la gare, n'ait pris en tout qu'une demi-heure, von Boehn doit être arrivé à la place de la Station au plus tôt à 10 heures. Il lit appeler 1' « Oberleutnant » von Sandt (Ann. 8) et lui fit jurer que les habitants avaient attaqué [es troupes allemandes. C'est la preuve qu'à ce moment-là aucun coup de feu n'était tiré des maisons, sinon le général n'aurait pas eu besoin de recourir au serment d'un officier pour s'assurer de l'attaque des civils. Tout à coup, vers n heures, une fusillade violente partit des fenêtres et du toit de l'hôtel Marie-Thé- rèse. (Ann. 2, 8, io, 1 1, 44, 45.) Or, à cette heure, il ne pouvait plus y avoir dans cette maison que des soldats allemands. Elle avait été fouillée de haut en bas ; le tenancier de l'établissement et les membres de sa famille avaient déjà été arrêtés et conduits à l'intérieur de la gare. En admettant même que des francs- tireurs aient pu se cacher dans l'hôtel et échapper ainsi à la perquisition des soldats allemands, auraient-ils été assez sots pour aller tirer quelques coups de feu du haut du toit de l'hôtel, alors que toutes les maisons voisines flambaient et que la place de la Station aussi bien que les rues avoisinantes étaient remplies de soldats (Ann. 45)? Et puis, les francs-tireurs, que sont-ils devenus? Rien n'était plus facile que de cerner la maison ; sa situation, au coin de la place de la Station et de la rue Marie-Thérèse (fig. 2, lit. B), rendait l'opération particulièrement facile, et il ne manquait certes pas de soldats pour former un cordon infranchis- sable. Les francs-tireurs ne pouvaient s'échapper, ils devaient être tués ou fait prisonniers. Eh bien, par- courons les dépositions qui relatent l'épisode et voyons comment la lutte s'est terminée. Les témoins 11 et 45 ne disent absolument rien de ce qui s'est passé après la fusillade. Les témoins 8 et 10 : « Nous avons tiré sur la maison, disent-ils, et puis nous y avons mis le feu. » Le témoin 44 déclare que l'ordre fut donné de faire une nouvelle perquisition, mais il est muet sur les résultats qu'elle a donnés. Quant au major von Klewitz (Ann. 2), il dit que, lui et ses compagnons, se mirent immédiatement à l'abri (Wir nahmen sofort aile Deckung). Les troupes, ajouta-t-il, s'emparèrent de da maison et l'incen- dièrent. Les francs-tireurs, personne ne les a vus ; leurs fantômes se sont évanouis. Que s'est-il passé? Pourquoi a-t-on tiré? A-t-on peut-être voulu offrir au général von Boehn un Fig. G. Bâtiments de la gare. F. Statue Van de Weyer. 4. Coupe de la place de la Station. Hôtel Marie-Thérèse. Rue de la Station. spécimen d'attaque de civils? Nous ne le savons pas; mais, ce qui est absolument certain — et pour le moment cette constatation nous suffit, — c'est que, de la confrontation des dépositions du Livre Blanc, indépendamment de tout autre témoignage, on peut conclure que les francs=tireurs de l'hôtel Marie=Thérèse ne peuvent avoir été que... des soldats allemands. En parcourant les dépositions, on est aussi frappé du nombre très restreint de blessés allemands dans l'échauffourée de la place de la Station, alors que, au dire des témoins, la fusillade fut d'une violence extra- ordinaire. <( De ma compagnie, dit le lieutenant-colonel Schweder (Ann. 7), un sous-officier et cinq hommes furent blessés. » Le sous-officier Hùllermeier (Ann. 10) a cherché à expliquer ce contraste entre la violence de l'attaque et le petit nombre des victimes. « Les habitants, dit-il, tiraient beaucoup trop haut ; ce fut notre salut, car, sans cela, un feu aussi terrible que celui qui était dirigé sur nous de toutes les maisons de la place de la Station aurait certainement tué ou grièvement blessé la plupart des officiers et des soldats. » Pour juger de la valeur de cette explication, il suffit d'examiner le croquis ci-dessus (fig. 4), donnant une coupe de la place, en tenant compte que, au dire du Livre Blanc lui- même (Ann. 45), la place et les rues avoisinantes étaient remplies de soldats (Waehrend des Schiessens, war der Bahnhofsplatz und die angrenzenden Strassen von unsercn Truppen gefullt). Si les habitants, postés aux fenêtres et sur les toits des maisons, ont tiré trop haut de façon à ne pas atteindre les soldats qui couvraient la place, ils ont dû cribler de balles la façade de la gare; or, on ne relève sur celle-ci que six traces de balles provenant, selon toute vraisemblance, de coups tiré de la rue, donc par des soldats. Dès lors, il ne reste qu'une explication : c'est que les francs- tireurs, en visant, du haut des maisons, les troupes qui se trouvaient sur la place, ont été si maladroits que leurs projectiles ont passé au-dessus des bâtiments de la station ! 1 ! — 27 — H. — Arrestation et jugement des francs-tireurs. Les scènes de la place du Peuple et de la place de la Station se renouvelèrent à plusieurs endroits de la ville, notamment Grand'Place, Vieux-Marché, rue de Tirlemont, boulevard de Tirlemont, rue des Joyeuses-Entrées (i). Partout, la comédie se déroule de la même manière : une ou deux détonations reten- tissent, suivies bientôt d'une fusillade très nourrie; les soldats, de la rue, criblent les maisons de balles ; les habitants, effrayés, se réfugient dans les caves; au bout de quelque temps, la fusillade cesse tout à coup; les soldats enfoncent les portes à coups de hache ou de crosse de fusil, saisissent les civils qu'ils accusent d'avoir tiré et qu'ils maltraitent de mille manières différentes, et, finalement, mettent le feu aux habitations. Parmi les nombreux récits de ces tristes scènes que nous avons recueillis et contrôlés, nous en choisirons un qui nous semble constituer un épisode-type de cette prétendue guerre de francs-tireurs. Nous ne pou- vons naturellement pas, dans les circonstances présentes, désigner d'une façon précise les personnes dont il s'agit; mais nous garantissons l'absolue exactitude de tous les détails. Le 25 août 1914, vers 4 heures et demie de l'après-midi, quatre officiers vinrent prendre quartier dans la maison occupée par la famille X; celle-ci se composait du père, de la mère et de 5 enfants âgés de 4 à 10 ans. Le repas était à peine commencé, vers 8 heures du soir, lorsque, tout à coup, on entendit des coups de feu dans le lointain. Les officiers se levèrent de table, se précipitèrent dans leurs chambres et quittèrent la maison en hâte. La fusillade se rapprocha et bientôt entoura la maison. Pendant que M. X... montait au second étage pour aller y chercher les enfants qui étaient déjà couchés, sa femme et les domestiques se réfugièrent à la cave. Après un certain temps, Mm6 X..., inquiète de ne pas voir revenir son mari, remonta au rez-de-chaussée. Elle y trouva ses enfants; ceux-ci lui dirent que des soldats allemands les avaient enlevés de leurs lits en leur disant de descendre. Et votre papa ? Nous ne l'avons pas vu, répondirent-ils. Tout à coup entra un des officiers qui avaient pris quartier chez M. X...; il se disait blessé et prétendait qu'on avait tiré sur lui des fenêtres de l'étage. Mme X... soutint que c'était chose impossible, qu'il n'y avait pas une seule arme dans la maison. Elle fit remarquer que des soldats allemands avaient pénétré jusqu'au second étage, puisqu'ils avaient fait sortir les enfants de leurs lits. Ne serait-ce pas eux qui auraient tiré? Un autre offi- cier, arrivé sur ces entrefaites, parut touché à la vue du spectacle qu'il avait sous les eux; il s'offrit à faire une perquisition. Après avoir parcouru la maison de haut en bas, il revint en disant qu'il n'avait rien trouvé de suspect et, pour protéger l'habitation, il alla lui-même placer un drapeau blanc à la fenêtre de l'étage. Mais ses bons sentiments ne pouvaient rien contre la meute endiablée qui s'agitait dans la rue. Sentant son impuissance, il conseilla à toute la famille de partir. Avant de quitter sa maison, Mme X... voulut savoir ce qu'était devenu son mari; on ne lui en laissa pas le temps; un soldat se contenta de lui dire cyniquement : (( Mann, en haut, tôt » (Mari, en haut, mort). A peine sortis, la pauvre mère, les enfants et les domestiques tombèrent entre les mains d'autres officiers qui les accusèrent d'avoir tiré et, en les accablant des pires injures, menacèrent de leur faire un mauvais parti. Parmi ceux qui se distinguaient par leur violence se trouvait un officier qui, quelques instant auparavant, était encore assis à la table de M. X... Lorsque la maison fut évacuée, le pillage commença; sous les yeux de Mme X..., des soldats emportèrent tout ce que contenait la maison, depuis les objets d'art jusqu'aux ustensiles de cuisine, puis ils mirent le feu à l'habi- tation principale et aux dépendances. Mme X... fut retenue prisonnière, avec ses enfants et ses domestiques, pendant toute la nuit; le mercredi matin, elle fut libérée, mais à condition de quitter la ville. Elle dut pren- dre le chemin de l'exil avec ses pauvres petits enfants à peine vêtus, sans savoir ce qu'il était advenu de son mari. Elle avait le pressentiment qu'il avait été tué au moment où il montait à l'étage; ce n'était, hélas, que trop vrai; les restes du corps carbonisé de M. X... furent retrouvés dans les ruines de sa maison. Cet infortuné père de famille, perfidement assassiné au moment où il se précipitait à l'étage de sa maison pour sauver la vie de ses cinq enfants, est probablement un de ceux que le Livre Blanc appelle « les coupables tués au cours du combat » (Taeter in Kampfe getoetet). Franc-tireur aussi, sans doute, que cette jeune mère, accouchée de deux jours et frappée d'une balle à la tête dans les bras de son mari au moment où celui-ci la transportait à la cave. Le mari fut fait prisonnier sans qu'on lui permit de dire un dernier adieu à sa femme et, détail particulièrement horrible, des monstres s'acharnèrent sur le corps de la malheureuse et lui écrasèrent la tête. Et ces vieillards de 80 ans, et ces enfants de 6 et de 18 mois, ont-ils, eux aussi, traîtreusement tiré sur les troupes allemandes? Dans quelle catégorie faut-il les ranger? Est-ce parmi les francs-tireurs tués au cours de la lutte ou parmi ceux qui ont été fusillés d'après la loi martiale? A en croire le Livre Blanc, il n'y a à Louvain que ces deux classes de victimes. Or, la liste des tués donne les noms de 11 enfants au-dessous de 17 ans, de 8 vieillards âgés de plus de 70 ans et de 21 femmes dont sept avaient dépassé la soixantaine. Ces chiffres sont suffisamment éloquents par eux-mêmes : tout commentaire serait superflu. D'après la commission d'enquête, les Allemands n'auraient fusillé que les civils reconnus coupables par un jugement régulier d'avoir participé à l'attaque. Nous protestons avec la dernière énergie contre cette affirmation. Aucune des victimes n'a été régulièrement jugée. Pour le prouver, ,nous aurons recours, ici encore, aux dépositions allemandes elles-mêmes. Le témoin qui s'étend davantage sur cette question extrême (1) A la rue des Joyeuses-Entrées, le feu ne fut mis qu'à une seu'Je maison ; et cependant la fusillade préparatoire avait été d'une violence, comme en témoignent certaines façades qui ont été vraiment déchiquetées par les projectiles (fig 9). — a8 — est Grimer (Ann. 38). Il décla're que, pendant la nuit du 25 au 26, sur la place de la Station, on a jugé 600 civils!! Nous avons vu plus haut combien la place de la Station, pendant la nuit tragique, constituait un endroit peu propice à l'administration de la justice. Qui croira qu'au milieu de ces fusillades, de ces incendies, de toutes ces scènes d'horreur et d'épouvante, les tribunaux" militaires aient pu juger avec quelque apparence de régularité ? Le témoin Grimer affirme qu'il a servi d'interprète à un grand nombre d'accusés, de 100 à 200. Admettons une moyenne de 150 et concédons — ce qui est manifestement exagéré — qu'il y ait eu pendant la nuit six heures d'accalmie relative. D'après ces données, le procès de chaque accusé n'aurait pas même duré deux minutes et demie. La justice allemande est expéditive ! Gruner, ne se rendant pas compte de l'absurdité de ses déclarations, ose ajouter : « D'après ma conviction intime, il est absolument impossible qu'un seul innocent ait été tué. En particulier, le capitaine Albrecht fit tout son possible, dans la situation pré- sente, pour engager les soldats à dire la vérité. Si on ne trouvait sur l'accusé ni arme, ni médaille de soldat, il s'adressait lui-même encore aux témoins, en leur demandant s'ils étaient bien sûrs de ce qu'ils décla- raient ; il leur faisait voir que, de leur déposition, dépendait la vie ou la mort d'un homme. Ce n'était qu'après que les soldats, ainsi avertis, avaient maintenu leur déposition qu'était donné l'ordre de fusiller. » Et tout cela en deux minutes et demie ! On ne peut mentir plus effrontément et plus maladroitement ! En réalité, voici en quoi ont consisté les prétendus jugements. Les soldats amenaient, sans disconti- nuer, des habitants qu'ils avaient fait sortir de leurs maisons. Ils les fouillaient. Malheur à eux s'ils étaient trouvés porteurs d'une cartouche ou simplement d'une douille vide, qu'ils gardaient comme souvenir de la guerre. Des munitions! C'était la preuve irrécusable de leur participation au complot; ordre était donné de les fusiller. Un d'entre eux, Jean Smets, fut mis à mort parce qu'il portait, dans la poche de son gilet, une ancienne douille de cartouche montée en porte-crayon. D'autres civils étaient accusés par les soldats d'avoir tiré. Ils avaient beau protester de leur innocence, en affirmant qu'ils n'avaient pas d'arme; ils avaient beau supplier, se jeter aux genoux de leurs bourreaux, rien n'y faisait ; ils passaient devant le oeloton d'exécution. Parfois les soldats ne se donnaient même pas la peine d'accuser les habitants devant leurs chefs; ils fusillaient sans ordre. Pour s'en convaincre, qu'on lise le récit, par le docteur Berghausen, de l'assassinat de M. David-Fischbach, vénérable vie'llard de 82 ans (Ann. q) : « En voyant le cadavre, je supposai, dit le témoin, que les camarades du soldat, ayant vu aue c'était bien de la maison David-Fisch- bach qu'était parti le coup qui l'avait abattu, avaient aussitôt infligé le châtiment au possesseur de la maison. Voilà bien un aveu formel que les soldats s'improvisaient eux-mêmes justiciers! On ne connaîtra jamais tous les supplices qu'ont endurés ses martyrs; plusieurs de nos concitovens qui ont assisté à la mort de M. David-Fischbach et de son fils certifient que ces malheureux, avant d'être fusillés, ont été assommés à coups de crosse de fusil. Les exhumations des victimes des journées tragiques, faites les 14 et 15 janvier 1915, en présence des autorités allemandes, ont permis de constater que plusieurs cadavres portaient, outre des traces de balles, des blessures faites à l'arme blanche. Les bourreaux avaient torturé leurs victimes avant de les exécuter. Les 27 corps qui furent retrouvés dans le square en face de la gare avaient été enfouis dans des fosses, pêle-mêle, comme un tas d'immondices. Le spectacle était à ce point révoltant qu'un officier allemand présent aux exhumations, — et ce geste l'honore — ne put s'empêcher de manifester tout haut son indignation. Les 7, 8 et q septembre T914, ^ cadavres avaient déjà été retirés d'un puits à chaux et 16 autres d'une fosse, profonde de 2 mètres, qui devait servir de fosse d'aisance à une maison en construction, au coin de la rue Marie-Thérèse et du boulevard de Tirlemont (fig. 2, lit. E). Comme des ordures, les corps avaient été jetés, les uns sur les autres, au fond de la fosse, entre les pou- trelles qui en obstruaient l'entrée et qu'on ne s'était même pas donné la peine de déplacer. Tout sentiment humain avait disparu du cœur des barbares qui torturaient en ce moment la cité louvaniste; ils avaient perdu jusqu'au respect de la mort. I. — Incfndtes. « T^es maisons d'où l'on avait tiré furent incendiées. On ne put empêcher que le feu ne se communiquât à d'autres maisons et n'anéantît certaines sections de rues. C'est de cette manière que la cathédrale prit feu. Nos soldats empêchèrent le développement de l'incendie: sous la conduite de leurs officiers, ils se dévouèrent pour limiter les ravages du feu. C'est grâce à eux que seulement une partie relativement Petite de la ville, c'est-à-dire le quartier situé entre la gare et l'hôtel de ville, devint la proie des flammes. C'est à nos soldats que l'on doit la conservation du superbe hôtel de ville. » Les Allemands ont incendié Louvain et... ils se iiurent difrnes de l'admiration universelle pnree que la ville toute entière n'est pas détruite. A lire le Livre Blanc, on croirait oue les soldats n'ont été des incendiaires que pour avoir l'occasion de prouver Jteurs oualités de nomoiers. Les agents de l'Alle- magne ont claironné, aux quatre coins du monde, que l'hôtel de ville de Louvain avait été préservé grâce au dévouement des soldats; pendant que ceux-ci se livraient à leurs travaux de sauvetage, disent-ils, les civils ne cessaient de tirer sur eux. Une infâme brochure de propagande Die Eroberung Belpiens (p. 100) ne va-t-elle pas jusqu'à dire que les Louvanistes devront garder pieusement dans leur mémoire le souvenir des officiers et des sous-officiers à qui ils sont redevables de la conservation du ioyau artistique de leur cité. L'armée allemande nous paraît se mettre dans le cas d'un bandit qui, après avoir précipité toute une famille — 29 — dans les flammes, aurait été subitement frappé de la beauté d'un enfant, l'aurait arraché du brasier et, pour prix de son acte, demanderait une médaille de sauvetage. 11 est d'ailleurs faux de prétendre que les soldats aient essayé de circonscrire les ravages du feu; bien au contraire, à plusieurs endroits, ils ont mal- mené les habitants qui cherchaient à protéger leur maison ou. les édifices publics; à la Grand'Place, le mercredi 26, quelques courageux citoyens, qui essayaient d'éteindre l'incendie des maisons avoisinant l'hôtel de ville ont été arrêtés et collés au mur comme pour être fusillés; lorsque la torture fut jugée suffisante, on les libéra. Le même jour, au même endroit, des soldats ont volontairement rendu inutilisable une pompe à incendie. Dans un discours prononcé le 18 octobre 1872 à l'occasion de l'anniversaire de la défense de Châ- teaudun, le P. Monsabré parlait ainsi des soldats allemands : « Les voilà à la besogne ; les portes cèdent sous leurs coups ; ils chassent les habitants à la baïonnette et incendient les maisons avec une infernale méthode qui éloigne l'excuse de ces emportements auxquels se livre d'ordinaire la passion. Ils vont priver de leurs dernières ressources des pauvres qui n'ont pris aucune part à la défense : c'est égal, ils brûlent. On les supplie, on les conjure avec des larmes, on leur fait des promesses ; rien ne les émeut, ils brûlent. Des vieillards, des infirmes, des femmes, des enfants vont périr dans leurs lits ou dans les caves ; qu'im- porte, ils brûlent. Là où l'on a contenté leur voracité, ils brûlent. Le plaisir de manger tient une large place dans leur vie, mais pour eux une volupté plus grande, c'est le bruit des écroulements et la plainte des désespérés. Chose horrible, hideuse, des généraux, des princes même descendent, comme de vulgaires bandits, au rôle d'incendiaires. Le feu est une solennité qui complète les victoires. » Lorsque, avant la guerre, nous lisions ce discours, nous mettions sur le compte du chauvinisme français ou de l'amplification oratoire, ce que nous croyions être des exagérations manifestes. Nous ne vou- lions pas croire à tant de barbarie. Aujourd'hui, nous ne doutons plus ; nous avons vécu toutes les scènes d'horreur dont parle le P. Monsabré, avec cette différence que, au lieu de 197 maisons, comme à Château- dun, les Allemands en ont brûlé à Louvain, dans la ville et les faubourgs immédiats, plus de 2,000. Ils ont fait des progrès depuis 1870! Leur rage de destruction ne s'est pas bornée aux habitations privées ; elle s'est étendue aux monu- ments publics. Ils mirent le feu à la collégiale Saint-Pierre, aux Halles universitaires, à l'école commerciale et consulaire de l'Université, au Palais de Justice et au théâtre. Le Livre Blanc soutient que le feu a été communiqué à la collégiale Saint-Pierre (qu'il appelle la cathédrale) par des flammèches provenant des maisons voisines. C'est une nouvelle explication de cet incendie ; car, au lendemain des événements, les journaux d'outre-Rhin ont annoncé que les troupes allemandes s'étaient vues dans la nécessité d'incendier l'église Saint-Pierre, parce qu'on y avait trouvé, d'après les uns, des fusils, d'après les autres, des mitrail- leuses. L'explication du Livre Blanc est tout aussi fausse que celle de la presse allemande. Il n'est pas vrai que l'Eglise Saint-Pierre ait pris feu par contact; de nombreux témoins ont vu des soldats, montés sur les toits de l'église, promener des torches enflammées tout autour du campanille. D'ailleurs, il suffit de visiter la collégiale pour se rendre compte que le feu fut mis volontairement à six chapelles latérales du côté sud. Ces foyers d'incendie, heureusement, ne se développèrent point; d'autre part, la voûte résista, sauf à un endroit, à l'écroulement du toit et de la charpente ; c'est grâce à ces circonstances que nous n'avons pas à déplorer la perte totale de ce superbe édifice. Il est prouvé, de façon indéniable, que les Allemands avaient résolu de l'anéantir, puisqu'ils y avaient mis le feu, à la fois à l'extérieur et à l'intérieur. Quant aux autres établissements publics que nous avons cités plus haut et qui sont devenus la proie des flammes, le Livre Blanc n'en dit mot ; il n'invoque même pas, pour en justifier la destruction, l'excuse du feu par contact. Ce silence est d'autant plus étonnant que, parmi eux, se trouve un monument qui doit intéresser tout spécialement la « savante et artiste » Allemagne : nous voulons parler des Halles universitaires. Cet édifice, bâti au XIVe siècle pour servir de halle aux draps, devint, depuis 143 1, le siège principal de l'Université, fondée en 1426. En ces derniers temps, il avait été entièrement réservé à l'admi- nistration et à la bibliothèque de l'Université. Celle-ci comprenait, outre 750 manuscrits, dont la plupar: dataient du moyen-âge, et une collection unique d'un millier d'incunables, plus de 230,000 volumes. De toutes ces richesses scientifiques, de toutes les archives de l'Université qui se trouvaient aux Halles, de tous les portraits d'anciens recteurs et professeurs qui retraçaient, en image, l'histoire de cette vénérable institu- tion, il ne reste plus rien, absolument plus rien. Seuls, les murs extérieurs de l'édifice et les colonnes de la salle des Pas-Perdus ont résisté à l'incendie. A la suite de cet acte de vandalisme, l'attitude des défenseurs de l'Allemagne fut hésitante. La plupart — et parmi eux les 93 universitaires — jugeant sans doute le cas mauvais, adoptèrent la politique suivie par le Livre Blanc et passèrent sous silence la destruction des Halles et de la bibliothèque. Quelques-uns affirmèrent que c'était l'incendie des maisons voisines qui avait communiqué le feu aux Halles et que, si la bibliothèque avait péri, c'était malgré les soldats allemands qui avaient fait tout leur possible pour la snuver. La visite des ruines des Halles convaincra tout enquêteur impartial de la fausseté de cette affirmation; on y constate, en effet, qu'un foyer d'incendie extrêmement vio- lent a été allumé dans les caves qui se trouvent sous la bibliothèque. Dans le Dusseldorjer General-Anseiger (27 septembre 1914, n° 208, Beilage), le Dr Oskar Bongard déclare que si le feu a été mis aux Halles (donc volontairement), la faute en incombe à ceux qui avaient placé sur ce « célèbre asile de la science » des mitrailleuses, manceuvrées, lui a-t-on dit à Louvain, par des étudiants russes. On doit avoir singulièrement mystifié ce « Herr Doktor », car il n'y avait à l'Université de Louvain aucun étudiant russe proprement — 3o — dit. Quinze étudiants polonais étaient inscrits pour l'année scolaire 1913-1914 ; de ceux-ci, un seul était présent à Louvain au moment de l'incendie. Le comble de l'impudence nous semble avoir été atteint par Robert Rehlen, dans une brochure intitulée : Kleine Kriegskunstgeschichte (p. 14). L'auteur ne nie pas que le feu ait été mis volontairement aux Halles, mais si la bibliothèque a péri dans les flammes, la faute en est, dit-il, d'abord aux bourgeois de Louvain qui n'ont fait aucun effort pour sauver les trésors de îa bibliothèque et ensuite à l'administration de l'Université dont l'incurie avait laissé subsisté les anciens rayons en bois 1 On ne peut être plus cynique! Rehlen se trompe d'ailleurs grandement. Il y avait à la bibliothèque de nombreux rayons en fer... provenant d'Allemagne. Nous lui conseillons de s'adresser à la firme Lippmann, de Strasbourg, qui pourra lui donner tous les renseignements nécessaires au sujet des commandes qui lui ont été faites par l'Université. En présence de ces affirmations contradictoires nous aurions voulu savoir quelle était la version officielle de l'incendie des Malles et de la bibliothèque. Mais le Livre Blanc a jugé plus sage de ne pas en parler. Le gouvernement allemand pousserait-il la naïveté jusqu'à croire qu'il lui suffit de taire officiel- lement le crime pour que celui-ci disparaisse à tout jamais dans les profondeurs de l'oubli? Chose vraiment incroyable, nous avons vu affiché sur les murs calcinés de nos Halles, ainsi que sur l'église Saint-Pierre, un placard officiel affirmant que les œuvres d'art n'ont pas de meilleurs protecteurs que les troupes allemandes! Cet exploit de barbares que constitue la destruction des Halles universitaires a déjà suscité l'indignation du monde entier; c'est une souillure que ni le silence, ni les mensonges des défenseurs de l'Alle- magne ne parviendront jamais à effacer, et il avait raison celui qui proposait de placer sur les ruines de la bibliothèque le chronogramme suivant de 1914 : ICI finit La CVLtVre aLLeManDe. J. — Les otages. Pour achever de passer en revue les allégations de la commission d'enquête au sujet de la nuit du 25 au 26 août, il nous faut dire encore un mot de la question des otages. On a déjà suffisamment stigmatisé le procédé inique de la prise d'otages pour que nous nous dispensions d'insister sur ce qu'il y a d'odieux dans le fait d'arrêter les notabilités d'une ville en les rendant responsables de l'acte isolé d'un criminel ou d'un dément. D'après la commission d'enquête, le général von Boehn, en revenant de Bueken, fit saisir le bourg- mestre et d'autres notabilités de la ville. Cette affirmation est fausse; voici comment les choses se sont passées : Dès le vendredi 21 août — la commission d'enquête feint de l'ignorer — les autorités militaires avaient exigé des otages. Le bourgmestre, le recteur de l'Université, les échevins, des conseillers commu- naux, des membres de la magistrature avaient été successivement arrêtés; ils avaient dû, par groupes de deux ou de trois, rester prisonniers pendant vingt-quatre heures. Le mardi 25 août, les otages du jour étaient Mgr Coenraets, vice-recteur de l'Université, et M. Maes, juge au tribunal. Quelques minutes avant 8 heures, le P. Parys, dominicain, M. Meulemans, docteur, M. De Coninck, pharmacien, tous trois attachés à l'ambulance établie au couvent des P. P. Dominicains, se rendirent à l'hôtel de ville : ils désiraient obtenir un permis de circuler après 8 heures du soir, car les médecins mili- taires allemands avaient annoncé, à l'ambulance, qu'il arriverait sans doute de nombreux blessés au cours de la nuit. Pendant qu'ils se trouvaient dans le bureau de von Manteuffel, les premiers coups de feu éclatèrent; aussitôt le commandant ordonna d'arrêter et de retenir prisonniers ces membres du personnel de la Croix-Rouge, en même temps qu'un industriel, M. Nys, qui se trouvait aussi en ce moment à l'hôtel de ville. Les quatre otages d'occasion furent conduits dans une salle de l'étage où se trouvaient déjà les deux otages officiels, Mgr Coenraets et M. Maes; on les plaça dans l'embrasure des fenêtres ouvertes, le dos tourné vers l'extérieur; de la sorte, ils seraient les premières victimes si les habitants tiraient sur l'hôtel de ville. Vers 9 h. 1/2, le général von Boehn, revenant de Bueken, entra dans la salle accompagné des officiers de son état-major. Il chargea son interprète d'adresser un discours menaçant aux otages. S'il entendait encore tirer, ils seraient tous pendus; la ville serait bombardée et condamnée à payer une amende de 20 millions. Mgr Coenraets et le P. Parys, en leur qualité de prêtres sans doute, furent désignés pour aller proclamer dans les rues les menaces du général. Ce fut un spectacle bien pénible que celui de ces deux prêtres, contraints, par la force et la menace, à demander à la population de ne plus tirer sur les troupes allemandes et paraissant ainsi se poser en accusateurs de leurs propres concitoyens. Ils ignoraient tout ce qui se passait autour d'eux; ils entendaient tirer, et à chaque coup de feu qui éclatait, les officiers ne ces- saient de leur répéter que les habitants tiraient sur les soldats. La nuit était déjà bien avancée lorsque Mgr Coenraets et le P. Parys vinrent retrouver à l'hôtel de ville leurs compagnons d'infortune. Le mercredi matin on fit sortir les six otages en disant qu'on allait les fusiller. Dans la cour de l'hôtel de ville un officier saisit à la gorge Mgr Coenraets et lui dit, en un français très correct : « Nous sommes des protestants, nous autres, et nous allons vous montrer comment nous savons fusiller de sales jésuites comme vous. » Ils furent conduits à la gare et enfermés dans un wagon à bestiaux; peu de temps après, — 3i — des soldats vinrent réclamer Mgr Coenraets et le P. Parys pour les faire passer, disaient-ils, devant le peloton d'exécution. Ceux-ci étaient sortis depuis quelques minutes lorsque les soldats, suivant un procédé de terrorisation qui fut d'application fréquente à Louvain, tirèrent une salve pour faire croire à ceux qui étaient restés dans le wagon que les deux prêtres avaient été fusillés. Mgr Coenraets et le P. Parys furent reconduits en ville et chargés de faire de nouvelles proclama- tions : ils furent remis en liberté dans la journée. Les quatre autres otages furent emmenés en Allemagne, au camp de Munster; leur voyage, qui dura jusqu'au vendredi soir, fut un long supplice. A chaque gare, les soldats qui les gardaient excitaient la population contre les prisonniers, en disant que c'étaient des francs- tireurs louvanistes qui avaient coupé les jambes à un commandant allemand et des membres de la Croix- Rouo-e qui avaient empoisonné les soldats dans les hôpitaux et crevé les yeux aux blessés... Après quelques mois de captivité, les otages furent renvoyés à Louvain. § 4. — Les faits postérieurs à la nuit du 25 au 26. Alors que le récit de la commission d'enquête décrit — nous venons de voir avec quelle exactitude — les événements qui ont marqué la nuit du 25 au 26, il est presque muet sur les faits qui ont suivi. Voici tout ce qu'il en dit : Les troubles continuèrent ce jour (le 26) et les jours suivants, malgré les exhortations des otages qui, le 26 et le 27, jurent encore conduits dans les rues de la ville pour engager les habitants au calme. Il renvoie aux dépositions 1, 37, 38, 40, 44, 45, 47. Qu'on se reporte à ces dépositions et l'on verra qu'il n'y est question que de faits isolés, dans l'exposé desquels l'imprécision le dispute à l'invraisemblance. Nous les réfuterons en lieu et place. Il y aurait de quoi alimenter une revue pendant plusieurs années avec les récits des souffrances que les Louvanistes ont endurées pendant les journées qui ont suivi la première nuit tragique. Aucune torture, ni physique, ni morale, ne leur fut épargnée. Le moment n'est pas encore venu de mettre à nu toutes ces horreurs. Le régime de terreur qui a enlevé à notre pauvre pays jusqu'au dernier souffle de liberté ne nous permet pas, par des précisions qui pourraient être dangereuses d'exposer nos témoins à d'iniques repré- sailles. Plus tard, on détaillera, avec noms et preuves à l'appui, la lamentable odyssée de ces victimes. En attendant, les narrations précises qui ont été publiées, en terre libre, par des réfugiés louvanistes, suffisent déjà à donner une idée des méthodes de terrorisation en usage dans l'armée allemande. Il faut cependant que nous suppléions au silence de la commission d'enquête sur les événements du 26 et des jours suivants. Nous nous bornerons à les esquisser à larges traits. A. — La journée du 26. Le mercredi 26, la chasse aux soi-disants francs-tireurs recommence de plus belle, principalement dans les quartiers avoisinant la gare — rue de la Station, rue de Diest, rue Marie-Thérèse, boulevard de Tirle- mont, chaussée de Tirlemont, rue du Chemin de fer, etc. — Les soldats, dont beaucoup sont ivres et cou- verts de suie, pénètrent brutalement dans les maisons et en font sortir les habitants au cri de Heraus (dehors), souvent accompagné de quelques-unes de ces grossières épithètes dont leur bouche est coutumière. Rien ne les émeut. Un vénérable vieillard de 80 ans, appartenant à l'une des familles les plus considérées de la ville, se meurt; sa femme et ses deux fils assistent à son agonie. Des soldats ayant fait irruption dans la maison, la mère conjure, supplie, va jusqu'à se jeter aux genoux de l'officier qui les commande; celui-ci, pour toute réponse, pousse la cruauté jusqu'à lui dire qu'il la trouve très belle dans cette attitude. Il donne l'ordre d'arracher les fils du chevet de leur père, de transporter le moribond au jardin et de mettre le feu à la maison. Les deux fils sont faits prisonniers, ainsi que le médecin qui donnait ses soins au malade. Les civils, ainsi arrêtés, sont emmenés sous bonne escorte, tandis qu'on donne aux femmes le conseil perfide de se diriger vers la gare; c'est de là qu'un certain nombre d'entre elles, comme nous le verrons tout à l'heure, furent déportées en Allemagne. Rien de plus sinistre que ce défilé des prisonniers à travers les rues de la ville en feu; la 'chaleur est suffocante, l'air irrespirable; à chaque instant des pans de murs menacent de s'écrouler; de-ci de-là, des cadavres d'hommes et de chevaux jonchent le sol; les prisonniers sont pâles de terreur à l'idée de la mort qui les attend et ce qui leur reste de courage s'évanouit devant les cris et les supplications des femmes et des enfants. La soldatesque s'amuse à leurs dépens; tantôt on leur fait lever les bras, tantôt on les fait courir, puis s'agenouiller, puis courir de nouveau; à chaque instant on les abreuve d'injures; les prêtres surtout sont malmenés; la soutane semble exciter tout particulièrement la fureur de ces forcenés. A certains moments on menace de les fusiller et lorsque tout est prêt pour l'exécu- tion, ordre est donné de se remettre en route, afin de trouver un endroit plus favorable; et cette infâme comédie se répète de nombreuses fois, renouvelant toujours, dans l'âme de ces malheureuses victimes, les affres des derniers moments. Les groupes de prisonniers eurent des aventures diverses; les uns accompagnèrent des troupes ou des convois de ravitaillement qui traversaient la ville; ils durent marcher en tête des colonnes jusqu'au village de Hérent, d'où ils furent ramenés à Louvain et remis en liberté : ce furent les privilégiés. D'autres, après avoir été traînés dans différents quartiers de la ville, furent conduits l'après-midi à la place de ïa Station. La — 32 — on leur lia les mains et les pieds; une corde solide servit à emprisonner tout le groupe, parmi lequel se trouvaient des vieillards de 80 ans; étroitement serrés les uns contre les autres, il leur était impossible de faire un mouvement. Ils durent rester dans cette position jusqu'au jeudi à 6 heures du matin, sous la pluie, sans boire ni manger, en butte à tous les mauvais traitements des officiers et des soldats qui menaçaieni à chaque instant de leur donner le coup de grâce. Pour être rendus à la liberté, une centaine d'entre eux durent s'engager à livrer immédiatement des vivres. Un officier leur donna un bout de papier qui devait leur servir de sauf-conduit pour circuler en ville et sur lequel étaient inscrits les articles réquisitionnés : viande de boucherie, œufs, vin, café, etc.. Au bout d'une demi-heure, les réquisitions furent fournies et les prisonniers purent rentrer chez eux. D'autres groupes furent déportés en Allemagne. Entassés dans des wagons à bestiaux, dont le plancher était recouvert d'une épaisse couche de fumier, ces malheureux firent le plus épouvantable des voyages. Les uns furent débarqués à Cologne et, après une nuit passée dans des baraquements en planches réexpédiés en Belgique. Arrivés à Louvain, ils croyaient leur supplice terminé. Pas du tout. On les traîna encore à Bruxelles et dans les environs pendant plusieurs jours et finalement on les lâcha dans la direction Fig. 5. Femmes et enfants louvanistes prisonniers à Munsterlager. des lignes belges, près de Malines. De ce groupe, plusieurs perdirent la raison; un autre, voulant mettre fin à ses tortures, se jeta dans le canal. Un autre convoi fut emmené jusqu'au camp de Munster. A chaque arrêt, les portes du wagon s'ou- vraient et les francs-tireurs louvanistes étaient exhibés à la population, on devine au milieu de quel concert de vociférations et d'injures. Ces prisonniers subirent cinq mois de captivité. Parmi les déportés au camp de Munster, se trouvait un groupe de plus de cent femmes et enfants. Nous en reproduisons une photographie, prise au camp même, devant les baraquements (fig. 5). Une de ces victimes a fait le récit suivant, que nous avons entendu répéter par d'autres prisonnières : « Le mercredi 26 août, les habitants de notre rue furent violemment expulsés de leurs maisons. On me sépara brutalement de mon mari, et l'on me conduisit à la gare; il s'y trouvait déjà un grand nombre de femmes, parmi lesquelles une mère accompagnée de ses trois petits enfants, dont le plus jeune, à ce moment, n'était âgé que d'un an. On nous fit entrer dans des wagons à bestiaux en disant qu'on allait nous con- duire à Aix-la-Chapelle. A Aix-la-Chapelle, il nous fut défendu de descendre. La population se montrait très hostile à notre égard; on venait nous injurier et les soldats, pour fêter notre capture, tiraient des salves de joie. On nous conduisit ensuite à Cologne, où nous ne pûmes davantage sortir du wagon à bestiaux dans lequel nous étions toujours enfermées. Le train repartit et, le vendredi soir seulement, nous arrivions à Munster; pendant ces soixante heures, nous n'avions eu pour toute nourriture que de l'eau et un peu de pain noir que nous passaient les soldats. A Hanovre, la mère dont j'ai parlé tout à l'heure fit demander, par l'intermédiaire de la Croix-Rouge, un peu de lait pour son bébé d'un an. On lui répondit qu'on ne donnait pas de lait aux prisonniers de guerre. Un soldat compatissant ne put s'empêcher de s'écrier : — 33 — Vnmensch! (quel monstre!) et, prenant la bouteille, alla lui-même la remplir de lait. Arrivées à Munster, on nous conduisit, entre deux haies de soldats, dans une grange, où nous fûmes parquées au nombre de 105. Nous dûmes y rester jusqu'au mardi soir, couchant sur la paille et devant nous nourrir, nous et les entants, d'une mauvaise soupe qu'on nous donnait le matin et le soir. Pendant ces quatre jours et ces quatre nuits, il se déroula, dans la grange, des scènes d'épouvante ; des enfants devenaient malades ; de vieilles femmes — il y en avait une de 82 ans — tombaient d'épuisement et de fatigue; l'une d'elles deve- nait folle et, la nuit, rampait au-dessus de celles qui dormaient à ses côtés, en disant qu'elle cherchait sa maison. Le mardi soir on permit à celles d'entre nous qui pouvaient vivre à leurs frais de quitter la grange et d'aller s'installer dans une maison inhabitée. Nous ne fûmes libérées que le 27 septembre. » Qu'on ajoute aux récits si émouvants de ces malheureuses la liste des vieillards, des femmes et des enfants qui ont été les victimes de la soldatesque allemande (§ 3, H), et l'on pourra juger alors de ce qu'il a fallu d'audace et d'hypocrisie mensongère pour oser publier dans le Livre Blanc (p. 5) l'affirmation suivante : Les vieillards, les femmes et les enfants, même lorsqu'ils étaient particulièrement suspects, ont été épargnés dans la plus large mesure. Le mercredi 26, les aurorités allemandes firent savoir que la garde-civique devait se réunir à deux heures de l'après-midi. L'affiche ne mentionnait pas le but de la réunion; elle se contentait d'annoncer que ceux qui ne se présenteraient pas seraient punis d'après la loi martiale; mais les gardes furent avertis par les soldats qui allaient battre le rappel dans les différents quartiers de la ville qu'on faisait appel à leur concours pour éteindre les incendies. Un bon nombre d'entre eux, se défiant à juste titre du motif invoqué, et instruits par ce qui était arrivé à d'autres gardes-civiques du royaume, s'empressèrent de quitter la ville. Parmi ceux qui se présentèrent, les uns furent envoyés en Allemagne et allèrent retrouver à Munster les autres prisonniers louvanistes; les autres formèrent ce qu'on pourrait appeler une colonne volante de prison- niers. Leur supplice dura quatre jours pendant lesquels ni les injures, ni les menaces, ni les privations de toutes sortes ne leur furent épargnées; à plusieurs reprises, ils crurent leur dernier moment arrivé. On les conduisit d'abord à Hérent, puis à Bueken, puis à Campenhout, où ils durent creuser des tranchées. On les ramena à Louvain; on les entraîna de nouveau à Hérent et à Bueken; finalement, on les lâcha dans la direc- tion des lignes belges, près de Malines, comme on l'avait fait pour les civils qui, après avoir été exhibés à Cologne, avaient été ramenés en Belgique. Pendant toute la journée du 26 et la nuit du 26 au 27 on entendit encore des coups de feu isolés aux quatre coins de la ville. Des soldats, est-ce pour s'amuser, pour jouer" la comédie ou pour se défendre contre un ennemi imaginaire, pénétraient dans les maisons et les jardins et de là déchargeaient leur fusil dans la direction de la rue. Vers 2 heures de l'après-midi, une rencontre se produisit entre soldats alle- mands dans la rue de Bruxelles; elle coûta la vie à plusieurs d'entre eux. Une affiche répétant les procla- mations des otages ordonna aux habitants des quartiers préservés de laisser ouvertes les portes de leurs maisons et d'éclairer toutes les fenêtres. On s'empressa d'obéir à cet ordre; pour éviter jusqu'au moindre prétexte de représailles, des voisins complaisants enfoncèrent les portes des maisons inoccupées et en éclai- rèrent les fenêtres. Ils avaient l'illusion d'apaiser la colère de leur bourreau en passant par toutes les fantaisies qu'il lui plaisait de leur imposer. Cette illusion devait bientôt disparaître. B. — La journée du 27. Le jeudi 27 l'armée allemande organisa une comédie d'un nouveau genre : la comédie du bombar- dement. Sous prétexte que les civils continuaient à tirer sur les troupes, ordre fut donné à tous les habitants de quitter la ville avant midi car, à partir de cette heure, elle devait être bombardée. « Louvain devait disparaître, disaient les officiers; il n'en resterait plus pierre sur pierre. Rien ne devait être respecté, ni monuments historiques, ni hôpitaux, ni ambulances, ni asiles de charité; tous ceux qui voulaient avoir la vie sauve devaient partir. » Des préposés aux hôpitaux et aux maisons de bienfaisance firent remarquer aux officiers qui voulaient faire évacuer leurs établissements qu'il n'était pas possible de transporter aussi rapidement tous les malades hors ville et que, de plus, certains d'entre eux ne pouvaient supporter un déplacement. « Combien de blessés allemands y a-t-il chez vous? » demanda un officier à l'un d'entre eux. Et comme celui-ci répondit qu'il n'y en avait aucun : « Alors, reprit l'officier, cela ne nous regarde pas (Die Sache gehi uns gar nicht an) ». A g heures, deux médecins attachés à l'ambulance Saint-Thomas allèrent trouver le commandant d'étape von Manteuffel; après de longs pourparlers, au cours desquels celui-ci déclara qu'il avait reçu l'ordre de bombarder toute la ville, il fut convenu que les ambulances seraient respectées clans la mesure du possible; ce semblant de protection arrivait trop tard; plusieurs éta- blissements de la Croix-Rouge, entre autres l'hôpital civil, avaient déjà été forcés d'éloigner leurs malades. On ne peut s'imaginer spectacle plus tragique que celui de toute cette population affolée, chassée de ses foyers par des soldats assassins et incendiaires et s'engageant, avec quelques hardes et quelques provi- sions ramassées au hasard, sur le triste chemin de l'exil. Plus de chevaux, ni de voitures pour transporter les malades; tout a été réquisitionné. Les personnes qui viennent de subir une opération, les femmes récem- ment accouchées, les vieillards impotents sont traînés à bras d'hommes, sur de mauvaises charrettes dont le cahot leur arrache des cris de douleur. Les orphelinats se vident; les pauvres petiots, des larmes plein les 3 — M — veux, défilent dans les rues, emportant dans leurs bras un petit paquet de linge, toute leur fortune. Les Frères de la Charité, qui desservent un asile pour enfants anormaux, veulent à tout prix sauver leurs chers pensionnaires; ils Unissent par trouver un lourd chariot; ils y installent une soixantaine de leurs pro- tégés les plus déshérités de la nature dont les uns pleurent, les autres rient ou grimacent; des cordes solides sont nouées autour des bras du chariot; une dizaine de ces dévoués frères s'attellent résolument et emmènent en lieu sur ces pauvres et innocentes victimes de la soldatesque allemande. Le supplice des Louvanistes n'était pas encore terminé; seuls, ceux qui s'enfuirent par la porte de Xamur et la porte de Parc purent, sans être inquiétés, se rendre dans les villages voisins. Il n'en fut pas de même des autres. Sur la route de Bruxelles, on arrêta, à Tervueren, tous les prêtres, environ soixante, et, parmi eux, Mgr Ladeuze et Mgr Van Cauwenbergh, respectivement recteur et vice-recteur de l'Université, Mgr De Becker, recteur du Collège américain, M. le chanoine Cauchie et M. Becker, professeurs à l'Uni- versité, le R. P. Goemans, recteur du Collège des Jésuites, le R. P. Vermeersch, etc.. Un jeune jésuite, le R. P. Dupierreux, fut fusillé parce qu'on trouva dans son carnet de notes des réflexions désobligeantes à l'adresse de ceux qui venaient d'incendier la bibliothèque de l'Université. Les ecclésiastiques furent ré- partis en plusieurs groupes; les uns furent relâchés assez promptement, les autres furent promenés dans les environs de Bruxelles et ne recouvrèrent la liberté que le samedi matin. Sur les routes d'Aerschot et de Diest, les fuyards furent arrêtés à quelques '':'omètres de la ville. Là, les hommes furent séparés des femmes; on permit à celles-ci de continuer leur chemin, tandis que les hommes furent ramenés à Louvain, en rangs serrés; c'était une nouvelle colonne volante de francs-tireurs; un bon nombre d'entre eux furent déportés à Mùnsterlager. Ceux qui quittèrent la ville par la porte de Tirlemont durent marcher, sans s'arrêter et sous la garde de soldats allemands, jusqu'à Tirlemont, distant de Louvain de- 18 kilomètres. Près de Lovenjoul, les prê- tres, au nombre de douze, furent appréhendés et conduits dans une petite grange au bord de la route; on les fouilla; on enleva à deux d'entre eux 5,000 et 6,000 francs; on les injuria de mille façons, en les mena- çant de les pendre; toutefois, au bout de quelque temps, ils purent continuer leur route vers Tirlemont. A Blauwput, un faubourg de Louvain, le vendredi 28 août, des Frères de la Miséricorde furent forcés par les soldats de se dévêtir complètement; circonstance aggravante, la scène se passait devant des femmes et des enfants. Les autorités militaires avaient fait annoncer que, à partir de midi, la ville allait être bombardée. En réalité, entre midi et deux heures, on tira quelques coups de canon, une dizaine tout au plus. Ce fut tout; le bombardement était fini; la comédie était jouée. Nous avons beau chercher, nous ne parvenons pas à trouver d'autre but à ces hypocrites manœuvres que celui d'écarter la population afin de pouvoir piller et incendier à l'aise. Ce résultat fut atteint; on peut dire que le jeudi, à midi, la ville était déserte; nous osons affirmer que c'est tout au plus s'il restait à Louvain 200 ou 300 habitants qui, pour soigner des soldats blessés, pour ne pas quitter un parent malade ou pour toute autre raison, avaient affronté le bombardement et s'étaient terrés dans les caves. Cela n'empêche qu'un témoin vient déclarer, dans un récit tout à fait invrai- semblable, qu'il a été attaqué par des francs-tireurs dans la rue de la Station, le jeudi après-midi (Ann. 21). — La destruction de Louvain n'est pas due au bombardement : ce sont les soldats qui, au moyen de pé- trole, de benzine, de pastilles et de fusées incendiaires, ont mis le feu aux maisons et aux monuments publics. C. — Les journées suivantes. Nos témoignages concernant ce qui s'est passé les premiers jours qui suivirent l'évacuation de la ville ne sont naturellement pas nombreux; mais ils établissent, d'une façon suffisamment certaine, la manière dont s'est comportée l'armée allemande. Le pillage et l'incendie furent organisés d'une façon méthodique, sous la conduite des officiers. Les soldats pénétraient dans les maisons, les visitaient de haut en bas, enlevaient tout ce qui était à leur convenance et chargeaient leur butin sur des camions qui prenaient la direction de la gare. Lorsque les coffres-forts étaient éventrés, les tiroirs vidés, les toiles des tableaux découpées — les cadres étant jugés trop encombrants — les vandales descendaient à la cave, vidaient force bouteilles de vin et s'amusaient ensuite à casser tout ce qui restait dans la maison à coups de baïonnette et de crosse de fusil; finalement, l'incendie couronnait cette œuvre de dévastation. A certains endroits, le feu ne s'est pas propagé, il s'est éteint de lui-même; ces maisons sont restées pendant quelque temps dans l'état où elles se trouvaient immédiatement avant l'incendie, témoins authentiques des procédés des sol- dats que le Livre Blanc appelle <( à la conduite exemplaire ». Nous avons eu l'occasion d'en visiter quel- ques-unes. Non, ceux qui ont passé par là ne méritent plus le nom de soldats; les épithètes les plus atténuées qu'on peut leur attribuer sont celles d'ivrognes et de cambrioleurs. Les Allemands, il fallait s'y attendre, ont rejeté la responsabilité du pillage... sur les Louvanistes. Certes, nous ne nions pas que certaines personnes sorties des bas-fonds de cette population louche qui existe dans toutes les villes aient participé au pillage, soit en acceptant des objets que leur donnaient les soldats, soit en dévalisant, pour leur propre compte, certaines maisons. Mais la faute de quelques bandits de pro- fession ou de quelques femmes perdues n'excuse, ni n'atténue les crimes commis officiellement par l'armée allemande. Quelques Louvanistes appartenant à l'élite de la bourgeoisie étaient restés, pendant toutes ces jour- nées, à~l'ambulance établie à l'Institut Saint-Thomas. Voulant essayer de sauver ce qui restait de Louvain, ils s'abouchèrent avec le commandant d'étape, von Manteuffel, et obtinrent de lui l'assurance que, si la population revenait, il n'y aurait plus ni incendies, ni pillages. Des affiches, signées de M. Nerincx, bourgmestre provisoire, et du comité des notables qui s'était constitué, furent placardées, le Ier septembre, à Louvain et dans les villages environnants. Elles annonçaient la promesse de von Manteuffel et enga- geaient la population à rentrer. Le commandant fit placer sur les habitations qui devaient être particulière- ment protégées des affichettes portant, avec le cachet de la Kommandantur d'étape, l'inscription suivante : <( Dièses Haus ist zu sch'ûizcn. Es ist streng verboten, ohne Genehmigung der Kommandantur, Haeuser zu bctreten oder in Brand zu setzen. » (Cette maison doit être protégée. Il est sévèrement défendu de pénétrer dans les maisons ou de les incendier sans le consentement de la Kommandantur) (fig. 6). Malgré cela, le mercredi 2 septembre, deux maisons furent encore incendiées rue Marie-Thérèse et une rue Léopold. Le pillage ne cessa pas davantage. Nous avons été témoin de la scène suivante, le 2 septembre : Des soldats étaient en train de vider la cave à vins d'une maison de la rue de la Station; ils se suivaient à la file indienne, les bras chargés de bouteilles, buvaient quelques gorgées et versaient le reste dans leur gourde. Dièses Haus ist zu Schutzcn Es ist streng verboten, ohne Genehmigung der Komman- dantur Hauser zu betreten oder in Brand zu setzen. DifE ML ^ Fig. 6. Affiche protectrice placée sur certaines maisons. Un peu plus loin, quelques soldats pochards titubaient en braillant; ils s'étaient noirci les joues et avaient remplacé leur casque par des chapeaux de soie qu'ils avaient volés dans les maisons. Un officier vint à passer à proximité du groupe; il ne détourna pas même les yeux. Les proclamations allemandes elles-mêmes fournissent la preuve qu'il fallut longtemps avant de rétablir l'ordre et la discipline parmi les troupes qui avaient participé au sac de Louvain. Tel est le cas d'une affiche du commandant d'étape, datée du 9 septembre, c'est-à-dire plus de quinze jours après le déchaînement des premières horreurs (voir ci-après fig. 7). Cette proclamation, émanant du commandant de place lui-même, montre quelle confiance on doit avoir clans cette affirmation solennelle du Livre Blanc : « // est établi que, à Louvain, les troupes allemandes se sont conduites d'une façon irréprochable et qu'elles n'ont commis aucun acte en violation du droit des gens. » (p. 233). § 5. — Les preuves du complot. La commission d'enquête allemande termine son rapport par quelques considérations hautement fantaisistes sur les preuves du complot tramé par les Louvanistes, sur ses organisateurs et sur les procédés de la commission d'enquête belge. Comme nous l'avons fait pour le récit des événements, nous suivrons le rapport pas à pas et réfuterons successivement chacune de ses allégations. Outre les fusées-signaux dont nous avons déjà parlé précédemment (§ 3, C), la commission d'enquête apporte trois preuves de la préparation du complot : L — Des armes furent trouvées en grande quantité. II. — Un grand nombre de jeunes gens étaient arrivés à Louvain et s'étaient répandus dans les différents quartiers de la ville. II L — Dans les maisons éclatèrent de grandes provisions de cartouches et de matières explosives. — 36 — Première preuve. — Des armes furent trouvées en grande quantité. Où ? Quand ? Par qui ? Le rap- port ne le dit pas. Voyons si les dépositions i et 20 auxquelles il renvoie donnent à l'accusation une forme plus précise. Ann. 1. — « Dans une église de Louvain, dit le général von Boehn, on a trouvé joo fusils. » Quel est le juge d'instruction qui, chargé de faire une enquête sur un crime, se servirait, pour charger un accusé, d'un témoignage aussi vague que celui-ci ? Le juge Ivers, qui a recueilli la déposition du général von Boehn^ aurait dû, s'il avait eu un seul instant l'intention d'établir la vérité, demander dans quelle église, quand et par qui ces fusils avaient été découverts. L'a-t-il fait, et le général s'est-il trouvé dans l'impossibilité de préciser un racontar qui a fait le tour de la presse allemande au lendemain des événements de Louvain, ou bien, en Allemagne, le juge est-il tellement respectueux de l'uniforme de général qu'il doit se borner à enregistrer les déclarations que le témoin veut bien lui faire, sans oser lui poser des questions qui pour- raient être embarrassantes? Nous l'ignorons. Mais, quoi qu'il en soit, nous, accusés, nous avons le droit de dire au général von Boehn : « Nous vous sommons de préciser vos accusations et de dire dans quelle église, Fig. 7. Proclamation de von Manteuffel, affichée à Louvain le 9 septembre 1914. quand et par qui ces armes ont été trouvées. En attendant ces précisions — et nous vous défions bien de les fournir — tout juge impartial a le droit de ne tenir aucun compte de votre affirmation. » Le témoin 20, le caporal Kroeber, est un peu plus précis : « Dans la rue de Tirlemont, dit-il, de certaines maisons, à droite de la caserne et près de l'hôpital militaire, on se mit à tirer avec violence des coups de carabine dans notre direction. Nous pénétrâmes dans un restaurant d'où l'on avait tiré et nous trou- vâmes sur le propriétaire environ cent cartouches de browning. Il fut arrêté et fusillé. » Le témoin a été interrogé le 16 novembre à Louvain, où il résidait depuis le 21 août en qualité d'employé à la Kommandan- tur. Il n'était pas bien difficile à la commission d'enquête de faire déterminer exactement le restaurant en question et d'établir le nom du propriétaire fusillé. Elle ne l'a pas fait, et pour cause. D'abord, il n'y a pas de restaurant dans la rue de Tirlemont, aux abords immédiats de la caserne et de l'hôpital militaire. De plus, aucun civil n'a été tué, ni à cet endroit, ni dans les rues voisines. Le seul habitant de la rue de Tirle- mont qui ait trouvé la mort au cours de ces journées est un sieur Van der Willighen, charron, qui habite au n° 207 de la rue, c'est-à-dire à environ un kilomètre de la caserne et de l'hôpital militaire. Nous sommes donc autorisés à affirmer, en toute certitude, que le récit de Kroeber est inventé de toutes pièces. Et c'est uniquement sur les deux témoignages de von Boehn et de Kroeber que la commission d'en= quête se base pour affirmer que des armes ont été trouvées en grande quantité I -37- Lorsqu 'éclata la soi-disant révolte, les bourgeois de Louvain étaient désarmés. Dès le 6 août, ordre fut donné aux habitants de remettre aux autorités toutes les armes qu'ils avaient en leur possession. Cet ordre fut réitéré, le 19 août, aussitôt après l'entrée des Allemands. Voici le texte de l'affiche du bourg- mestre : PROCLAMATION Aux habitants de Louvain, Le bourgmestre de Louvain invite tous les détenteurs d'armes quelconques à les déposer immédiate- ment, contre reçu, au bureau de police. Tous ceux qui n'obtempéreront pas à cette invitation s'exposent aux peines les plus sévères. Louvain, le 19 août 1914. (s) L. Colins. On s'empressa d'obéir à l'invitation des autorités communales; on déposa au bureau de police jus- qu'aux fleurets d'escrime et aux ornements de panoplies (1). Nous ne voulons certes pas soutenir que, dès le 20 août, il n'y avait plus un seul fusil dans toute la ville de Louvain; il se peut que l'un ou l'autre habi- tant ait refusé de se soumettre aux ordres du bourgmestre et ait dérobé ses armes; de plus, il y avait à ce moment bon nombre de maisons abandonnées par leurs propriétaires depuis le début de la guerre et dans lesquelles les Allemands, au cours de leurs perquisitions ont pu trouver des fusils de chasse ou des revol- vers; mais ne serait-il pas ridicule de tirer argument de la découverte de quelques armes isolées en faveur de la thèse du complot ? Ce que nous pouvons affirmer — et cela, personne ne pourra le contester — c'est que, le 25 août, la population était, dans son ensemble, complètement désarmée. Deuxième preuve. — « Un grand nombre de jeunes gens étaient arrivés à Louvain et s'étaient répan- dus dans les différents quartiers de la ville. — Cette assertion repose uniquement sur la déclaration du capi- taine Josephson (Ann. 34). Le témoin raconte d'abord une histoire invraisemblable d'après laquelle il aurait entendu dire que, la veille de la révolte, une troupe d'environ 100 jeunes gens de mauvaise mine, s'entre- tenant dans les langues les plus diverses, s'étaient dirigés vers Louvain. Nous ne nous arrêterons pas davantage à ce conte; si quelqu'un désire le lire en entier, il peut recourir au texte de la déposition. Le capitaine Josephson ajoute que, en préparant le logement des troupes dans la rue des Joyeuses-Entrées, il remarqua avec étonnement que, dans presque chaque maison, se trouvait un jeune homme, alors que les jeunes gens belges avaient été appelés au service militaire. Pour lui, ce sont des étrangers et des francs-tireurs. Quelle preuve apporte-t-il ? Aucune. Qu'un officier allemand s'étonne de voir des jeunes gens en civil dans un pays qui est en guerre, nous le comprenons sans peine. Mais, avant de conclure à la présence d'étrangers, Josephson aurait dû savoir que tous les jeunes gens, d'après la loi militaire belge, n'étaient pas obligés de servir, et il aurait dû s'assurer que ceux qui attiraient son attention n'avaient pas leur domicile légal dans la rue des Joyeuses-Entrées. D'autre part, si des jeunes gens étrangers avaient été les principaux agents de la révolte, les Allemands devraient en avoir tué un bon nombre. Or, parmi les victimes, il n'y a que six jeunes gens n'habitant pas Louvain ou la banlieue immédiate. Trois d'entre eux sont respectivement de Thildonck, Lubbeek et Winghe- Saint-Georges, villages distants de Louvain de 8, 9 et 12 kilomètres; deux sont de Bruxelles, et le sixième est un forain hollandais. Cette constatation suffit à ruiner la légende des étrangers accourus à Louvain pour prendre une part active au complot contre les troupes allemandes. Troisième preuve. — « Dans les maisons en flammes éclatèrent de grandes provisions de cartouches et de matières explosives. » — Quatre témoins confirment cette assertion (Ann. 1, 2, 6, 37). Ils ont entendu, disent-ils, des détonations provenant des maisons en feu, mais ils se gardent bien de dire comment ils ont reconnu qu'elles étaient produites par l'explosion des munitions amassées par les francs-tireurs. Ce qu'ils ont entendu, comme tous les Louvanistes, c'est l'éclatement des réservoirs de naphte, de benzine, de car- bure, d'acide carbonique, etc., qui se trouvaient dans les maisons particulières, dans les cafés et surtout dans les officines des pharmaciens et les magasins des droguistes. Conçoit-on l'incendie d'une ville sans de très nombreuses et très fortes explosions? Chez le soldat allemand, la hantise du franc-tireur est poussée à tel point ou'il ne peut pas entendre une détonation, quelle qu'elle soit, sans en voir surgir immédiatement le fantôme. Et si la détonation se produit dans un endront où il ne peut pas y avoir de francs-tireurs, par exemple dans une maison en flammes, c'est cependant encore à ceux-ci qu'il en attribuera la cause : ce seront leurs bombes ou leurs grenades à mains qui auront fait explosion! (1) Ces armes ont été saisies par les Allemands et, s'il faut en croire leurs journaux, distribuées entre les musées de province comme butin de guerre. On lit, en effet, dans la Dùsseldorjer Zeitung, du 25 octobre 1014, que parmi les « Beutestiicke aller Art » (objets de toute sorte provenant du butin) qui viennent d'entrer au musée de Diisseldorf, on peut voir un arc et des flèches, en usage rbp7 les insulaire!) du Pacifique, avec lesquels les francs-tireurs belges ont tiré sur les troupes allemandes pendant les combats de rues ! — Ces armes proviennent, selon toute vraisemblance, des dépouilles de nos panoplies. — 38 — § 6. — Les organisateurs du complot. A qui faut-il imputer l'organisation du complot? La commission d'enquête, lorsqu'elle a voulu ré- pondre à cette question, a dû se trouver quelque peu embarrassée. En effet, les témoignages sont loin d'être d'accord. Les uns prétendent que c'est la garde civique qui est responsable; suivant d'autres, c'est l'armée; suivant d'autres encore, c'est le clergé. Réunissant toutes ces dépositions, la commission d'en- quête échafaude un système, qu'elle expose d'ailleurs d'une manière assez confuse, d'après lequel à la fois la garde civique, l'armée et le clergé auraient été les organisateurs des troubles. Analysons le cas de chacun des accusés. La garde civique. — Au sujet de la garde civique, le rapport émet trois affirmations : i° Le siège administratif du commandement de la garde civique était à Louvain ; 2° Le chef de la garde civique a séjourné à Louvain peu avant le 25 août ; 30 Son influence s'est manifestée par l'envoi, en ville, de nom- breux jeunes gens étrangers. Ces trois affirmations sont également mensongères. Qu'un journaliste peu au courant de notre législation ait, au lendemain des événements, sur la foi de l'un ou l'autre témoignage recueilli à la hâte, publié des erreurs aussi manifestes, on ne s'en étonnerait pas outre mesure. Mais ce qui est incompréhen- sible, c'est qu'une commission d'enquête officielle, qui prétend incarner l'impartialité et l'exactitude, affirme aussi solennellement des contre-vérités, alors que, cependant, il lui était loisible, opérant sur place, d'ob- tenir toute la documentation nécessaire. D'abord, il est faux de dire que le siège administratif du commandement de la garde civique était à Louvain. Celui-ci était installé à Bruxelles, au ministère de l'intérieur. De plus, il n'y a pas de chef unique de la garde civique. L'article 45 de la loi du 9 septembre 1897 concernant la réorganisation de la garde civique porte qu'il y a, pour le royaume, quatre commandements supérieurs. L'article 48, il est vrai, dit qu'un inspecteur général peut être nommé pour tout le rovaume; mais cette fonction, après avoir existé pendant quelque temps, avait été supprimée : il n'y avait plus, en 1914, d'inspecteur général. La circonscription comprenant les provinces d'Anvers et de Brabant était commandée par le lieutenant-général de Coune. Or, celui-ci n'a jamais résidé à Louvain. La garde civique de cette ville était sous les ordres d'un major faisant fonction de lieutenant-colonel. Quant à la légende de l'arrivée à Louvain de jeunes gens étrangers, nous l'avons réfutée plus haut (§ 5, II). La garde civique ne peut avoir joué aucun rôle dans les événements de Louvain. Le 19 août, dans la matinée, donc avant l'arrivée des Allemands, elle fut désarmée et licenciée; les armes furent expédiées à Anvers. Le 25 août, le commandant d'étape von Manteuffel convoqua le commandant local de la garde; il voulut lui faire jurer qu'il n'v avait plus une seule arme de garde civique dans toute la ville. Celui-ci refusa, en disant que, s'il pouvait affirmer, sous la foi du serment, que les armes des gardes présents à Louvain avaient été expédiées à Anvers, il ne pouvait pas garantir que l'un ou l'autre de ses hommes, ayant quitté la ville avant la déclaration de la guerre, n'eût pas laissé son fusil dans sa maison abandonnée. D'accord avec von Manteuffel, il fut décidé de faire une perquisition dans les maisons des gardes absents, afin d'en- lever les armes qui auraient pu s'v trouver. Nous avons vu précédemment (§ 6) comment furent traités les membres de la garde civique. Nous reconnaissons bien volontiers que leur situation, au point de vue militaire, était assez ambiguë; mais à supposer que les lois de la guerre eussent permis aux autorités allemandes, en les considérant comme belligérants, de prendre contre eux certaines mesures, il n'en reste pas moins vrai que les tortures qu'elles ont fait subir à bon nombre de gardes, restent parfaitement injustifiables. L'armée. — Voici ce que dit le rapport au sujet de la participation de l'armée au complot : <( Des soldats belges, déguisés en civils, se cachèrent dans les maisons ■pour tirer sur les soldats allemands. Le gouvernement n'a jamais osé signaler le fait que des troupes régulières de l'armée belge avaient participé à l'action. » La commission d'enquête n'appuie ses affirmations d'aucune preuve ; elle ne renvoie pas même aux dépositions des témoins. Or, plusieurs de ceux-ci parlent des soldats déguisés : ce sont les témoins 1, 8, 19, 38. Nous ne tiendrons aucun compte du témoignage de von Sandt (Ann. 8), qui se contente de déclarer ce qui suit : « 7/ m'a été dit qu'on avait trouvé à maintes reprises sur des civils fusillés des médailles de sol- dats; d'où l'on doit conclure que des soldats belges en civil ont pris part à la fusillade provenant des mai- sons. » von Sandt n'a rien vu; il ne cite pas même le nom de celui qui lui a donné ce renseignement; bref, son témoignage n'a aucune valeur. Les témoins Dreher (Ann. 19) et Gruner (Ann. 38) nffirment qu'ils ont trouvé des médailles de sol- dats dans les poches des victimes, et le général von Boehn (Ann. 1) va jusqu'à dire que les civils fusillés ont été, en grande partie, reconnus comme étant des militaires déguisés. Ces trois témoins — on peut s'en convaincre par l'analyse de leurs dépositions — sont pris plusieurs fois en flagrant délit de mensonge; nous pourrions donc nous contenter de dénier toute valeur à leurs déclarations. Mais, ici encore, nous pouvons les confondre. Ces médailles de soldats, trouvées sur les corps des victimes, que sont-elles devenues? L'autorité militaire allemande, ayant en mains des preuves aussi indiscutables de la culpabilité de l'armée belge, les aura sans aucun doute recueillies et mises en sûreté. Eh bien, qu'elle les montre! Nous la mettons -39- au défi de publier les noms et les numéros matricules qui s'y trouvent inscrits. Toutes les victimes des jour= nées tragiques ont été exhumées; parmi elles, il n'y a aucun soldat (i). On pourrait encore faire remarquer que, si des soldats belges, déguisés en civils, avaient voulu comme le prétend le Livre Blanc, réaliser à Louvain une opération stratégique, ils auraient organisé leur attaque suivant les principes militaires : par conséquent, on devrait trouver les traces des précautions qu'ils n'auraient certes pas manqué de prendre. Que disent les dépositions à ce sujet? Trois témoins seu- lement en parlent. Le général von Boehn (Ann. i) affirme qu'une fabrique était organisée pour la défense. De quelle fabrique s'agit-il? Comment était-elle organisée? Il ne le dit pas. Le capitaine Hermansen (Ann. 42) a pris pour des meurtrières les trous que l'on trouve à la partie supérieure de la plupart des façades et qui servent à fixer les pièces de bois soutenant les échafaudages au moment des réparations. S'il s'était donné la peine d'entrer dans une maison, il aurait constaté qu'il est absolument impossible de se servir de ces ouvertures pour tirer du grenier dans la rue. Le capitaine von Esmarch (Ann. 46) a vu que, à la place du Peuple, les coups partaient de derrière les volets baissés et il en conclut qu'on avait dû, au préalable, y pratiquer des trous ! Voilà tout ce que la commission d'enquête a pu recueillir au sujet des préparatifs d'ordre militaire exécutés à Louvain par l'armée belge ! ! ! Le clergé. ■ — Le clergé est accusé en ces termes : « Malheureusement, un certain nombre de prêtres se sont laissés aller à employer l'influence qu'ils exerçaient sur la population civile pour décider les habitants à recevoir les francs-tireurs ; il est établi que certains d'entre eux ont été jusqu'à prendre part au combat. (Ann. 1, iq, 34, 37, 38, 41, 42, 45, 48.) Nous ne nous attarderons pas à discuter ici chacune des dépositions dans lesquelles il est question de l'action des prêtres. Contentons-nous de remarquer, d'une ma- nière générale, que pas une d'entre elles ne formule, contre un prêtre déterminé, une accusation précise ; elles se bornent a raconter des histoires, dont, la plupart du temps, l'invraisemblance saute aux yeux. Il y a même un témoin (Ann. iq) qui, comme preuve de culpabilité du clergé, signale le fait qu'il a vu cinq prêtres fusillés ! Au lendemain des événements de Louvain, les catholiques allemands, craignant sans doute que la fureur luthérienne, en présence des faits imputés aux prêtres catholiques belges, ne se retournât contre eux, entreprirent de venger le clergé des attaques injustifiées dont il était l'objet ; l'intérêt leur faisait recouvrer le sens de la justice. Dès le 15 septembre 1914, la Koelnische Volkszeitung publiait un long article de son correspondant de Berlin, intitulé : « Les prétendues atrocités des prêtres belges ». L'auteur s'y moque agréablement de la crédulité des Berlinois qui acceptent comme monnaie courante les histoires les plus idiotes (saudumm) que l'on colporte dans les trams, dans les cafés et dans les réunions publiques. Ainsi, on raconte que, dans la cave d'un couvent, à Louvain, on a trouvé les cadavres de 50 soldats alle- mands. Il ajoute : « ha Koelnische Volkszeitung du S septembre, n° JÇ4, a communiqué à ses lecteurs que, dans la « Taegliche Rundschau » du j septembre, n° 206, se trouvait le récit suivant : « Comme nous étions en train d'inspecter un pont, près de Saint-Trond, un officier arriva en auto ; il nous annonça que la ville de Louvain était en pleine révolte et que, depuis la veille au soir, le feu y avait été mis. Dix prêtres, les organisateurs du soulèvement, avaient été fusillés.» Comme on a pu l'établir avec certitude depuis, o,n ne sait rien de tout cela à Louvain. Le correspondant de la Taegliche Rundschau, qui, près de Saint- Trond. a appris ce fait d'un officier qu'il ne nomme pas. est, jusqu'à présent, la seule source. La Taeg- liche Rundschau a l'impérieux devoir de tirer l'affaire au clair, et, si le récit du correspondant ne peut pas être prouvé, de la démentir purement et simplement. Ces deux faits — les 50 cadavres de soldats allemands trouvés dans la cave d'un couvent et les 10 prêtres fusillés comme auteurs de la révolte, — s'ils sont vrais, peuvent se contrôler à Louvain avec la plus grande facilité; mais, pour tout lecteur sensé et raisonnable, ils Portent la marque de l'invraisemblance, si bien que la Taegdiche Rundschau a fait preuve d'une cré- dulité incompréhensible en les acceptant aussi facilement. Puisau'ils sont portés à la connaissance du public, elle ne peu' Plus échapper au devoir ou de les prouver ou de les démentir. » De plus, les catholiques, et principalement le clergé catholique, doivent réclamer, dans de telles cir- constances, la protection des autorités. A Louvain, les administrations civile et militaire sont aujourd'hui établies; elles sont dans la situation de donner les éclaircissements dont on a besoin. Ceux-ci sont d'autant plus nécessaires que, aussi bien en Belriauc qu'en Allemagne, circulent, de bouche en bouche, des histoires de ce genre, (/ni n'ont aucun fondement. Si une enquête est faite et si, comme c'est notre intime conviction, elle démontre la fausseté des affirmations grossières de la Taegliche Rundschau, les reporters n'accep- teront plus et les écrivains tendancieux ne colporteront plus aussi aisément des inventions comme celle-là. Afin d'obtenir à l'avenir un r, Portage sérieux et fidèle, il importe au plus haut point que ces deux contes reproduits à la légère par la Taegliche Rundschau soient entièrement tirés au clair. » Nous voudrions pouvoir louer sans reserve l'attitude anpnremment courageuse de la Koelnische Volkszeitung, mais malheureusement, nous ne pouvons nous défendre de voir, dans le zèle empressé qu'elle met à défendre les prêtres belges, un sentiment intéressé qui n'a rien de commun* avec l'esprit de justice. fi) On a trouvé, au cours des exhumations faites dans le square Van de Wever. en frire de In gare, le cndnvre d'un soldat ;. en uniforme; ce ne peut être une victime des ornements de Louvain. car il avait la jambe gauche placée dans une attelle en de zinc, et la région abdominale entourée d'un pansement ; c'est sans doute un blessé qui sera mort dans un train de la Croix- Rouge et que l'on aura inhumé à cet endroit. — 4o — Pourquoi les catholiques allemands réservent-ils les bénéfices de leur enquête au clergé et continuent-ils à colporter, sans la moindre critique, les plus infâmes calomnies sur le compte des civils? Les populations belges ont maltraité les troupes allemandes, mais les prêtres sont innocents : voilà la thèse défendue par cer- tains catholiques d'Allemagne, entre autres par Bachem, dans sa dernière brochure Das religioese Problem in Belgien (i). Eh bien, non, nous ne voulons ni de demi-enquête, ni de demi-justice. Il faut que la vérité apparaisse, pleine et entière. En attendant ce jour béni, nous ne pouvons nous empêcher de flétrir la duplicité de cette conduite qui consiste, suivant l'intérêt qu'on croit y trouver, à faire éclater la vérité ou à favoriser le mensonge. La .Taegïiche Rundschau a dû être piquée au vif par la provocation de la Koelnische Volkszeitung, car, un mois après, le 10 octobre 1914, n° 245, elle publiait, sous la signature d'Adolf Zimmerman, l'éton- nante déclaration que voici : « En présence des affirmations contradictoires de la presse, il m'a paru important, comme j'étais ici (à Louvain), d'établir jusqu'à quel point les influences du clergé ont joué un rôle dans Véchauffourée de Louvain. Que des prêtres ont pris part, à d'autres endroits, à la guerre des francs-tireurs, je le sais; mais qu'en était-il au juste ici? Je posai la question à von Manteuffel, le commandant de Lou- vain, et voici ce qu'il me répondit : Je n'ai aucune raison de croire que des prêtres aient participé à la révolte de Louvain, soit comme instigateurs, soit de quelqu'autre manière. (Ich habe keinerlei Anhaltspunkte fiir die Annahme dass Geistliche aïs intellektuelle Urheber oder sonstwie an dem hiesigen Verbrechen be= teiîigt sind.) Par cette réponse l'affaire est entendue. A chacun son dû. » La Koelnische Volkszeitung du 23 octobre 1014, qui reproduit cet interview, ajoute : « Un bravo à l'auteur de cet article pour le noble amour de la vérité dont il fait preuve. Espérons que son souhait s'accom- plira et que, après cette manifestation officielle, tous les Allemands considéreront cette affaire comme finie. » Le vœu de Zimmermann, de la Taegïiche Rundschau, et de la Koelnische Volkszeitng ne s'est pas réalisé ; bien au contraire, le Livre Blanc reprend, avec une nouvelle force, les accusations contre les prêtres. Pourquoi? Nous ne nous chargeons pas de l'expliquer, ce ne sont pas nos affaires. Nous nous bornerons à faire ressortir, une fois de plus, la mauvaise foi de la commission d'enquête, qui, d'une part, enregistre, sans la moindre critique, les accusations les plus invraisemblables contre le clergé et qui, d'autre part, passe sous silence l'opinion du commandant von Manteuffel sur la participation des prêtres au complot. Il y a parfois, même parmi les complices, des témoins gênants ! § 7. — La Commission d'enquête belge et le Livre Blanc. Au réquisitoire accablant que la commission d'enquête belge a dressé contre l'armée allemande, le Livre Blanc se contente de répondre : <( Aucun des cas allégués par la commission belge n'a fu, de notre côté, être établi. » Nous doutons fort qu'une défense semblable soit de nature à convaincre un juge impartial de l'innocence de l'accusé en cause; bien au contraire, il sera tenté, et à juste titre, d'y voir plutôt une preuve de sa culpabilité. Au lieu de réfuter les accusations de la commission belge, le Livre Blanc se retourne contre elle; il lui fait le triple grief : » i° D'avoir passé sous silence le fait que la fusillade a duré plusieurs jours et s'est constamment renouvelée ; 20 D'avoir annoncé que Louvain était totalement détruit et que, de toute la ville, il ne restait que l'hôtel de ville et la gare ; 3° De s'en être prise, en accusant les militaires allemands de pillage, à l'administration toute entière de l'armée allemande. Premier grief. — Il n'est pas étonnant que le raonort beljre ne parle pas des coups de feu qui ont été tirés après la nuit du 25 au 26. En effet, les témoignages de tous les Louvanistes, comme ceux des officiers et des soldats reproduits dans le Livre Blanc, s'accordent à dire aue, le mardi soir, la fusillade fut violente et générale, tandis que, les jours suivants, on ne tira plus que de-ci de-là quelques coups de feu isolés. Les réfugiés qui ont déposé devant la commission d'enquête n'ont pas eu la prétention de ne rien omettre de ce qui s'était passé; ils se sont bornés à signaler les faits princinaux dont ils avaient été les témoins. Or, la fusillade du mardi soir tient une place importante dans le récit du sac de Louvain, puisqu'elle en marque le début, tandis que les coups de feu tirés le mercredi et le jeudi n'ont qu'un caractère tout à fait accessoire : ce qui signale ces journées, ce sont les incendies, le pillage, les arrestations, les assassinats. Et c'est, comme nous l'avons vu, la raison pour laquelle le Livre Blanc anrès avoir détaillé ce qui s'est passé le mardi soir, fait tenir en deux lignes le récit des journées suivantes. D'norès la commission d'enquête allemande, la longue durée du soulèvement serait une confirmation éclatante de la thèse du complot, et c'est pour cela que la com- mission d'enquête belge l'aurait passée sous silence. Nous sommes d'un avis tout à fait opposé; ainsi que (1) Nous trouvons dans Bachem, au sujet des crimes imputés aux prêtres belges, la déclaration suivante du représentant du ministère des affaires étrangères von Mumm : « Il est dès maintenant établi que la plupart de ces histoires sont Inventées et constituent d'abominables mensonges. » (Schon jetzt sleht fest, dass die meisten dieser Geschichten erfunden, erlogen und erstunJten sind.) - h - nous l'avons fait remarquer plus haut (Chap. II, § i), il n'est pas un homme de bon sens qui admettra qu'il ait fallu quatre jours à l'armée allemande pour réduire une population désarmée et terrorisée, comme l'était celle de Louvain. Si l'on a tiré pendant quatre jours dans les rues, c'est une preuve, non pas du complot tramé par les Louvanistes, mais de la comédie organisée par les Allemands. Deuxième grief. — Dans son 2° rapport daté du 31 août, la commission d'enquête belge reproduit une déclaration d'après laquelle Louvain serait entièrement détruit, à l'exception de l'hôtel de ville et de la gare. C'est manifestement une erreur, mais qui s'explique cependant de la part d'un témoin qui n'aurait vu que les quartiers situés entre l'hôtel de ville et la gare, où, à part ces deux édifices et quelques maisons particulières, tout a été incendié. La presse allemande, au lendemain des événements de Louvain, a commis la même faute; elle a annoncé que la ville était détruite, anéantie, complètement rasée : Loewen ist zer- stoert, untcrgegangen, dem Erdboden gleich (1). Le Livre Blanc est coupable en laissant croire que la com- mission belge n'a pas rectifié ses premières constatations au sujet des ruines de Louvain. Voici ce qu'on lit dans le 5e rapport, daté du 25 septembre : « Sans compter les Halles universitaires et le Palais de Justice, 894 maisons ont été incendiées sur le territoire de Louvain. » Bien loin d'exagérer, le rapport est ici en- dessous de la réalité. Aux Halles et au Palais de Justice, il aurait dû ajouter, en fait d'établissements publics, l'école commerciale et consulaire de l'Université, l'académie des beaux-arts et le théâtre; en outre, ce ne sont pas 894 maisons, mais plus de 1,100 qui, dans la ville seule, ont été incendiées. La sincérité de la commission belge contraste singulièrement avec la mauvaise foi de la commission allemande. Cette mau- vaise foi s'accuse encore dans l'affirmation suivante : Un sixième seulement de la ville est détruit. Cela est vrai, si l'on tient uniquement compte du nombre des maisons; mais c'est tromper le lecteur que de lui laisser ignorer que les 1,120 immeubles ruinés constituaient les quartiers les plus riches de toute la ville. On peut dire, sans être taxé d'exagération, que, au point de vue de la valeur immobilière, plus du quart de la ville a disparu. Et que de pertes irréparables ! Sans parler des trésors inestimables de la bibliothèque, des archives de l'Université et du Palais de Justice, plusieurs collections de tableaux, de porcelaines, d'objets d'art de toutes sortes ont péri dans les flammes. 14 avocats, 5 juges, 15 médecins, 5 notaires, 19 professeurs de l'Université ont perdu, dans le désastre, leurs bibliothèques particulières et toutes leurs notes scientifiques ou professionnelles. Troisième grief. — Le 5e rapport de la commission d'enquête belge affirme qu'une grande partie du butin, chargée sur des fourgons militaires, a été transportée en Allemagne. Le Livre Blanc proteste contre cette assertion; « elle est, dit-il, inventée de toutes pièces; c'est l'administration de l'armée qui décide ce qui doit être chargé sur les camions et les wagons militaires, et elle n'a pris aucune mesure semblable à celle qu'on lui reproche. » C'est, on en conviendra, une bien singulière façon de rendre la justice que de demander à l'accusé s'il a commis le crime qu'on lui reproche et, sur sa réponse négative, de conclure à sa parfaite innocence. Que les soldats allemands se soient livrés au pillage à Louvain, nous l'avons déjà prouvé par les affiches du commandant de place von Manteuffel (fig. 6 et 7); de plus, il est prouvé, par des témoignages nombreux et autorisés, que le pillage fut organisé systématiquement sous la conduite d'officiers et que le butin, chargé sur des camions militaires, prit le chemin de la gare. Des soldats, pillant individuellement et pour leur propre compte, enlèvent de l'argent, des bijoux, du linge, des vivres, tous objets qu'ils peu- vent facilement emporter; mais ils ne démontent pas des meubles et ne dévalisent pas des magasins de pianos; or, ce fut le cas à Louvain. Les soldats devaient piller, par ordre; deux d'entre eux remirent à la supérieure d'un couvent de la banlieue des objets qu'ils avaient été forcés de prendre dans des maisons qu'ils désignèrent; ils prièrent la religieuse de les restituer aux propriétaires, car, disaient-ils, ils n'étaient pas des voleurs. Fn terminant l'exposé de ces faits, le Livre Blanc déclare que la commission belge n'attache elle- même que peu de poids aux racontars qui sont débités devant elle; « et la preuve, dit-il, c'est que, en parlant dans son 5e rapport de l'exécution de Mgr Coenraets et du P. Schmidt, elle a soin d'ajouter au mot <( exécution » Vèpithète <( prétendue », car elle pouvait difficilement ignorer que Mgr Coenraets vit aujourd'hui en Hollande en parfaite santé ». Or, il n'est pas question dans ce rapport d'exécution « pré- tendue », mais bien d'exécution « simulée ». Avant de faire cette critique, les membres de la commission d'enquête allemande auraient dû apprendre le français ; ils auraient ainsi évité de faire un contre-sens en traduisant « simulée » par « angeblich », qui signifie « prétendue », et ils auraient com- pris qu'il n'y avait pas d'incompatibilité entre l'exécution « simulée » de Mgr Coenraets et sa présence actuelle en Hollande. Nous reconnaissons toutefois que le récit de la commission d'enquête belge est inexact; d'après les renseignements que nous avons recueillis, Mgr Coenraets et le P. Parys (et non le P. Schmidt) (2), en leur qualité d'otages, ont été a plusieurs reprises menacés d'être passés par les armes, mais n'ont pas été soumis à la torture du simulacre d'exécution; c'est à d'autres — et ils furent nombreux — que ce genre de supplice fut réservé. (1) Frankfurter Zeitung, du 28 août, Koélnische Zeitung, du Ier septembre, Koelnische V olkszeitung, du Ier septembre, TaegHeke Rundschau, du 2 septembre. (2) Il y eut confusion entre le P. Parys, dominicain, et M. l'échevin Schmidt ; tous deux faisaient partie du cortège des otages. TROISIEME PARTIE Les Dépositions REMARQUES GÉNÉRALES L'exposé général des faits est suivi de 50 annexes ; celles-ci comprennent les dépositions de cin- quante-deux témoins (51 Allemands et 1 Belge), un procès-verbal de descente judiciaire et un plan de la ville de Louvain. Chaque témoin a déposé devant un juge militaire (Feldkriegsgerichtsrat), assisté d'un secrétaire (Kriegsgerichtssekretaer als Protokollfilhrer), à l'endroit où il se trouvait au moment de l'enquête; ainsi, le général von Boehn a été interrogé à Noyon, le capitaine von Esmarch à Berlin, le major von Manteuffel à Louvain. Juges et secrétaires varient la plupart du temps de ville à ville, ce qui n'est pas de nature, on en conviendra, à assurer de l'unité à l'enquête. Certaines dépositions — celles des principaux chefs notamment — sont précédées de la formule suivante : Il est donné connaissance au témoin que le gouver- neur général, le général feld-maréchal vo entretemps, la plupart des officiers du commandement gênerai étaient arrivés oiTJi en traîna débarquer leurs chevaux. Il faut encore mentionner que le ë^ral-c°mman- 7an\ TènserTndZ l au champ de bataille, avait fait sonner V alarme pour envoyer au combat toutes les troupes qui venant ^^J^Zmandant, le chef de l'état-major général et moi, nous revînmes cours de route, on ouvrait sur nous un feu de cote c ia* A,- . „•; ci lut prise et, comme on y trouva de la résistance armée, elle fut mise en jeu. n- Ve„, colimïncé a flambe, aue, ^onnMemenlï^ie yonpeci* cejuisu* ^ ^ Thérèse étaient soulevées et de la Station; nous nous mîmes ornent où le coup de feu partait, je vis que les tuiles du toit ae 1 noi inaie- aue de là on ouvrait un feu enragé sur nos troupes qui se trouvaient sur la place Zïats'^lusaVaoJ^ de la Station; nous nous mîmes anntoiwusa ,.™ ' "'^/^ ,„"*»• ^ous ^c des mitrailleuses. Le &S 3œ£&&Z^~^»»>* " la série des cnp sur ,a - 49 - porte d'entrée de la gare. Ce feu dura environ 4 ou 5 minutes; nos troupes y répondirent aussitôt; elles prirent d'assaut la maison et l'incendièrent. Entretemps, on apportait une quantité de blessés. On avait donné l'ordre catégorique de brûler toutes les maisons d'où l'on tirerait . Beaucoup de civils belges furent saisis les armes à la main; d'après l'ordre du général commandant, ils devaient être fusillés. Vers une heure, le feu cessa. Pendant que les maisons brûlaient, des inanitions explosaient continuellement. De 1 à j heures, le général commandant est resté dans un wagon de chemin de fer. Le matin, à j heures, le corps d'armée se rendit au combat. Nous ne traversâmes pas les rues principales, mais nous suivîmes une allée. Là, j'ai vu, de façon précise, ce qui suit : J'étais installé dans une automobile; tout à coup plusieurs coups de feu partirent d'une cave, du côté gauche, à 20 mètres de moi. Nous tirâmes dans la direction du soupirail, et le feu cessa. Le général- commandant quitta son automobile, le revolver chargé au poing, et se rendit alors sur la place qui se trou- vait juste devant le pont. Ensuite nous partîmes pour le champ de bataille. Derrière nous marchaient des troupes d'infanterie. L'officier qui était à leur tête fut tué, au même endroit, où nous étions descendus de voiture, par un civil qui était juché sur un arbre. Comme on lirait continuellement sur la roule d'étape, l'ordre fui donné de procéder à l'épuratioûi de la ville de vive force. On envoya deux canons avec 150 projectiles. Ces deux canons ont, de la gare, balayé les rues à coups de grenades. Ainsi au moins, les environs de la station furent rendus sûrs, et il fut possible de faire passer à travers la ville les colonnes qui avaient bivouaqué des journées entières devant Louvain. Sans cela, les troupes de la première armée auraient dû mourir de faim. La conduite des troupes à Louvain fut exemplaire. Le major von Klewitz déclare que, en revenant du champ de bataille de Bueken où, en sa qualité d'officier d'état-major, il avait accompagné le général von Boehn, des soldats lui ont appris que des pay- sans tiraient sur les troupes. Il n'a pas vu les francs-tireurs, il n'a même pas entendu le bruit de leurs armes, mais il a constaté — et c'est la seule preuve qu'il apporte de leur présence — que, dans un village, toute circulation était arrêtée parce qu'on avait tiré des maisons! En arrivant en ville, l'automobile du général, dans laquelle le témoin avait pris place, s'arrêta. Nous descendîmes de voiture, dit-il; le général commandant avec ses chauffeurs, quelques officiers et moi, nous nous rendîmes, vers 9 heures du soir, à travers les rues obscures de la ville, au « Marktplatz » (1). Il faut savoir que la porte de Malines est reliée à la Grand' Place — le groupe des militaires alla, en premier lieu, à l'hôtel de ville, qui est situé sur cette place, — par une rue étroite et tortueuse, longue d'environ un kilomètre, la rue de Malines. Dès lors, comment expliquer l'attitude de ces officiers supérieurs qui, accom- pagnés seulement des chauffeurs de l'automobile, traversent la ville à pied, alors qu'on vient de les avertir qu'il s'y livre des combats de rues. Le général von Boehn affirme qu'il se fit accompagner d'une escorte; le major von Klewitz, par contre, détaille ainsi le groupe qui accompagnait le général : « Der Komman- dierende General, mit den Chauffeuren und uns paar Offizieren... » Pendant que nous marchions, dit-il, on ouvrait sur nous un feu de côté, chaque fois que nous arrivions au coin d'une rue. Ce détail est intéressant à relever; pourquoi était-ce précisément aux carrefours que ces officiers essuyaient des coups de feu, si ce n'est parce que ceux-ci étaient tirés, non pas des maisons, mais bien des rues latérales, par des soldats allemands qui, apeurés, croyaient à l'arrivée de l'ennemi? Quoiqu'il en soit, le cortège arriva, sans encombre, à la Grand'Place. Les franos-tireurs, par leur maladresse venaient de laisser échapper une proie peu ordinaire! Le témoin ne donne pas de détails nouveaux sur ce qui se passa à l'hôtel de ville. De là, il se rendit porteur d une arme et qu il avait blessé deux soldats. Dans un combat corpi soldats l'avaient tué et ensuite jeté par la fenêtre. Dans l'hôtel, il n'y avait plus personne, sauf un civil, au sujet duquel nous ne savons rien. \Tous avons déjà fait remarquer, à propos de la déposition du général von Boehn, combien il est invraisemblable qu'un franc-tireur se soit installé dans l'hôtel Métro- pole, entièrement occupé par les Allemands. La pauvre victime dont parle von Klewitz est Jan Oms, un vieux serviteur de l'hôtel, occupé aux menus travaux de la cuisine; il avait été, sans le moindre prétexte, lâchement assassiné et son corps avait été jeté par la fenêtre. Quant au civil qui se tiouvait encore dans l'hôtel, le témoin dit qu'il ne sait rien du tout à son sujet. Nous sommes plus favorisé que lui et nous pouvons suppléer à l'insuffisance de sa documentation. Ce civil est un Allemand qui, sans dévoiler son nom, a raconté ses aventures dans un article de la Koelnische Zeitung, reproduit par la Taegliche Rundschau, du 9 septembre 1914 (Unterhaltungsbeilage, n° 37). Il se trouvait, dit-il, à l'hôtel Métropole au moment de la panique. « Les soldats allemands me prenaient pour un franc-tireur : j'ai cru que mon dernier moment était arrivé. Je leur criai en patois : « Vous n'allez » cependant pas tuer un enfant de Cologne! » — « Ah ! me répondirent des soldats, vous êtes de Cologne! » (1) Le témoin désigne vraisemblablement sous ce nom la Grand' Place (en flamand : Groote Markt). _ oo - Mai s d'autres se précipitèrent sur moi en vociférant : « Que fait ici cet individu? Allez, tuez-le! » Heureu- sement qu'un officier intervint; après avoir examiné mes papiers, il me lit mettre en liberté. » Ce témoin, que la commission d'enquête aurait bien fait d'interroger, ajoute : « Les soldats criaient : « Les Anglais » sont là! » Il y avait une cohue telle que je ne parviens pas encore à comprendre comment j'en suis sorti vivant. Dans les cafés, les réservoirs à essence explosaient; tout cela produisait un vacarme si terrible que, aujourd'hui encore, j'en suis à moitié sourd ». Le récit de von Klewitz au sujet de ce qui s'est passé à la place de la Station est assez confus. Vers 10 heures, dit-il, on tira des maisons voisines sur les troupes; le feu devint si violent que le général ordonna de s'emparer de la maison (Dus Haus). De quelle maison s'agit-il? 11 est impossible que les civils aient tiré, à 10 heures, des maisons situées en face de la gare puisque, à ce momentr d'après les dépositions du Livre Blanc lui-même (Ann. 7, 37, 44), elles avaient été évacuées et brûlaient déjà en grande partie. Le témoin parle ensuite de la fusillade partie du toit de l'hôtel Marie-Thérèse (§ 3, G). Nous ne revien- drons sur cet épisode que pour relever un nouveau mensonge de von Klewitz : il dit que, le mercredi matin, on put établir que les troupes avaient essuyé le feu des mitrailleuses, car on voyait nettement la série des coups sur la porte d'entrée de la gare. C'est faux : la commission d'enquête aurait pu constater que sur cette porte — qui n'a pas été changée depuis le mois d'août 1914 — il n'y a pas une seule trace de balle. Le major continue sa déposition en insistant sur la valeur de son témoignage : Les faits que je vais signaler, dit-il, je les ai vus de façon précise (genau gesehen). 11 va sans doute donner une preuve directe, irréfutable de la culpabilité des Louvanistes. Ecoutons : J'étais installé dans une automobile. Tout à coup plusieurs coups de feu partirent d'une cave (quelle cave?), du côté gauche, à 20 mètres de moi. Nous tirâmes dans la direction du soupirail et le feu cessa. Le général commandant quitta son automobile, le revolver chargé au poing, et se rendit alors sur la place (quelle place ?) qui se trouvait juste devant le pont (quel pont?) Ensuite, nous partîmes pour le champ de bataille. » Quel amusant personnage de vaudeville que ce général, se précipitant hors de son auto, le revolver au poing, et, après avoir fait ce beau geste de bravoure, rentrant dans sa voiture et continuant paisiblement sa route ! Le major a encore vu, de façon précise, un autre fait : Derrière nous, dit-il, marchaient des troupes d'infanterie. L'officier qui était à leur tête fut tué, au même endroit où nous étions descendus de voiture, par un civil qui était juché sur un arbre. Ici, le témoin ne nous dit pas ce que le général, ou lui-même, ou les troupes ont fait pour châtier ce téméraire franc-tireur qui était allé se poster sur un arbre pour attaquer tout un régiment d'infanterie! La ville, dit von Klewitz, a dû être nettoyée à coups de grenades : de la gare, deux canons balayèrent les rues. C'est grâce à ce bombardement, ajoute le témoin, qu'il fut possible de faire passer à travers la ville les colonnes qui avaient bivouaqué des journées entières devant Louvain. Sans cela, les troupes de la pre- mière armée auraient dû mourir de faim (Die Truppen der 1. Armée haetten sonst verhungern mùssen). Devant une affirmation aussi niaise, on ne peut que hausser les épaules en se demandant comment il est possible qu'un major de l'armée allemande ait été assez sot pour la faire, et une commission d'enquête officielle assez crédule pour l'enregistrer. von Klewitz termine par une affirmation solennelle qui donne la mesure de toute sa déposition : A Louvain, la conduite des troupes fut exemplaire. Annexe 3. Déposition du major von Manteuffel, commandant de la i5me Kommandantur d'étape mobile. Louvain, le 23 septembre 1914. Nous arrivâmes à Louvain le dimanche 23 août 1914, à 11 heures. La ville offrait un aspect calme et paisible. Une compagnie du régiment de landwehr n° 66 occupait l'hôtel de ville. Il n'y avait pas encore à ce moment d'autres détachements en ville. La compagnie devait commencer le service d'étape, dès l'entrée de nouvelles troupes. Ce fut le cas mardi à midi. Les troupes suivantes étaient entretemps arrivées : deux compagnies et un bataillon de la brigade de landwehr n° 2J; les hommes avaient trouvé à se loger à l'hôtel de ville et dans le bâtiment situé en face. De plus, des troupes du IXme corps de réserve traversaient la ville. L'après-midi, vers 4 heures, arriva à la gare la première compagnie du bataillon de landsturm de Neuss, sous le commandement de l'Oberleutnant von Sandt. Je m'étais rendu, vers 6 h. 1J2, à l'hôtel Métropole, rue Vital Decoster, pour prendre mon repas. J'avais à peine fini de manger-le potage, lorsqu'un des six gendarmes que nous avions pris avec nous vint m' annoncer que je devais me rendre à l'hôtel de ville. En chemin, il me raconta que, dans les rues, des habi- tants avaient tiré sur les soldats. Lorsque, quelques minutes plus tard, je me trouvais à l'hôtel de ville, j'entendis tout à coup une violente fusillade sur la place. Je vis que, dans la salle d'en bas, les soldats de la compagnie étaient postés aux fenêtres et répondaient au feu des habitants. J'aperçus aussi, devant l'hôtel de — 5i — ville, sur l'escalier d'entrée, des soldats qui ripostaient en tirant des coups de feu dans la direction des maisons. A ma demande, ils me déclarèrent tous que les habitants avaient d'abord tiré sur eux de telles et telles fenêtres qu'ils désignaient. Le sifflement des projectiles était semblable à celui des balles de browning et tout à fait différent de celui des balles allemandes. Enlretemps, les commandants de compagnie — il y avait aussi une compagnie dans la salle de l'étage — avaient fait cesser le feu. Il y eut un mome&it de calme. La place de l'kôtel de ville fut alors entièrement occupée par une batterie d'artillerie, des colonnes, des automobiles et des tanks à benzine. A ce moment recommença une nouvelle fusillade colossale des habi- tants provenant des maisons environnantes. Je vis qu'une compagnie cherchait à s'abriter à l'entrée de l'église Saint-Pierre. Entretemps, nos blessés furent amenés à l'hôtel de ville ; je crois qu'il y en avait trois, atteints prin- cipalement aux jambes. Après que, cette fois encore, le feu eut cessé, je donnai l'ordre de faire des perquisitions dans les maisons environnantes. Ce qui fut fait immédiatement, et de la façon suivante : tous les habitants qui furent trouvés porteurs d'armes ou de munitions furent fusillés sur le champ ; leurs maisons furent incendiées. Moi-même, j'ai vu un civil belge sur lequel on trouva encore un chargeur avec des cartouches. C'est à ce moment, environ vers g h. 1/2, que se place l'arrivée du général commandant le IXe corps de réserve, Son Exe. von Boehn. Il était fort irrité de cette fusillade des Belges. Alors qu'il traversait la ville à cheval avec son état-major pour se rendre à l'hôtel, les Belges, sans raison et tout à fait soudainement, ouvrirent un feu meurtrier des toits et des fenêtres sur lui et sur son état-major. Trois de ses adjudants furent blessés grièvement, au point que leurs jours furent en danger. Environ ço chevaux furent dispersés, blessés ou tués. Son Exe. von Boehn demanda à être conduit auprès des otages. Il leur fit expliquer en sa présence, en français, par un de ses officiers, que, si l'on continuait à tirer dans les rues, les otages seraient fusillés, que la ville aurait à payer une contribution de guerre de 20 millions de francs et qu'elle serait détruite. Je m'offris à faire connaître immédiatement ces mesures à la population ; je parcourus les rues, accompagné de deux otages et d'un groupe de soldats, et je fis répéter par les otages les paroles du général von Boehn. Le lendemain matin, sur l'ordre du général, le même cortège circula de nouveau en ville. Plu- sieurs maisons, d'où l'on avait tiré, brûlaient déjà. Sur la place de l'hôtel de ville les habitants cessèrent le feu, mais sur les boulevards on doit encore avoir tiré. Je veux encore mentionner que, sur la place de l'hôtel de ville, un cheval fut tué d'un coup à la tête. Après avoir fait ma déposition, je désire encore, donnant mon avis sur l'affaire de Louvain comme commandant et comme soldat, déclarer que toute la fusillade des habitants avait été préparée. Au même moment, on signalait l'approche de deux bataillons belges venant de Bueken. L'alarme fut sonnée pour que les troupes allemandes de la garnison se portent à leur rencontre. Au moment où ces troupes étaient presque sorties de la ville, les habitants ouvrirent un feu violent des fenêtres et des toits. Nos soldats passaient tranquillement dans les rues sans se douter de rien, lorsque tout à coup on tira sur eux. Ceux-ci n'avaient en aucune manière commencé le feu, et ils n'avaient fourni aucun prétexte à l'attaque des Louva- nistes. Les deux témoins précédents n'ont passé que quelques journées à Louvain. Le major von Manteuffel, au contraire, y a séjourné en qualité de commandant d'étape, à partir du 23 août jusqu'au moment où il a été interrogé par la commission d'enquête, le 23 septembre 1914. Pendant tout ce temps, il a eu le loisir de réunir une documentation abondante et on est en droit de s'attendre de sa part à une déposition parti- culièrement complète et précise. Qu'on se détrompe! Le témoin se borne à signaler quelques faits qui se seraient passés le mardi soir; « le mercredi, ajoute-t-il, les otages circulèrent de nouveau en ville, et, sur les boulevards, on doit encore avoir tiré ». C'est tout! von Manteuffel ne dit absolument rien des événements qui se sont déroulés depuis le 26 août jusqu'au 9 septembre, date à laquelle il a fait afficher sur les murs de la ville une proclamation défendant à ses soldats d'incendier et de piller (fig. 7). Ce silence n'est-il pas significatif? von Manteuffel, nous l'avons vu (§ 6), a déclaré à Zimmerman que, d'après lui, les prêtres de Louvain étaient innocents. A-t-il fait la même déclaration à la commission d'enquête et celle-ci a-t-elle supprimé cette partie de son témoignage, ou bien a-t-il été lâche au point de ne pas donner son opinion sur les légendes concernant le clergé? Nous ne le savons pas. En tout cas, dans toute sa déposition, il n'y a pas un seul mot concernant la participation des prêtres à la prétendue révolte. Il venait, dit-il, de commencer son repas à l'hôtel Métropole, vers 6 1/2 heures, lorsqu'un gen- darme vint le prier de se rendre de suite à l'hôtel de ville. En chemin, celui-ci lui raconta que, dans les rues, les habitants avaient tiré sur les soldats. Voilà un fait bien étrange ! Toutes les dépositions reconnaissent que, avant 7 heures, le calme le plus parfait régnait en ville et que c'est seulement à l'apparition des fusées que la révolte éclata subitement. S'il en fut ainsi, comment expliquer qu'un gendarme ait pu, entre 6 1/2 et 7 heures, annoncer à von Manteuffel que les soldats avaient été attaqués par les bourgeois? Dans le récit, fait par le témoin, de l'échauffourée qui s'est produite à la Grand' Place, nous rele- vons les points suivants : i)2 i" Il n'était pas présent lorsque les premiers coups de feu furent tirés, ce sont les soldats qui lui ont dit qu'ils avaient été attaqués par les habitants; quant à la fusillade « colossale » qui suivit, von Manteuffel ne dit pas qu'il a vu des civils tirer; 2°. Ici, comme ailleurs, lorsque les officiers ordonnent de cesser le feu, le calme se rétablit, preuve évidente que ce sont les soldats allemands qui causaient les troubles; 3° En fait de franc-tireur, on n'a amené devant lui, à la suite des perquisitions qu'il avait ordonnées, qu'un civil portant un chargeur de cartouches. Il affirme néanmoins que plusieurs habitants, saisis les armes à la main ou avec des munitions, furent immédiatement fusillés. C'est faux : aucun civil n'a été tué à la Grand'Place; 4° Malgré la violence de l'attaque, il n'y eut en tout que trois blessés; à la fin de sa déposition, von Manteuffel mentionne encore, comme particulièrement importante, la perte d'un cheval ! Le témoin affirme que, lorsque le général von Boehn traversa la ville avec son état-major et qu'il fut, prétendument, attaqué par les habitants, trois de ses adjudants furent grièvement blessés et go chevaux dispersés, blessés ou tués. Manteuffel est dans l'erreur : le chiffre des victimes indicjue qu'il fait allusion à la fusillade qui éclata, à 8 heures, à la place du Peuple, où se trouvait installée la première division du commandement général. Or, von Boehn ne pouvait se trouver là à ce moment, puisqu'il n'est rentré en ville, venant de Bueken, que vers g h. 1/2. Beaucoup de Louvanistes croient que c'est à von Manteuffel que leur cité doit tous ses malheurs : ils ont vu son nom au bas des proclamations allemandes affichées en ville pendant les sinistres journées et ils en concluent que c'est lui, le commandant, qui est le principal coupable. En réalité, il semble bien que von Manteuffel n'a été qu'un intermédiaire et qu'il n'a fait qu'exécuter les instructions qui lui ont été données par le général von Boehn. Aux médecins qui vinrent, le jeudi 27, lui montrer tout ce qu'il y avait d'odieux dans le fait de bombarder les établissements de la Croix-Rouge, il répondit : « Je n'en peux rien, j'ai reçu des ordres ». (Ich habe Befehl bekommen). Il voulait se donner la satisfaction d'obéir à un supé- rieur pour s'excuser des crimes qu'il faisait ou laissait commettre, von Manteuffel, c'est le Ponce-Pilate du sac de Louvain. Annexe 4. Déposition du lieutenant de réserve Ibach, attaché à la I5me Kommandantur d'étape mobile. Louvain, le 23 septembre içi4. Le 25 août, je nie trouvais à l'hôtel de ville de Louvain, en qualité d'attaché à la Kommandantur d'étape. Le soir, entre 6 et y heures, on me fit savoir coup sur coup que, dans les quartiers extérieurs (1) de la ville, des Belges avaient tiré sur nos soldats. Je fis appeler à l'hôtel de ville le commandant d'étape, le major von Manteuffel. Peu de temps après son arrivée, vers 7 heures du soir, on ouvrit un feu violent immédiate- ment devant l'hôtel de ville. Je sortis du bureau de la Kommandantur et entrai dans la salle des Pas- Perdus. Là, nos soldats me dirent que les habitants avaient tiré des fenêtres et des toits des maisons qui se trouvaient en face. Les soldats allemands répondirent au feu des habitants. Parmi ceux qui se trouvaient à l'hôtel de ville, j'en vis plusieurs qui portaient des blessures provenant de balles; un d'entre eux, était blessé à la cuisse; il fut pansé dans le bureau de la Kommandantur. Au cours de la nuit, des soldats apportèrent un cadavre enveloppé dans une couverture rouge; ils me direostes. A ma con- naissance, en dehors de ce détachement, il n'y avait à Louvain le 25 août aucune autre troupe. Ce jour, jusqu'à 4 heures du soir, la ville fut complètement tranquille. A 4 heures arriva le major d'état- major de la 77e division de réserve, von Rosenberg; il donna l'ordre à la compagnie von Sandt d'aller s'établir, prête à l'appel, à la sortie nord-ouest de la ville. Avec l'Oberleutnant von Sandt, je con- duisis aussitôt la compagnie à l'endroit désigné et l'installai, bien à l'abri, derrière un pli de terrain. La — 55 — compagnie resta là depuis 4 h. 45 jusqu'à 6 heures du soir, sans prendre part au combat, qui, d'après mes souvenirs, avait déjà commencé à 10 heures du matin des deux côtés de la chaussée Malines-Louvain et dont le foyer principal se trouvait dans les villages de Trièrent et de Bueken. Quelques minutes après 6 heures, je donnai l'ordre û i'Oberleutnant von Sandt de ramener sa compagnie en arrière et de l'installer, prête à l'alarme, à la gare de Louvain; j'avais le pressentiment qu'elle serait plus nécessaire à cet endroit qu'à l'extérieur de la ville. Moi-même, je me rendis à pied à la gare à travers les rues qui étaient presque dégarnies de soldats. Je rencontrai des habitants isolés; j'en vis d'autres se tenir par petits groupes devant les maisons et circuler dans les rues. Les lumières étaient éteintes dans toutes les maisons. En fait de troupes allemandes, je ne vis ce soir que de petits détachements qui accompagnaient des bagages. J'étais à 500 pas environ de la gare, près de la rue Léopold, lorsque je vis tout à coup la lueur d'une fusée s'élever dans le ciel obliquement à la rue de la Station. Au même moment, on commença à tirer de toutes les maisons voisines, des fenêtres, des lucarnes des toits, des soupiraux, sur moi et sur les soldats allemands qui se trouvaient dans les environs; ceux-ci étaient à peu près au nombre de quinze; en partie, ils se trouvaient isolés dans la rue, en partie, ils suivaient les bagages qui s'étaient déjà avancés plies loin. Je signale d'une façon toute spéciale que, avant que la fusée ne fût lancée, un calme complet régnait dans la rue et, en particulier, que les soldats allemands passaient tout à fait tranquilles et inoffensifs. Je soutiens expressément que, avant l'attaque qui commença alors, ni un officier, ni un soldat allemand n'a tiré un seul coup de feu contre les habitants de Louvain. Je rassemblai une dizaine de soldats; je les disposai des deux côtés de la rue et je me rendis avec eux à la gare. Pendant ce trajet d'en- viron $00 mètres, on tira sur moi et sur mes dix hommes de la plupart des maisons de la rue, au point que nous nous trouvions au milieu d'une pluie ininterrompue de balles. En chemin, j'ordonnai à mes soldats de répondre au feu qui était dirigé sur eux. Lorsque j'arrivai à la place de la Statioie>it des maisons voisines. A cause de l'obscurité, je ne pouvais plus reconnaître les personnes qui tiraient. J'affirme de la façon la plus formelle que ce n'est qu'après que les civils, au signal de la fusée, eurent commencé à tirer des maisons, que les soldats allemands tirèrent à leur tour. Après que la fusée fut lancée, commença, aussitôt, de toutes les maisons voisines, une fusillade furieuse. Il en résulta une débandade folle. Des chevaux sans cavaliers, des camions sans conducteurs passèrent à côté de moi. En traitant, dans la réfutation de l'exposé général des faits, de la question des fusées-signaux, nous avons déjà fait remarquer que le témoignage du caporal Fenes est en contradiction absolue avec celui du soldat Kiippers (§ 3, C). D'après Fenes, la fusée serait partie d'un buisson situé à droite de la gare, là où, dit-il, se trouvent aujourd'hui des tombes. Comme on peut le voir sur le plan de la place de la Station (fig. 2), ce ne peut être qu'aux endroits désignés par les lettres D et E; or, à ce moment, le bataillon de landsturm de Neuss occupait toute la place. Conçoit-on qu'un franc-tireur, pour lancer une fusée-signal, soit allé se placer juste au milieu des soldats? En tenant compte de l'insistance avec laquelle Fenes affirme avoir constaté ce fait, toute sa déposition apparaît déjà comme singulièrement suspecte. Ce n'est pas le seul mensonge qu'elle contient. Il déclare qu'il a pu voir que les coups de feu étaient tirés par des civils, car, dit-il, il faisait encore assez clair. C'est faux : les premiers coups de feu éclatèrent à la place de la Station alors que l'obscurité était déjà tombée. Fenes a observé des choses bien extraordinaires ! Il a vu que des civils couraient sur les toits des mai sons, et, de là, déchargeaient leurs fusils. Imprudents francs-tireurs qui, au lieu de se dissimuler derrière un abri, allaient ainsi s'exposer délibérément aux balles allemandes ! Le témoin vit successivement les deux chevaux qu'il gardait, abattus par les balles des bourgeois; l'un des chevaux, en tombant, l'entraîna dans sa chute, l'autre tomba sur Fenes, lui brisant l'épaule et une côte. Pendant qu'il était étendu entre les deux chevaux, il fut atteint, à la partie supérieure du crâne, par une balle tirée, dit-il, d'une fenêtre de l'hôtel. Il est vraiment inexplicable qu'il ait pu distinguer, au milieu de la fusillade qui partait de toutes les fenêtres et de tous les toits, le coup qui le frappait, d'autant plus que, comme il a été atteint à la partie supérieure du crâne au moment où il gisait par terre, il devait avoir, selon toute vraisemblance, les yeux tournés du côté opposé à l'hôtel. Le juge a constaté que la lésion, encore très visible, se trouvait à la partie supérieure du crâne, envi- ron vers le milieu, de sorte que la balle, à son avis, doit avoir été tirée de haut en bas. Comment le juge a-t-il pu, au simple examen de la blessure et sans savoir quelle était la position exacte de la tête du blessé au moment où celui-ci fut atteint, déterminer la direction de la balle et reconnaître que celle-ci a dû être tirée de haut en bas ? Fenes, en. terminant, laisse échapper un aveu : Dès les premiers coups de feu, dit-il, il se produisit une débandade folle : ein toiles Durcheinander. Annexe 23. Déposition de Meschede, sous-officier de santé de la ire compagnie du 20 bataillon de landsturm de Neuss. Le 26 août au soir, entre 7 et 8 heures, je me trouvais à la salle d'examen des malades, à la gare de Louvain. En ma qualité de sous-officier de santé, je pansais les blessés qu'on y amenait. Parmi ceux-ci se trouvaient deux soldats de la iTe compagnie de notre bataillon, les nommés Kloenters et Roesseler. Je constatai — je l'affirme sous la foi du serment — que tous deux avaient été atteints à la tête par des plombs. Ce soir-là, on m'apporta en tout environ 40 à 50 soldats allemands blessés. Pour la critique de cette déposition, nous renvoyons à ce que nous avons dit précédemment (§ 3, D), au sujet des soldats allemands prétendument blessés par des plombs. Annexe 24. Déposition de Bongartz, soldat de la ire compagnie du 2e bataillon de landsturm de Neuss. Malines, le iç novembre IQ14. Le 25 août, au soir, nous revînmes du combat qui s'était livré près de Bueken et nous nous instal' lames à la gare. Tout à coup, comme sur un ordre donné, on tira sur nous de tous côtés. Des maisons voisines, je l'ai vu très nettement, on dirigeait sur nous de vrais feux de salve. J'ai vu qu'on tirait aussi d'un café situé à cet endroit. Nous fîmes sortir de ce café quelques femmes et un homme; nous les condui- sîmes à l'hôtel de ville. En chemin, on tira encore des maisons sur nous. Le jour suivant, vers "j heures du matin, je reçus moi-même une balle dans le genou. Un soldai allemand de garde me montra un fusil qui, ainsi que j'ai pu m'en convaincre, avait été atteint par des plombs. J'ai vu distinctement que des civils tiraient des maisons. La balle qui m'atteignit au genou fut tirée, d'une cave, par un civil. Le témoin a assisté à l'échauffourée de la place de la Station. Il a perquisitionné dans un café (lequel ?) d'où étaient partis des coups de feu. A-t-il trouvé un seul franc-tireur ? A-t-il saisi une seule arme ? Non, il a arrêté de paisibles habitants, les a faits prisonniers et les a conduits à l'hôtel de ville, il ne nous dit pas au milieu de quel concert d'injures et de menaces. Voici un détail dont l'exactitude est affirmée par de nombreux témoins : une des femmes prisonnières tenait dans ses bras un bébé d'un an; deux soldats avaient appuyé le canon de leur fusil sur chacune des épaules de la malheureuse et, dans cette position, tiraillaient sans discontinuer. Le jour suivant, ajoute Bongartz, je reçus moi-même une balle dans le genou; le coup était parti d'une cave (laquelle?) et avait été tiré par un civil. Comment le témoin a-t-il pu voir son agresseur, puisque celui- ci était dissimulé dans une cave? Et qu'a-t-il fait pour répondre à cette attaque? Annexe 25. Déposition de Zander, soldat de la 3e compagnie d' « Ersatz » du 5e régiment d'infanterie du Hanovre, n° 165. Quedlinburg, le 22 novembre 1Q14. Le 21 août IQ14, je fus transporté à l'hôpital de Louvain parce que j'avais une blessure au pied. L'hôpital était installé dans la caserne du 11e régiment d'infanterie belge (1), en face de l'hôpital militaire; on y avait arboré un drapeau de la Croix-Rouge. Les repas nous étaient régulièrement servis par des jeunes gens belges qui faisaient leurs études à Louvain pour devenir prêtres, par quelques dominicains ou franciscains qui portaient des soutanes jaunes et aussi par quelques civils. Le personnel ambulancier portait des brassards blancs avec croix rouge. Le 2j août, ces personnes qui nous servaient les repas avaient disparu dès l'après-midi. Ce furent des civils qui nous servirent le souper; celui-ci doit avoir été gâté en quelque façon, car la plupart de ceux qui en mangèrent éprouvèrent une violente diarrhée. Le soir, lorsque la plupart étaient déjà au lit — il pouvait être environ 8 heures à 8 h. 1/2, — nous entendîmes tout à coup une violente fusillade. Tous ceux qui en étaient capables, sautèrent de leur lit et se mirent à la recherche d'un fusil pour se défendre. Le plus haut gradé présent à l'hôpital était un tambour de bataillon (Feldwebel) du régiment 2f; il était au lit grièvement blessé. Il essaya de nous tranquilliser en disant que nous nous trouvions sous la protection de la Croix-Rouge et que personne ne pouvait nous faire aucun mal. Ceux d'entre nous qui avaient pu se procurer un fusil se précipitèrent à l'entrée de l'hôpital pour se protéger et protéger en même temps ceux qui se trouvaient à l'intérieur. J'ai vu très nettement que deux ou trois personnes étaient assises sur le toit d'une maison voisine et, de là, tiraient sur notre hôpital. En bas, près de la porte cochère, où se trouvait la garde, nous entendîmes un feu violent. On saisis- sait très distinctement la différence entre les coups de pistolet tirés par les Belges et les coups de fusil tirés par nos troupes. Sur ces entrefaites, arriva l'un ou l'autre de nos hommes; ils nous dirent que nous devions nous tranquiliscr et que l'attaque, entreprise par des habitants, était repoussée. Mais nous apprî- mes que nos sentinelles étaient mal arrangées, qu'on avait versé sur elles du goudron bouillant et qu'elles enduraient de violentes douleurs. Finalement, nous nous remîmes au lit. Pendant toute la nuit, nous entendîmes des coups de pistolet isolés, qu'on pouvait très bien distinguer des coups de nos fusils. Le lendemain matin, environ entre y et 8 heures, je m'étais retiré à la cour; il y avait là, à proximité, deux autres soldats. Tout à coup, on tira sur nous environ dix coups de pistolet, dont les balles, comme je (1) C'était la caserne du 10e de ligne. — 68 — l'ai vu distinctement, frappèrent le sol à côté de moi. Les coups étaient certainement tirés du toit voisin, car les tuiles avaient été soulevées. La même matinée, nous nous rendîmes à la gare; en chemin, les soldats de garde nous crièrent plusieurs fois de faire attention, car on tirait encore. Il s'écoula quelques heures avant que le train-hôpital ne quittât la gare. Pendant ce temps, on tira à l'arrière du train plusieurs coups de pistolet qui étaient dirigés certainement sur le train=hôpital; immédiatement après, on apporta à l'avant du train un camarade qui se trouvait à l'arrière et qui venait d'être grièvement blessé aux jambes par des balles. Zander paraît être le type du soldat naïf et crédule, poursuivi par la hantise du franc-tireur belge, qu'on lui a représenté comme un ennemi barbare, empoisonneur et tortionnaire. A son arrivée à l'hôpital, il aura sans doute craint, comme plusieurs de ses camarades qui l'ont avoué depuis, que les infirmiers ne lui crevassent les yeux ! Le 25 août, après le repas du soir, quelques blessés — est-ce peut-être en entendant les coups de feu ? — éprouvèrent un malaise. Pour le témoin, il n'y a pas de doute : les ambulanciers ont voulu les empoison- ner. Contrairement à ce qu'il affirme, il n'y eut, le mardi soir, aucun changement dans le personnel; le service s'est fait comme à l'ordinaire. La fusillade produisit dans les salles de la caserne, transformée en ambulance, la même panique que partout ailleurs; les soldats saisirent leurs fusils, prêts à tirer. Le témoin perdit tellement la tête qu'il vit des francs-tireurs assis sur le toit d'une maison voisine et, de là, tirant sur l'hôpital ! Les soldats se racontaient les uns aux autres des choses horribles ! On avait versé du goudron bouil- lant sur les sentinelles de garde devant la porte de la caserne ! A moins de s'être servis d'aéroplanes, nous ne voyons pas comment les Louvanistes auraient pu accomplir cet exploit; en effet, la maison la plus proche de la porte d'entrée de la caserne en est bien trop éloignée pour que l'on puisse, de là, diriger un jet de liquide sur les soldats de garde. Le témoin, comme beaucoup d'autres, conclut, du fait que les détonations ne produisaient pas toutes le même bruit, que les unes provenaient d'armes belges, les autres d'armes allemandes. C'est une erreur; comme Moenckeberg nous l'a appris (§ 3, F), les Allemands se servaient de toutes les armes qu'ils avaient sous la main : fusils d'infanterie, revolvers d'ordonnance, mousquetons de cavalerie, etc. Le mercredi matin, Zander a encore entendu des coups de feu; il a cru que les habitants continuaient à tirer; ceux-ci l'ont poursuivi jusque dans la gare, et ce n'est que lorsque le train-hôpital eut quitté Lou- vain qu'il put respirer à l'aise, en s'estimant sans doute très heureux d'avoir pu échapper à la barbarie et à la férocité des francs-tireurs louvanistes ! Annexe 26. RAPPORT Le 26 août' ici 4, une automobile, sur laquelle étaient peints les insignes de la Croix-Rouge et qui portait en plus un drapeau de la Croix-Rouge, s'arrêta sur la place de l'Hôtel-de-Ville, à Louvain. Le combat qui s'était livré pendant la nuit dans les rues était fini. On était occupé à nettoyer la place et à enlever le sang, etc. Une voiture était arrivée de Mons, trans- portant des blessés. Parmi ceux-ci se trouvait un capitaine du 12e régiment des grenadiers, le comte von Reventlow; il fut transporté dans l'automobile des infirmiers volontaires. Il était midi; le soleil luisait avec des alterna- tives de pluie. A ce moment, des fenêtres des maisons on tira des coups de feu sur l'automobile. (s) Georg von Zitzewitz. Lieutenant-capitaine, délégué des ambulanciers volontaires. Il importe peu de savoir si, lorsque des coups de feu ont été tirés sur l'automobile de la Croix- Rouge, le soleil luisait ou si le temps était couvert; mais ce qu'on voudrait connaître, c'est de quelle mai- son on a tiré, quelles dispositions ont été prises pour répondre à cette attaque, quels civils ont été arrêtés ? Or, de tout cela, le témoin ne dit mot. Pour cet infirmier volontaire, comme pour les officiers et les soldats, une seule formule, toujours la même, sert à tout expliquer et à tout justifier : Man hat geschossen, on a tiré. -69- Annexe 27. Déposition de Herzog, uhlan du Ier escadron de campagne du régiment des uhlans n° 3 (ir de Brandebourg). Fiïrstenwalde, le 25 novembre IQ14. Je me trouvais à Louvain à l'hôpital. Le 25 août 1Q14, à 8 heures du soir, nous entendîmes éclater des coups de feu qui étaient dirigés contre notre hôpital. Ils partaient d'une maison située en face. Ils étaient tirés par des civils, que j'ai vus moi-même . Le lendemain, je fus transporté de l'hôpital à la gare de Louvain. En chemin, je vis que des civils tiraient sur quatre sœurs infirmières qui portaient un soldat allemand blessé. Le soldat fut atteint au pied. De quel hôpital s'agit-il? Les blessés allemands étaient hospitalisés, le 25 août, à l'hôpital militaire, à la caserne d'infanterie, à l'hôpital de la ville, à l'ambulance Saint-Thomas et à l'ambulance de l'Enfant- Jésus. Or, la façade des quatre premiers établissements ne porte aucune trace de balles; quant à celles que l'on voit sur la façade de l'ambulance de l'Enfant-Jésus, elles ne peuvent provenir de coups qui auraient été tirés des maisons situées vis-à-vis; car la direction des balles est oblique, de bas en haut et de gauche à droite; celles-ci ont été tirées de la rue, par les soldats du 162e (Ann. 36-1 et 36-2); de plus, aucune des maisons qui font face à ces ambulances n'a été incendiée, alors que, de l'aveu de tous les témoins, les mai- sons d'où l'on avait tiré ont été mises en feu. Nous sommes donc en droit de conclure, malgré l'imprécision du témoignage, que la déclaration de Herzog, d'après laquelle des civils auraient tiré sur l'hôpital où il se trouvait, est mensongère. Qu'on juge, après cela, de la valeur de la seconde partie de la déposition, beaucoup plus vague encore que la première! Annexe 28. Déposition de Getzke, réserviste de la 20 compagnie du régiment des grenadiers n° 12. Frankfurt, le 23 novembre 1QT4. Je me trouvai à Louvain, comme blessé, du iq au 26 août 1Q14; j'avais été transporté avec d'autres soldats blessés dans une école convertie en hôpital. Le 25 août, peu après 8 heures du soir, nous enten- dîmes des coups de feu venant de la rue; plus tard, le bruit s'augmenta de celui des mitrailleuses. Comme, par suite de la disposition des lieux, nous ne pouvions rien voir des fenêtres de la maison où nous étions, un fi. d'officier que je ve connaissais pas interpella les sentinelles installées dans un bâtiment d'avant, séparé du bâtiment principal par la cour de l'école, pour s'informer des causes de la fusillade. Après que les sentinelles eurent répondu, le ff. d'officier s'encourut auprès d'elles et revint quelques instants après. Il ordonna d'éteindre toutes les lumières et défendit à quiconque de tirer. L'après-midi du jour suivant, l'hô- pital fut évacué. Tous les blessés, parmi lesquels je me trouvais, furent transportés à la gare dans une voiture de déménagement. Immédiatement derrière la voiture, des sœurs de la Croix-Rouge portaient un soldat grièvement blessé. Au moment où nous arrivions à la gare et où nous nous disposions à quitter la voiture, des passants en civil se mirent tout à coup à tirer sur nous. Aucune des sœurs ni aucun des blessés ne fut atteint, mais bien Quelques-uns des soldats de la landwehr qui accompagnaient le transport. Ceux-ci, ainsi que les soldats qui étaient de garde à la gare, répondirent immédiatement au feu. Un certain nombre des assaillants furent atteints par les balles de nos fusils. L'établissement de la Croix-Rouge où la scène s'est passée n'est pas indiqué de façon précise, mais, d'après les indications fournies au sujet de la disposition des lieux, ce ne peut être, nous semble-t-il, que l'ambulance de l'Enfant-Jésus, rue des Joyeuses-Entrées. Le témoin n'a rien vu, il a entendu le bruit des fusils et des mitrailleuses; c'est tout. Un ff. d'officier se renseigna, dit-il, auprès des soldats de garde sur les causes de la fusillade, mais il ne dit pas ce que ceux- ci lui ont répondu : tout ce que nous savons, c'est qu'il fit ^teindre les lumières et défendit de tirer. La dépo- sition de Getzke laisse soupçonner — et nous le savons d'autre part de source certaine — que, là comme ailleurs, dès que les premiers coups de feu éclatèrent, la panique s'empara des soldats; tous, sentinelles et blessés, crovaient leur dernier moment venu. Le récit de l'attaque du convoi de la Croix-Roure est d'une invraisemblance manifeste. Comprend- on que, le mercredi matin, alors que la ville était terrorisée au noint qu'aucun habitant n'osait sortir de sa mai- son, des passants se soient mis à tirer sur des sœurs infirmières et des soldats blessés? Si le témoin a réelle — 7° — ment vu ce qu'il raconte, on ne peut en conclure qu'une chose : c'est que les Allemands ont organisé la plus Indigne des comédies pour faire croire à leurs hommes que les Louvanistes attaquaient les convois de blessés. Annexe 29, Déposition de Dadaczynski, soldat de la 6e compagnie du régiment d'infanterie de réserve n° 27. Cologne, le 13 novembre 1Q14. Pendant que mon bataillon se trouvait dans un village des environs de Louvain, dont je ne sais plus le nom, je fus atteint d'une affection pulmonaire; je fus conduit à Louvain par un sous-officier, en même temps que deux autres soldats qui souffraient des pieds. Le mardi 25 août 1Ç14, vers 8 heures du soir, nous étions déjà couchés dans nos chambrées, sur nos paillasses, à la caserne où nous logions; chacun de nous avait son fusil à ses côtés, ainsi que des cartouches à balles. Tout à coup, nous entendîmes que, de l'hôpital situé en face, on tirait sur notre caserne. De même, des coups partaient des maisons qui se trouvaient dans le voisinage. Je puis affirmer avec certitude qu'on tirait aussi de l'hôpital. On entendait très distinctement qu'on se servait non seulement de fusils, mais aussi de mitrailleuses. Dès que nous entendîmes les coups de feu, nous prîmes nos fusils et descendîmes en courant du second et du troisième étages où nous nous trouvions. Comme la porte de la caserne était tenue sous le feu de mitrailleuses1 nous ne pûmes sortir. Quelques-uns d'entre nous qui, malgré tout, essayèrent de le faire, furent blessés, un fut tué. La fusillade ayant cessé un instant, nous nous précipitâmes à 30 ou 40 hommes hors de la caserne. On tira sur nous de toutes les maisons voisines, des caves et des fenêtres. Nous prîmes d'assaut toutes les maisons d'où l'on avait tiré; moi-même, avec quatre camarades, je me précipitai dans la première maison située à gauche de l'hôpital; nous en fîmes sortir cinq habitants; des autres maisons du voisinage, on amena environ 20 hommes. Ceux qui étaient trouvés porteurs d'armes étaient immédiatement abattus à coups de fusil ou à coups de baïonnette. Nous conduisîmes les vingt hommes non armés à la caserne. On tirait maintenant de toutes les ruelles latérales situées dans le voisi- nage immédiat de l'hôpital. Nous dûmes prendre d'assaut toutes les maisons l'une après l'autre. Dès qu'un habitant était trouvé porteur d'une arme, il était immédiatement tué, et la maison où il se trouvait mise en feu. Moi-même, j'ai, avec l'aide d'un camarade, abattu d'un coup de baïonnette un habitant qui se précipitait sur moi, un couteau à la main. On ne se contenta pas de tirer des fenêtres et des soupiraux, mais on lança sur nous, des étages des maisons, des boîtes en fer-blanc remplies de goudron bouillant. Moi-même, j'ai vu jeter une boîte sem- blable sur le casque d'un de mes camarades, si bien que le goudron lui coulait dans la nuque et sur V épaule. Un autre camarade fut aussi atteint au bras par un projectile de cette sorte, et le goudron se répandit dans sa manche. Heureusement pour eux, le liquide n'était plus assez chaud pour occasionner des blessures sérieuses. En prenant d'assaut ces maisons, nous fîmes de nouveau un certain nombre de prisonniers, parmi lesquels des femmes et des enfants; ces gens furent arrêtés par mesure de sûreté. Nous les conduisîmes éga- lement à la caserne et dûmes en assurer la garde. On entendit encore des coups de feu jusqu'à 1 heure de la nuit; le matin, entre 5 et 6 heures, la fusillade recommença. Vers 8 heures du matin, je vis, dans les environs de l'hôtel de ville, une église en feu, ainsi que de nombreuses maisons dans le voisinage. La fusillade dura, avec des interruptions, jusqu'au jeudi 27. A cette date, je reçus l'ordre d'accompagner, de Louvain à Cologne, par Aix-la-Chapelle, le transport des francs-tireurs prisonniers, auxquels vinrent se joindre 400 prisonniers anglais. A Cologne, nous fûmes ren- voyés au bataillon d'à Ersatz » du régiment d'infanterie de réserve n° 27. Dadaczynski affirme que, dans la nuit du 25 au 26 août, aux abords immédiats de la caserne et de l'hôpital militaire, plusieurs civils, saisis les armes à la main, furent immédiatement abattus; lui-même, dit-il, a tué d'un coup de baïonnette un habitant qui se précipitait sur lui, le couteau à la main ( !). Ces déclarations sont fausses : aucun civil n'a été tué aux environs de la caserne et de l'hôpital militaire. Le témoin déclare que, de l'hôpital militaire, on a tiré sur la caserne d'infanterie. C'est faux. D'abord, la disposition des lieux rend la chose particulièrement difficile : chacun de ces bâtiments est séparé de la rue par une cour précédée d'un haut mur; de telle sorte que ce n'est que des fenêtres du dernier étage de l'hôpital que l'on pourrait atteindre la partie supérieure de la caserne. Si l'on avait tiré, comme le prétend Dadaczvnski, on devrait retrouver des traces de balles dans les parties élevées de la façade de la caserne; or, il n'y en a aucune. De plus, comment des francs-tireurs auraient-ils pu s'installer dans l'hôpital mili- taire, alors que celui-ci était sous la surveillance de l'armée allemande ? Deux postes de garde y avaient été — 7i — installés : l'un à la porte extérieure, l'autre dans la cour. Remarquons enfin que l'Oberleutnant Teleman qui, d'après sa déposition (Ann. 6), s'employa particulièrement à protéger l'hôpital militaire, ne dit pas un mot des accusations formulées par Dadaczynski. La valeur de ce témoin est suffisamment ébranlée pour qu'on lui refuse toute créance lorsqu'il affirme avoir vu — chose déjà invraisemblable par elle-même — que les habitants lançaient sur les soldats, des étages des maisons, des boîtes en fer-blanc remplies de goudron bouillant. Et voilà le seul témoignage direct dont dispose la commission d'enquête pour déclarer, dans l'exposé général des faits, que les habitants de Lourain ont versé du goudron bouillant sur les troupes allemandes ! Dadaczynski nous apprend, en terminant, qu'il fut chargé d'accompagner, de Louvain à Cologne, un convoi de francs-tireurs. On comprend, qu'avec de tels gardiens, les malheureux prisonniers aient eu à subir les pires tortures ! Annexe 30. Déposition de Sittart, membre du Reichstag. Aix-la-Chapelle, le 14 novembre 1Q14. Le ji août, à Louvain, un certain nombre de femmes en pleurs se plaignirent auprès de moi du mal que leur avait causé le bombardement de la ville. Elles reconnurent expressément qu'on avait tiré sur nos troupes des maisons et des caves. Une d'entre elles, veuve de médecin, croyait, il est vrai, que c'était dans les rangs de la garde civique qu'il fallait chercher les coupables. Mais lorsqu'elle apprit qu'à Aix-la-Cha- pelle se trouvaient des soldats grièvement blessés par des plombs, elle dut convenir que des civils avaient aussi pris part à la fusillade. Elle me donna aussi raison lorsque je lui dis que la garde civique, aussi bien que les troupes régulières, ne méritent aucun ménagement lorsque, au lieu de combattre ouvertement et d'une manière honnête, elles organisent une embuscade et tirent des fenêtres et des toits. Le vice-recteur de l'Université de Louvain, Mgr Coenraets, me raconta que, étant otage, il avait reçu l'ordre de lire à la population de Louvain une proclamation d'après laquelle les otages seraient fusillés et la ville bombardée si l'on continuait à tirer traîtreusement sur les troupes. A peine avait-il, dans une rue, fini de lire sa proclamation que, en fait, on tira des coups de feu sur les soldats qui l'accompagnaient. M. Sittart, membre du Reichstag, n'a pas pris part au sac de Louvain; il a cependant comparu devant la commission d'enquête, à cause sans doute de l'importance (!) des renseignements qu'il pouvait fournir. Lors d'une visite qu'il fit à Louvain, le 31 août, des femmes lui ont déclaré, dit-il, qu'on avait tiré sur les troupes allemandes; l'une d'entre elles, veuve d'un médecin, lui a même avoué qu'elle croyait que les coupables devaient être des membres de la garde civique; mais lorsqu'elle eut appris qu'il y avait à Aix-la-Chapelle des soldats grièvement blessés par des plombs, elle dut convenir que des civils avaient aussi pris part à la révolte. Oui, et si M. Sittart lui avait dit qu'il v avait à Aix-la-Chapelle, Stephanstrasse, dans une clinique officielle, une salle remplie de soldats dont les veux avaient été crevés par les francs-tireurs (1), elle aurait sans doute reconnu que les Belges étaient descendus au dernier degré de la sauvagerie. Si les déclarations de ces femmes ne sont pas inventées de toutes pièces, nous pouvons en tout cas garantir qu'elles ont été singulièrement travesties par le témoin; car, certainement, aucune femme de Louvain n'a pu lui parler du « bombardement » (!) de la ville. On peut aussi s'étonner à bon droit que M. Sittart ait pu, au cours d'une simple visite, recueillir tant d'aveux de la part de la population, alors que les officiers de la Kommandantur, au cours de seize mois de séjour à Louvain, ne sont pas parvenus à en arracher un seul ! La mauvaise foi du témoin s'étale dans la seconde partie de sa déposition. La presse allemande et germanophile a fait grand bruit autour d'une interview de Mgr Coenraets, dans laquelle celui-ci disait que, pendant qu'il faisait, en qualité d'otage, les proclamations qui lui avaient été imposées, ort continuait à tirer. Les amis de l'Allemagne traduisirent « on continuait à tirer » par « les civils continuaient h tirer sur les soldats allemands ». .Mors que Mgr Coenraets avait simplement fait remarquer qu'il avait entendu des coups de feu — il n'avait pas vu d'où ils partaient — , on voulait lui faire dire qu'il reconnaissait la culpabilité de ses concitoyens. Pour mettre fin à cette fausse interprétation de ses paroles, Mgr Coenraets adressa la lettre suivante au rédacteur du Nieuwe Limburger Koerier : « Très honoré rédacteur, » Votre numéro du 5 septembre pourrait faire croire à vos lecteurs que, d'après mon témoignage, les bourgeois de Louvain auraient tiré sur les soldats allemands. » Voulez-vous me permettre de déclarer ici publiquement que ie ne savais pas d'où provenaient les coups de feu que j'entendais seulement dans le lointain : ceux-ci n'étaient certainement pas dirigés contre les soldats qui m'accompagnaient. (1) Cette légende avait cours à Aix-la-Chapelle. (Koelnische Volkszeitung, 28 octobre 1914). — 72 — » Je n'ai pas la moindre connaissance qu'un seul coup de feu ait été tiré par un seul Louvaniste. » Veuillez agréer, etc. » (S.) E. COENRAETS, » Vice-recteur de l'Université de Louvain. » Cette lettre, datée du 8 septembre, a été communiquée aussitôt à toute la presse par la légation belge à La Haye. Et le 14 novembre, M. Sittart ose venir déclarer devant la commission d'enquête, sous la foi du serment, que Mgr Coenraets lui a dit que, pendant qu'il faisait les proclamations, on tira plusieurs coups de feu sur les soldats qui l'accompagnaient. Annexe 3 1 . Déposition de Lemaire, professeur de médecine interne à l'Université de Louvain et chef de clinique à l'hôpital Saint-Pierre. Louvain, le 14 novembre 1Q14. Le 25 août, après-midi, des soldats de la landivehr (je ne connais pas le numéro de leur régiment) furent mis en quartier chez moi. Ils se conduisirent de façon tranquille et convenable. Dans la suite, lorsqu'on snnna l'alarme, ils partirent. Plus tard, dans la soirée, Pendant que je soupais avec ma famille, j'entendis dans la rue une violente fusillade. Nous nous réfugiâmes dans la C"ve. Entre 11 heures et minuit, je sortis de la cave et me rendis au jardin. Là, on tira sur moi plusieurs fois, mais, à cause de l'obscurité, je n'ai pu voir qui tirait. J'avais entendu auparavant un Allemand crier : Louvain est en feu. De mon jardin, j'aperçus, à plusieurs endroits, des lueurs d'incendie. Je n'ai pas vu que des civils tiraient, soit des maisons, soit dans les rues. Presque toutes les maisons de la rue Léopold, habitées par des médecins et des professeurs, sont brûlées. Le jour suivant, par mesure de prudence, je fis conduire ma famille à l'hôpital par deux soldats allemands. Le jeudi 27 août, on annonça le bombardement et la destruction de la ville. Je me rendis avec ma famille à la campagne. A mon retour, je trouvai ma maison réduite en cendres. M. le professeur Lemaire est le seul de tous les Louvanistes interrogés par la commission d'enquête dont la déposition soit reproduite dans le Livre Blanc. Est-ce peut-être à cause du certificat de bonne con- duite qu'il délivre aux soldats qui s'étaient installés dans sa maison et qui sont partis précipitamment, au moment où on a sonné l'alarme? Sans doute, car le rapport se base sur cette déclaration pour affirmer que les Belges eux-mêmes ont avoué que les troupes allemandes, du 10. au 25 août, se sont conduites d'une manière exemplaire. Nous avons déjà montré, à ce propos, le parti-pris de la commission d'enquête, qui, du fait qu'un habitant déclare n'avoir pas eu à se plaindre de deux ou trois soldats qui n'ont fait que passer quelques instants chez lui, conclut à la correction de l'attitude des troupes pendant toute la première semaine d'occupation ! (Chap. II, § 2 in fine.) Pour le reste, la déposition de M. le professeur Lemaire est un réquisitoire contre l'armée allemande; quoique chef de clinique à l'hôpital Saint-Pierre, il fut forcé, lors du prétendu bombardement, de quitter la ville; s son retour, il constata que sa maison, ainsi que celles de ses collègues de la rue Léopold, avaient été détruites par le feu. Annexe 32. Procès=verbal de descente judiciaire. Louvain, le 20 novembre 1Q14. Dans une rue perpendiculaire à la rue de Tirlemont, à Louvain, dans les environs de la maison d'arrêt, on a fait les constatations suivantes: Dans cette rue se trouve, du côté gauche, quand on vient de la rue de Tirlemont, un long mur, haut d'environ 4 mètres. En face de ce mur s'élèvent, en une suite ininterrompue, des maisons à plusieurs étages. Le mur montre des traces nombreuses de coups de fusil. Ti'afirès ces traces, qui existent encore aujourd'hui et qui sont bien nettes, ces cowbs ont, sans aucun doute, été tirés des étages supérieurs des maisons situées en face. On constate en effet, d'après ces traces, que la direction des coups est oblique, de haut en bas. En utilisant les données bien imprécises du procès-verbal, nous sommes parvenus à établir que le mur en question ne peut être que le mur du jardin du couvent des Collettines (fig. 8). Pourquoi la commis- sion n'indique-t-elle pas la rue, d'une façon exacte, et se sert-elle d'une expression aussi vagfue que : Dans une rue perpendiculaire à la rue de Tirlemont, dans les environs de la maison d'arrêt? Elle est d'autant plus -73- inexcusable qu'en face du mur dont elle parle, sur une des maisons des prétendus francs-tireurs, se trouve, bien en vue, un écriteau portant l'inscription : Rue Marie-Thérèse. Le procès-verbal affirme : i° Que ce mur porte des traces nombreuses de coups de fusil. — C'est faux : on y voit, en tout, six traces de balles; 1° Que la direction des coups est oblique, de haut en bas. — C'est faux; à quatre endroits, la brique a éclaté et il est difficile de suivre, d'une manière certaine, la trace de la balle; mais, aux deux autres, il n'y a aucun doute possible : la direction est oblique, de bas en haut et de droite à gauche. Les membres de la commission d'enquête n'ont sans doute pas remarqué que les maisons d'en face, d'où, d'après le procès-verbal, on aurait tiré, portent des traces de balles absolument semblables à celles que l'on constate sur le mur du jardin des Collettines. On peut affirmer, sans l'ombre d'une hésitation, que les unes et les autres proviennent de coups de feu tirés de la rue, à quelques mètres de là, donc par des soldats allemands. La hauteur à laquelle se trouvent les traces de balles suffirait à prouver qu'elles ne peuvent provenir, comme l'affirme le procès-verbal, de coups de feu tirés des étages supérieurs des maisons d'en face; la trace la plus rapprochée du sol en est encore distante de 2 m. 50. Comme les francs-tireurs ne pouvaient avoir pour but que les troupes qui se trouvaient dans la rue, il faudrait donc admettre que, postés aux étages et visant les soldats, ils auraient été assez maladroits pour tirer sur le mur d'en face, à 2 m. 50 de hauteur 1 Et voilà toutes les constatations que les membres de la commission d'enquête ont faites à Louvain ! ! I 1.* ., ... . -T--. JU ___„,. I ig. 8. Mur du jardin du couvent des Collettines. (Sur cette partie du mur se voient trois traces de balles ; elles sont indiquées par des croix blanches) S'ils recherchaient les traces de coups de feu, ils auraient pu relever, à quelque distance de là, dans la rue des Joyeuses-Entrées, des faits bien autrement intéressants. Là, certaines maisons sont littéralement criblées de balles tirées de la rue par les soldats allemands. Nous en donnons un spécimen ci-contre (fig. 9). Ce procès=verbal est une condamnation éclatante des procédés de la commission d'enquête allemande; sa mauvaise foi, dans le cas présent, ne peut pas un seul instant être mise en doute. Annexe 33. Déposition de Behnke, réserviste de la il" compagnie du régiment d'infanterie de réserve n° 86. Hagen, le 21 septembre 1Ç14 (1). Le 25 août, nous arrivâmes, par un train militaire, à la gare de Louvain. Nous entendîmes une vio- lente fusillade, si bien que nous crûmes que nos soldats étaient engagés dans un combat avec des troupes belges. Toutefois, lorsque nous arrivâmes en ville, nous vîmes que des civils tiraient du haut des maisons et des arbres. Nous nous aperçûmes que les troupes allemandes livraient contre eux un combat de rues règle. Sous leur vînmes en aide. Les civils furent invités à quitter les maisons d'où l'on avait tiré. C maisons furent ensuite incendiées. en Ces (1) Behnke a confirmé sa déposition le 28 novembre 1914. -74- Dans cette déposition, il n'y a à relever qu'une phrase : « Nous vîmes que des civils tiraient du haut des maisons et des arbres. » En fait d'arbres, il n'y a, autour de la gare, que les arbres du boulevard de Diest et du boulevard de Tirlemont. N'est-il pas vraiment absurde de prétendre que les francs-tireurs s'y seraient réfugiés, alors que, au dire du Livre Blanc lui-même (Ann. 45), ces boulevards étaient à ce moment remplis de troupes? D'autre part, comment le témoin a-t-il pu apercevoir ceux qui tiraient des maisons, puisque, au moment où la fusillade éclata, l'obscurité était tombée? Annexe 34. Déposition de Josephson, capitaine-commandant du 2e bataillon du régiment d'infanterie de landwehr n° 53. Thiescourt, le 20 novembre 1Q14. Le 27 août 1914, le f bataillon du régiment d'infanterie de landwehr n° 53, se dirigeant de Rotselaer à Louvain, fut chargé d'emmener un transport d'environ 1,000 prisonniers civils; d'abord, la garde en échut à la oe et à la 12e compagnies du régiment d'infanterie de landwehr n° 53, la première sous mes ordres, la Fig. 9. Façade d'une maison de la rue des Joyeuses-Entrées. seconde sous les ordres du capitaine Ernst. Plus tard, comme de nouveaux convois de prisonniers étaient venus s'ajouter aux précédents, des détachements du ier bataillon du régiment d'infanterie de landwehr n° 53 se joignirent à nous. Parmi les prisonniers se trouvaient un certain nombre d'ecclésiastiques belges; un d entre eux attira surtout mon attention, parce que, à chaque halte, il allait d'iun prisonnier à l'autre et leur parlait avec agitation; je dus l'avoir particulièrement à l'œil. A la gare de Louvain, nous remîmes^ les prisonniers a un autre détachement, que je ne puis plus désigner d'une façon précise et qui fut préposé a leur garde pen- dant la nuit. Le lendemain matin, j'entendis raconter, de différents côtés, en particulier par le capitaine Ernst, que le prêtre dont j'ai parlé plus haut avait tiré dans la direction d'une sentinelle sans l atteindre; ensuite de quoi, il avait été fusillé sur la place devant la gare, probablement sur l'ordre du commandant de place. Le capitaine Ernst a encore vu son cadavre gisant par terre à cet endroit, le lendemain. Au sujet des événements de Louvain, je puis encore déclarer ce qui suit : Le f bataillon du régiment d'infanterie de landwehr n° $3 enira à Louvain le 25 août, donc le joui de l'attaque, et séjourna encore en ville du 27 août au Ier septembre. Ma compagnie avait pris quartier chci le directeur belge d'un établissement d'enseignement moyen, un homme très tranquille et pose; ]e m entre- - 75- tins sérieusement avec lui de l'attaque. Il me raconta que, le jour avant le soulèvement, il était allé se promener dans les environs de Louvain et était entré dans une auberge. Le patron de l'auberge lui avait dit que ce jour-là une troupe d'environ cent jeunes gens, s'entretenant dans les langues les plus diverses, étaient passés devant sa maison, se dirigeant vers Louvain. Ils lui avaient demandé des rafraîchissements et du logement, mais tout cela lui avait paru si peu rassurant qu'il avait enlevé son enseigne pour ne rien avoir à faire avec ces gens-là. Il avait dit au directeur textuellement : « Si ces gens vont à Louvain, il sentira mauvais demain en ville », ce qui voulait dire que le sang coulerait. Le directeur m'expliqua encore que, dans presque toutes les maisons de Louvain, il y avait une chambre à louer pour étudiants. Ces chambres, à ce moment-là, étaient libres par suite des vacances universitaires; mais il était très facile, pour des amis et des connaissances des étudiants ou pour des personnes qui se faisaient passer pour telles, d'avoir accès à ces chambres; le directeur croyait que celles-ci avaient été occupées par les jeunes gens en question. Le fait est que, ayant précédé mon bataillon en compagnie du capitaine Ernst et de V adjudant de bataillon lieutenant Stegmiiller, afin de préparer le logement dans la rue des Joyeuses-Entrées, je remarquai avec étonnement que, dans presque chaque maison, se trouvait un jeune homme, alors que les jeunes gens belges avaient été appelés au service militaire; de plus, les habitants nous demandaient avec instance à n'avoir que des officiers à loger; et, enfin, ils prétendaient qu'il n'y avait place pour les ordonnances que dans les dépen- dances, mais jamais dans les maisons où logeaient les officiers. Je devais, avec ma compagnie, assurer le service de garde à la gare; devant celle-ci se trouve une rangée de maisons et, devant ces maisons, une rue qui est séparée de la gare par une clôture en planches. De cette clôture on tirait journellement, une fois l'obscurité venue, sur le poste de garde. Je fis alors évacuer les maisons et plaçai autour d'elles des sentinelles. Ce même jour, je vis moi-même, à la tombée de la nuit, une bande de 50 à 60 civils sortir d'un bois éloigné d'environ 600 à 800 mètres; elle se retira lorsqu'elle aperçut les sentinelles. A partir de ce moment, on cessa de tirer sur le poste de garde. Le capitaine Josephson fut chargé d'accompagner, le 27 août, de Rotselaer à Louvain, un convoi d'un millier de prisonniers civils; ce groupe était composé, nous le savons, de prêtres et de paysans des vil- lages voisins, arrêtés sous le prétexte habituel qu'on avait tiré, et de Louvanistes qui, étant partis à l'annonce du bombardement, avaient été faits prisonniers près de Rotselaer et ramenés à Louvain sous bonne escorte. Le prêtre, dont parle le témoin, est un vieillard de 72 ans, M. l'abbé Van Bladel, curé de Hérent. Avec un zèle inlassable, le vénérable pasteur prodiguait tout autour de lui les consolations de son ministère et tâchait de ranimer, par quelques bonnes paroles, le courage de ses malheureux paroissiens; son dévoûment le rendit suspect au capitaine Josephson qui dut, dit-il, l'avoir particulièrement à l'œil. Le lendemain, ajoute-t-il, il entendit raconter que ce prêtre avait été fusillé pour avoir tiré sur une sentinelle. Il a ajouté foi à ce racon- tar sans même se demander comment un prisonnier qui avait été fouillé des pieds à la tête et gardé à vue pendant toute la nuit avait pu se procurer une arme pour attaquer un soldat de garde. Le curé de Hérent, au témoignage de ceux qui ont assisté à ses derniers moments, est mort en martyr. Le vendredi matin, à la suite de tous les mauvais traitements qu'il avait subis, il tomba d'épuisement : deux soldats l'empoignèrent, l'un par les épaules, l'autre par les pieds et, le balançant comme un colis, le jetèrent par-dessus la petite balustrade qui borde le square Van de Weyer. Le pauvre prêtre se redressa brusquement, et, avant de tomber sous les balles de ses bourreaux, il leur cria, de toutes les forces qui lui restaient : Bandieten! Lafaards! BrandsHchters l Moordenaars! a Bandits! Lâches! Incendiaires! Meurtriers! » 0< s' le jour de la révolte. Si ce directeur a réellement tenu les propos que lui prête le témoin, on ne peut en tirer qu'une conclusion : c'est qu'il a dû bien s'amuser aux dépens de son hôte. Comme nous l'avons fait remarquer plus haut (§ 5, II), avant de prétendre que les jeunes gens qu'il a vu au moment de prendre quartier dans la rue des Joyeuses-Entrées étaient des étrangers h la ville, Joseph- son aurait dû connaître la loi militaire belge et s'assurer que les jeunes gens en question n'avaient pas leur domicile légal dans cette rue. Les habitants, dit le témoin, insistaient pour n'avoir oue des officiers à lo.o-er et voulaient installer les ordonnances dans les dépendances. Voudrait-il insinuer par là que les Louvanistes avaient l'intention d'atti- rer les officiers dans des guet-apens et, suivant les contes horribles répandus en Allemagne, cherchaient une occasion propice pour leur couper la gorge ou leur crever les veux? Josephson appartient sans doute à cette catégorie d'officiers poltrons qui n'osaient même pas parler à une femme sans lui braquer un revolver sur la poitrine ! D'après la plupart des témoignages du Livre Blanc, les francs-tireurs louvanistes étaient intrépides, téméraires même; pendant que les troupes remplissaient les rues et les boulevards, ils se promenaient sur les toits des maisons et grimpaient sur les arbres. Au contraire, co[^ que le témoin a vus étaient des timi- des; cinquante à soixante d'entre eux, ayant aperçu, à 600 ou 800 mètres de distance, des sentinelles alle- mandes, se sont empressés de s'enfuir dans le bois d'où ils étaient sortis et n'ont plus reparu ! -76- La déposition du capitaine Josephson fait l'effet du récit d'un enfant, dont l'imagination a été exci- tée par la lecture d'histoires de brigands et qui tremble au moindre bruit, croyant toujours avoir devant lui les sinistres bandits dont il a lu les exploits. Annexe 35. Déposition de Hoos, soldat de la 2" compagnie du régiment de landwehr n° 55. Clèves, le g octobre IQ14. Le 25 août, nous entrâmes à Louvain et nous prîmes part au combat de rues. Le 26 août, au matin, en visitant les habitations à la recherche des blessés, nous trouvâmes dans la cave d'une maison le cadavre d'un soldat de notre régiment dont je ne connais pas le nom. Son ventre avait été ouvert au moyen d'un instrument tranchant, au point que ses entrailles sortaient. Nous n'avons pas constaté si le cadavre portait d'autres blessures. D'après moi, le ventre n'avait pu être ouvert qu'au moyen d'un couteau très aiguisé. Le soldat Hoos a pris part le 25 août au combat de rues. Où? Qu'a-t-il vu? Qu'a-t-il fait pendant toute la nuit? Autant de questions que le juge aurait pu très utilement lui poser. Le 26, il a trouvé dans une cave le cadavre d'un soldat allemand dont le ventre avait été ouvert au moyen d'un instrument tranchant. — Quel est le juge qui oserait condamner un accusé sur un tel témoi- gnage ? La commission d'enquête, elle, n'hésite pas un instant : cette accusation, si vague soit-elle, lui suffit; et même, en raison sans doute de l'horreur qu'elle relate, elle lui accorde une importance toute particulière; en effet, le soldat Hoos est le seul témoin qui partage, avec le général von Boehn, l'honneur d'être cité au cours de l'exposé général des faits. Cette attitude montre bien l'inanité des preuves sur lesquelles la commis- sion d'enquête se base pour établir les crimes des Louvanistes. Si le fait rapporté par Hoos était exact, les autorités en auraient certainement été averties; or, ni le commandant, ni les adjudants, ni aucun autre témoin ne fait la moindre allusion à cette lugubre trouvaille. Faisons encore remarquer que, le mercredi 26, lorsque les soldats allemands pénétraient dans les mai- sons, ce n'était pas pour y chercher les blessés, mais bien au contraire pour arrêter les habitants et les soumettre à toutes les tortures dont nous avons parlé plus haut (Chap. II, § 4, A). Annexe 36. 1. — Déposition de Oldenburg, étudiant en droit, actuellement sous-officier de la 3e compagnie d' « Ersatz » du bataillon de dépôt n° 162. Lûbeck, le 8 mars iqi$. Le 25 août, entre 8 et ç heures du soir, notre régiment entra à Louvain, en ordre de marche. Le drapeau de notre bataillon se trouvait à la tête de notre compagnie. Il faisait déià obscur. Contrairement aux endroits que nous avions traversés la nuit précédente, des réverbères étaient allumés, et en si grand nombre que le fait nous frappa. Sur les portes des maisons se trouvaient des Belges en civil qui se tenaient tranquilles et ne paraissaient pas malveillants. Je n'ai pas vu de fenêtres éclairées. Nous avions marché environ pendant dix minutes dans Louvain lorsque tout à coup on fit une halte. Deux ou trois minutes après, peut-être même encore plus tôt, on tira subitement sur nous des maisons situées à droite et à gauche. J'ai aperçu aussi la flamme de plusieurs coups partis des maisons les plus rapprochées de moi. J'ai vu, en outre, tomber des bombes d'une maison. L'une toucha terre à environ dix mètres de moi et explosa avec un bruit violent. Je ne sais pas si quelqu'un a été atteint. Je puis désigner d'une façon précise la maison d'où la bombe a été lancée. Elle était située du côté gauche, près du second réverbère placé au-delà de la première rue latérale ou de la première impasse. Lorsque la bombe tomba, aucun coup n'avait encore été tiré de notre côté. D'abord, on commanda : « Demi-tour, marche ». Mais, ensuite, lorsque nous eûmes fait demi-tour, on nous cria de derrière que nous devions tirer sur les maisons. Là-dessus, nous nous mîmes à tirer sur les façades des deux côtés de la rue. Dans quelle mesure on a riposté au feu, je ne puis le dire, car la confusion et le vacarme étaient trop grands. De plus, l'obscurité devint bientôt complète, car nous tirions sur les réverbères et les mettions en pièces de façon à n'offrir aucun but à l'ennemi. Cette fusillade peut avoir duré une bonne heure. Pendant qu'on tirait, je vis un soldat tomber à mes côtés. Je fus alors écrasé par un véhicule et fierais connais- sance. Lorsque je revins à moi, la fusillade continuait tnujours. Je me traînai jusqu'au mur voisin et fus alors emporté dans une automobile à l'ambulance. A lire cette déposition, on serait tenté de croire qn'Oldenburp- a voulu tourner en ridicule l'imoré- cision des témoignages contenus dans le Livre Blanc. « J'ai vu, dit-il, tomber une bombe d'une maison que je peux désigner de façon précise (genau bezeichnen) : elle était s;tuée du côté gauche, près du second réverbère placé au-delà de la première rue latérale ou de la première impasse. » Notons que le témoin ne — 77 — désigné en aucune façon l'endroit où il se trouve. Tout ce qu'on sait, c'est qu'après être entré en ville — de quel côté, on l'ignore — il a marché pendant dix minutes. Et voilà des indications que le témoin — et la commission d'enquête après lui — ose qualifier de précises ! ! ! Oldenburg a vu un grand nombre de réverbères allumés. Comment concilier cette déclaration avec les affirmations d'autres témoins (Ann. 2, 18), d'après lesquelles l'obscurité la plus complète régnait dans les rues? Si l'éclairage public ne fonctionnait plus à certains endroits, ce n'était pas, comme l'insinue la com- mission d'enquête, parce que les francs-tireurs avaient voulu plonger la ville dans les ténèbres, mais parce que les soldats allemands eux-mêmes, comme l'avoue Oldenburg, avaient mis les réverbères en pièces. En comparant cette déposition avec celle du témoin suivant qui appartenait au même régiment, on peut conclure que les scènes qu'elle relate se sont déroulées dans la rue des Joyeuses-Entrées. A cet endroit, surtout dans la partie qui aboutit au boulevard de Tirlemont, la fusillade fut particulièrement violente : les façades de certaines maisons sont vraiment déchiquetées par les balles (fig. 9). Or, on ne constate pas une seule trace de coup de feu qui aurait été tiré des étages des maisons dans la direction de la rue. Deux habi- tants furent atteints mortellement: Mme Verleysen et M. Verhaegen; plusieurs autres furent blessés. Si le nombre des victimes n'a pas été plus considérable, c'est parce que la plupart des habitants de la rue, dès les premiers coups de feu, se réfugièrent dans leurs caves. Retenons encore de la déposition d'Oldenburg que, à la rue des Joyeuses-Entrées, comme partout ailleurs, la panique s'empara des troupes. 2. — Déposition de Hoehne, marchand d'objets d'art, actuellement caporal de la 4e compagnie du bataillon d'« Ersatz » n° 162. Lùbeck, le 8 mars IQ15. Le 25 août, vers 8 heures du soir, notre régiment entra à Louvain, en ordre de marche. En tête marchait la première compagnie, puis venait la seconde, à laquelle j'appartenais. Il faisait déjà obscur. Les réverbères étaient allumés. Dans le faubourg dans lequel nous sommes passés avant d'entrer en ville, quelques fenêtres étaient éclairées. Des personnes, portant des habits civils, nous offrirent de l'eau; cepen- dant, nous n'en bûmes pas, parce qu'un officier nous avait mis en garde. Les civils se tenaient tranquilles et ne paraissaient pas malveillants. Nous traversâmes le pont du chemin de fer et entrâmes en ville tout droit. La rue faisait un coude à un endroit où se trouvait une petite place occupée par des automobiles. Ayant dépassé ce coude, nous continuâmes notre route, droit devant nous. Jusque-là, rien de spécial ne se passa, sauf qu'à l'intérieur de la ville nous ne vîmes aucun civil. Dans cette partie de la rue, les fenêtres du rez-de-chaussée étaient fermées au moyen de volets. Les fenêtres des étages supérieurs étaient ouvertes. Je ne remarquai ce fait que lorsqu'on tira sur nous. A peine notre compagnie avait-elle dépassé le coude de la rue, qu'on tira un coup de feu, suivi aussitôt d'une violente fusillade. Je vis la flamme de plusieurs coups tirés des étages supé- rieurs et remarquai que les balles, en rebondissant sur les pavés, faisaient jaillir des étincelles. Tout au commencement de la fusillade, deux hommes tombèrent derrière moi; l'un d'entre eux était le caporal Wiessner; il s'assit sur le trottoir; l'autre soldat resta étendu sur le pavé, la face contre terre. Nous nous divisâmes en deux groupes, chacun occupant un trottoir, et nous nous mîmes à tirer dans la direction des étages supérieurs. Pendant cette fusillade, je vis encore tomber un autre soldat. En attendant, nous avions tiré sur les réverbères et les avions mis en pièces, si bien qu'on n'y voyait plus. Je ne puis dire combien de temps a duré la fusillade. Après un certain temps, on nous communiqua l'ordre de cesser le feu. Comme nous voulions nous rassembler, on commença à tirer aussi des fenêtres du rez-de-chaussée. Je fus atteint par une décharge de plombs; le coup avait été tiré directement à travers la vitre d'une fenêtre du rez-de-chaussée. Les plombs se logèrent dans mon havresac et dans mon manteau. Un camarade qui se retourna vers cette fenêtre tomba aussitôt, atteint, je crois, d'un coup à la tête. Nous nous mîmes à tirer atissi dans les fenêtres du rez-de-chaussée et nous arrachâmes certains volets. Je pénétrai dans la maison d'où le coup dirigé sur moi était parti, en compagnie de quelques camarades qui avaient enfoncé la porte. Malgré nos recherches, nous ne trouvâmes personne dans la maison; mais dans la chambre, d'où le coup était parti, se trouvait sur la table une lampe à pétrole renversée et fumant encore. Lorsque la fusillade se fut calmée, on sonna le rappel; j'entendis seulement le signal de notre com- pagnie. Nous nous rassemblâmes devant un café, à un coin de rue; on tira sur nous d'une fenêtre voisine; au bruit des détonations, on entendait que c'étaient des coups de revolver. Après nous être réunis, nous voulions revenir sur nos pas, en rangs serrés, lorsqu'on recommença à tirer des maisons. La plus grande partie d'entre nous continuèrent leur marche en arrière; avec quatre autres soldats, je fis demi-tour et repris l'ancienne direction. En chemin, nous vîmes plus d'une demi-douzaine de soldats blessés étendus dans la rue. Deux hommes étaient couchés, l'un à côté, l'autre sous le corps d'un cheval qui avait été atteint d'une balle. L'un d'eux parvint à se retirer lui-même; j'éloignai l'autre du cheval, mais je l'abandonnai, car il était mort. En ce faisant, je fus atteint au genou d'un coup de pied de cheval. Nous rencontrâmes plus tard le gros de notre bataillon aux environs du pont du chemin de fer, dans la rue qui relie directe- ment le pont à l'entrée de la ville. Là, les troupes furent remises en ordre et chargées de faire des per- - 78- quisitions dans les maisons. Peu auparavant, une femme, ayant un enfant sur les bras et deux autres enfants à ses côtés, passa au milieu du rassemblement des soldats. On ne lui fit aucun mal; sans l'inquiéter, on la laissa entrer en ville. Avant d'arriver à Louvain, les officiers excitaient déjà l'imagination de leurs troupes : ils leur recommandaient de ne pas boire l'eau qui leur était présentée par les habitants, sous prétexte sans doute qu'elle devait être empoisonnée. Le témoin, en entrant en ville — d'après les indications bien imprécises qu'il donne, ce devait être par la rue des Joyeuses-Entrées — s'étonne de ne voir aucun civil. C'est louche! Cela sent la conspiration! Il faut être sur ses gardes! Or, s'il n'y avait personne en rue à ce moment, c'est tout simplement parce que, d'après les ordres de la Kommandantur, les habitants devaient, sous peine d'être fusillés, être rentrés à 8 heures du soir. Hoehne prit part à l'action; il explique que les soldats se divisèrent en deux groupes, chacun occupant un trottoir, et se mirent à tirer dans la direction des étages supérieurs. Ils avaient entendu des coups de feu et, immédiatement, prévenus comme ils l'étaient, ils avaient cru à une attaque de francs-tireurs. Or, les enne- mis contre lesquels ils s'acharnaient n'existaient que dans leur imagination, et les soldats allemands étaient seuls à tirailler dans tous les sens. Cela résulte de la déposition même du témoin. En effet, lorsque, dit-il, on recommença à tirer des maisons, le gros des troupes fit demi-tour en arrière, tandis que lui et quatre de ses camarades continuèrent leur chemin. Chose étonnante, plus aucun coup de feu ne se fit entendre : les francs-tireurs étaient partis en même temps que les troupes! Ces cinq soldats purent se promener à l'aise dans la rue; il ne leur arriva aucun mal, sauf que le témoin fut atteint au genou d'un coup de pied de cheval. Lorsque les troupes furent remises en ordre à quelque distance de là, on ordonna de faire des perqui- sitions dans les maisons. Hoehne ne dit pas ce qu'on y a trouvé. Enfin, il cite, comme un fait extraordinaire, semble-t-il, qu'une femme, accompagnée de ses enfants, ait pu passer à côté d'un rassemblement de soldats sans être inquiétée. C'est en se basant sur des témoi- gnages de cette nature que la commission d'enquête déclare que les femmes et les enfants ont été protégés dans la plus large mesure. Annexe 37. 1. — Déposition de Kruse, ff. d'officier de la 3e compagnie du bataillon d'« Ersatz » du régiment d'infanterie de réserve n° 75. Brème, le 10 janvier içifj. Le 25 août 1Ç14, vers 8 heures du soir, le je bataillon du régiment d'infanterie de réserve n° 75 entra en gare de Louvain. A environ 300 mètres de la gare, on commença tout à coup à tirer sur notre train des deux côtés du talus du chemin de fer. J'entendais que les balles crépitaient contre le wagon. Le train s'arrêta et on donna l'ordre de descendre. Je commandai à mes hommes de se déployer en tirailleurs sur les voies et de répondre au feu. Trois ou quatre minutes après, je fus atteint à la cuisse droite par une décharge de plombs. Je me fis panser; à partir de ce moment, je n'ai plus pris une part directe aux événements. Après dix minutes à peine, la fusillade cessa tout-à-coup. On rassembla les compagnies. Dans l'obscurité, on ne voyait que les flammes des coups de feu. La plupart venaient d'en haut, si bien qu'on doit admettre qu'ils partaient des fenêtres, des toits et des arbres; mais je n'ai pas vu les personnes qui tiraient. Environ une heure et demie plus tard, de la gare où j'avais été transporté, j'entendis encore une fusillade violente, mais qui cessa immédiatement. Cette déposition vient à l'appui de ce que nous avons dit au sujet des faits qui se sont passés à la place de la Station (§ 3, G). Au moment où la fusillade faisait rage, un train, transportant le 36 bataillon du régiment d'infanterie de réserve n° 75, entra en gare; il fut accueilli par des coups de feu. Kruse n'a pas vu les personnes qui tiraient; comme les voies situées en contre-bas de la route sont séparées, d'un côté, du boulevard de Tirlemont, de l'autre, de la rue du Chemin de fer, par des talus assez élevés, le témoin a pu croire que les coups de feu partaient des maisons et que le train était attaqué par des francs-tireurs. Com- ment ne s'est-il pas demandé pourquoi, au bout de dix minutes, la fusillade ayant cessé tout à coup, les compagnies purent, sans être inquiétées, se rassembler et gagner les bâtiments de la gare? L'explication, nous l'avons vu, est bien simple : les soldats postés des deux côtés du chemin de fer, crurent à l'arrivée d'un train ennemi; ils tirèrent dans sa direction; des voies, les troupes nouvellement arrivées, répondirent au feu; après quelques moments, on s'aperçut de la méprise; les officiers ordonnèrent de cesser le feu et le calme revint. Les francs-tireurs louvanistes étaient, ici encore... des soldats allemands. — 79 — 2. — Déposition de Hilmer, Fekhvebel de la 3e compagnie du régiment d'infanterie de réserve n° 215. Brème, le 10 janvier IQ15. Au moment où le train transportant le troisième bataillon du régiment d'infanterie de réserve n° 75 entra en gare de Louvain le 25 août 1914, vers 8 heures du soir, on tira tout à coup sur nous, de droite et de gauche, lorsque nous nous trouvions encore à 300 ou 400 mètres de la gare. Dans mon compartiment, les vitres volèrent aiissitôt en éclats. Nous descendîmes et nous mîmes à répondre au feu. On ne voyait pas l'ennemi, car il faisait déjà tout à fait obscur. Nous apercevions seulement les flammes des coups de feu. Nous crûmes qu'ils étaient tirés des maisons situées des deux côtés de la voie. Dans ce combat, cinq hommes de ma compagnie furent blessés. J'ai moi-même constaté que, en partie, les blessures provenaient de plombs. Après dix minutes environ, le feu cessa, puis recommença bientôt. Ce ne fut que lorsque nous eûmes fait éteindre les lumières qui éclairaient les voies que le feu cessa tout à coup. Les compagnies se rassemblèrent dans la direction de la gare, déposèrent leurs bagages et reçurent l'ordre d'incendier les maisons d'où l'on avait tiré, après avoir, au préalable, fait une perquisition. On nous recommanda expressément de ne pas faire le moindre mal aux femmes et aux enfants. Ma compagnie, par petits groupes, pénétra dans le pâté de maisons qui lui avait été assigné. Le capitaine Brinckmann et moi, nous pénétrâmes dans un café situé obliquement à la façade de la gare. Nous y trouvâmes derrière le comptoir un garçon de café qui avait à côté de lui un fusil et des munitions . Il fut aussitôt conduit par quelques soldats devant le comman- dant de la gare. Nous continuâmes alors nos perquisitions. Plusieurs civils furent emmenés par me" hommes; après avoir été jugés par le commandant, ils furent fusillés sur la place devant la gare. Suivant l'ordre qui m'avait été donné, j'ai moi-même coopéré à l'incendie de plusieurs maisons, après m' être assuré chaque fois qu'il n'y avait plus personne à l'intérieur. Vers 11 heures, ce travail était achevé et la compa- gnie retourna à la gare, devant laquelle étaient étendus environ quinze habitants fusillés. Il y avait là aussi deux prêtres qui devaient servir d'otages. J'entendis qu'une patrouille annonçait que, dans une église, on avait trouvé des habitants porteurs de fusils et de munitions. Pendant la nuit, il ne fallut pas penser à dormir, car on entendait continuellement en ville les explosions des bombes et des munitions qui étaient gardées en dépôt dans les maisons qui brûlaient. On croyait assister à un feu violent d'artillerie. Le 26 août, au matin, on sonna de nouveau l'alarme pour notre compagnie, car, en ville, on avait tiré sur des bagages. Nous nous engageâmes dans une rue voisine, distante d'environ cinq minutes de la station. On y tira sur nous, apparemment avec des fusils de chasse. Nous pénétrâmes dans les maisons et fîmes prisonniers plu- sieurs civils dont les allures nous avaient paru suspectes. Les maisons d'où l'on avait tiré furent mises en feu. Vers n heures, la compagnie revint à la gare. L'après-midi, vers 2 heures, je me trouvais avec un Vizefeldwebel près de la statue qui se dresse devant la gare, lorsque, tout à coup, on ouvrit sur nous un feu violent. Immédiatement après, cinq chevaux sans cavaliers, venant de la rue d'où les coups étaient partis, arrivèrent vers nous au galop. Comme il a été établi plus tard, c'étaient des chevaux de gendarmes dont les cavaliers avaient été abattus en ville. On prit alors la mesure suivante et on la fit con- naître dans toute la ville au son de la cloche et du tambour : chaque compagnie qui entrait en ville devait se faire précéder d'un certain nombre d'otages. Ceux-ci devaient être fusillés aussitôt que des coups de feu partiraient des maisons. Parmi les otages qui avaient été saisis à la gare se trouvaient des prêtres et des employés du gouvernement. Malgré ces mesures, les habitants recommencèrent à tirer pendant la soirée et la nuit suivante. La matinée du 27 se passa pour ma compagnie sans incident particulier, car nous avions grand besoin de repos. Ce n'est que l'après-midi que nous reprîmes notre service. Comme on ne par- venait pas à rétablir le calme en ville à l'aide des otages, on donna l'ordre d'arrêter tous les hommes de ij à 50 ans. Lecture de cet ordre fut faite partout par un lieutenant. J'ai exécuté cette mesure avec l'aide d'un détachement de 80 soldats. Nous devions extraire les habitants de toutes les maisons. Après un travail de trois heures, je ramenai à la gare de 200 à 300 personnes. Tout habitant qui était trouvé porteur d'armes ou de munitions était fusillé; il y en eut de nouveau 15 à 20. On fit savoir aux autres que, si l'on tirait encore pendant la nuit, ils seraient placés tous ensemble devant une mitrailleuse. Ce procédé réussit, car la nuit suivante se passa tout à fait tranquillement. Mais à peine avions-nous, le lendemain matin, relâché les prisonniers, que la fusillade recommença. Notre compagnie prit des otages et entra en ville; on tira encore plusieurs fois sur nous. De nouveau, nous dûmes incendier quelques maisons. A ce moment, j'ai vu de mes propres yeux que, d'une fenêtre très élevée, un civil tirait sur le capitaine Brinckmann; j'ai entendu la balle rebondir sur le pavé. Le capitaine ordonna aussitôt de mettre le feu à la maison. De là, nous nous diri' geâmes vers un couvent bâti sur une colline. Le bruit courait qu'on avait aussi tiré de ce couvent; cependant, nous n'y trouvâmes ni habitants, ni armes, ni munitions . Mais, aussitôt après, nous entendîmes de nouveau des appels au secours de la chaussée qui passe au pied du couvent; nous revînmes en hâte sur nos pas, et dûmes protéger une colonne du train qu'on avait attaquée à coups de feu. Nous incendiâmes de nou- veau quelques maisons. L'ordre fut alors donné à tous les habitants de Louvain de quitter la ville, car celle- ci devait être bombardée. Le bombardement eut lieu entre 1 et 3 heures de l'après-midi, pendant que notre bataillon se trouvait à la gare. J'ai moi-même observé que les obus ne tombaient que dans les quartiers de la ville dans lesquels les attaques s'étaient produites. — âo — Ce témoin, le seul qui essaye de détailler, jour par jour, les événements auxquels il prit part, corn- met, au sujet de la succession des faits, des erreurs manifestes. L'arrestation en masse des prétendus francs- tireurs eut lieu, non le 27, mais le 26, c'est-à-dire le second jour des troubles, et c'est le 27, et non le 28, que la population fut chassée et la ville bombardée ( !). Hilmer faisait partie du 30 bataillon du régiment d'infanterie de réserve n° 75 (1) qui, à son arrivée en gaie de Louvain, fut reçu, à coups de feu, par les soldats postés des deux côtés du chemin de fer. La méprise dissipée, les compagnies se rassemblèrent, se rendirent à la gare où elles déposèrent leurs bagages et se mirent en devoir d'arrêter les habitants et d'incendier les maisons d'où l'on avait tiré. Le témoin a participé à ces représailles, mais, comme s'il avait honte des horreurs qu'il a commises, il fait remarquer, à plusieurs en- droits, qu'il a agi par ordre; il semble vouloir dégager sa responsabilité. Au cours des perquisitions, il a trouvé, dit-il, un garçon de café, en possession d'un fusil et de munitions. 11 ne peut s'agir que de Van de Venne, Alphonse, le seul garçon de café tué à la place de la Station; nous pouvons certifier que cette malheureuse victime n'avait ni fusil, ni cartouches. Les autres accusations portées contre les Louvanistes sont tellement imprécises qu'il est impossible d'y répondre directement; toutefois, l'impression d'invraisemblance qui s'en dégage suffit à en démontrer la fausseté. Ainsi, le témoin raconte que le mercredi 26 août après-midi, il se trouvait sur la place de la Station, devant la statue de Van de Weyer, lorsque, d'une rue, on ouvrit sur lui un feu violent. Or, au même moment, la place était remplie de groupes d'habitants qui avaient été extraits de leurs maisons, fouillés et faits prisonniers. De quelle rue a-t-on tiré? Qui a tiré? Qu'a-t-on fait pour saisir les coupables? Nous ne le savons pas. — Voici encore une autre accusation : « J'ai vu, dit Hilmer, de mes propres yeux que, d'une fenêtre très élevée (de quelle maison?) un civil tirait sur le capitaine Brinckmann; j'ai entendu la balle rebondir sur le pavé. » Pour répondre à cette attaque, que fait le capitaine? 11 ordonne immédia- tement de mettre le feu à la maison. Et le civil, qu'est-il devenu ? Retenons la déclaration du témoin d'après laquelle on menaça de placer tous les prisonniers devant une mitrailleuse, si l'on continuait à tirer en ville. A Louvain, cette menace ne fut pas exécutée; il n'en fut pas de même à Tamines et à Dinant,où des centaines de civils, hommes, femmes et enfants, furent fauchés par le feu des mitrailleuses. Nous savons aussi, par cette déposition, que, pour exciter les soldats, on faisait courir les bruits les plus fantaisistes. On disait qu'on avait trouvé, dans une église, des habitants armés et qu'on avait tiré d'un couvent bâti sur une colline. Ces deux accusations sont également fausses (Chap. II, §5, I et Ann. 1). Il est vrai que le témoin reconnaît que, au cours de la perquisition pratiquée dans le couvent, il ne trouva ni habi- tants, ni armes, ni munitions. Hilmer termine par une affirmation qui prouve son évidente mauvaise foi. Il a observé, dit-il, que les obus tombaient dans les quartiers de la ville dans lesquels les attaques s'étaient produites. C'est la déclaration d'un halluciné ou d'un parjure; comme nous l'avons déjà dit plusieurs fois, le bombardement ne fut qu'une comédie; c'est de la main des soldats que le feu fut mis aux maisons et aux monuments publics. 3. — Déposition de Westerkamp. soldat de la compagnie des blessés du bataillon d'« Ersatz » du régiment d'infanterie de réserve n° 75. Brème, le 10 janvier 1Q15. J'étais arrivé à Louvain le 25 août, à 11 heures du matin, avec le 2e bataillon du régiment d'infan- terie de réserve n° 75. Pendant que nous prenions notre repas, préparé par les cuisines de campagne dans le quartier de la ville situé du côté du faubourg de lièrent, nous remarquâmes déjà que beaucoup de jeunes gens vigoureux remplissaient les rues et se parlaient à l'oreille. A Hérent, je fus adjoint aux bagages, parce que je souffrais des pieds; mon bataillon continua sa marche en avant. J'étais en train de puiser de l'eau à une fontaine, lorsque, tout à coup, on se mit à tirer de tous côtés sur les bagages. Ceux-ci avaient déjà fait demi- tour; il était impossible de tenir les chevaux qui partirent à fond de train dans la direction de Louvain. Comme il ne faisait pas plus rassurant en ville, d'après ce que nous dirent quelques traînards, nous voulûmes nous rendre — en passant par la gare — jusqu'au village voisin pour y passer la nuit. Nous arrivâmes jusqu'à environ cinquante mètres au delà de la gare; nous ne pûmes continuer notre route, parce que la roue d'un chariot s'était brisée. A peine le chariot s'était-il arrêté dans la rue, tout à fait obscure, qu'on commença à tirer sur nous aussi bien des maisons situées des deux côtés de la voie que des iapllis qui garnissaient les talus du chemin de fer. Le soldat qui était assis à côté de moi sur le chariot fut atteint de suite d'un coup de feu au pied. Nous descendîmes et cherchâmes à nous mettre à l'abri. A ce moment, un civil sortit d'une maison et courut vers moi, le revolver au poing. Je l'abattis immédiatement d'un coup de fusil. Aussitôt une grenade à main éclata à 7 ou 8 mètres de moi et fracassa un cheval. Deux camarades et moi, nous cherchâmes un refuge dans l'entrée d'une maison, d'où nous réussîmes à atteindre un hangar à marchandises. A ce moment — c'était vers 8 heures du soir — arriva le troisième bataillon; nous nous (1) Dans la suite, Hilmer quitta ce régiment et passa au régiment d'infanterie de réserve n° 215. joignîmes à lui. Pendant la (nuit, on ne cessa de tirer. Les maisons tout autour de la gare étaient en flammes. De l'hôtel du Nord on a même tiré avec une mitrailleuse, comme on a pu s'en convaincre en entendant la régularité des coups de feu. Le lendemain matin, je constatai que cinq chevaux des bagages étaient tués. Je restai jusqu'au 26, à 11 heures, devant la gare; de là, je vis que quarante personnes environ furent interrogées par un officier et qu'à peu près la moitié d'entre elles furent fusillées. On amena aussi deux prêtres, dont l'un déclara qu'il était Allemand et qu'il n'avait pas tiré. Mais j'appris plus tard que l'on avait cependant trouvé sur lui un browning. Je vis aussi passer un soldat du régiment n° 162 ou iôj porté sur un brancard. Il gémissait terriblement: J'appris qu'au cours d'une patrouille en ville il avait été surpris par plusieurs habitants et que ceux-ci lui avaient fait subir une odieuse mutilation; j'ai su plus tard que ce soldat était mort des suites de ses blessures. Un Belge, qui me parla en allemand, m'expliqua que tous ces malheurs auraient été évités si le clergé, du haut de la chaire, n'avait déclaré qu'en tirant sur les Allemands, on assurait son salut éternel. L'après-midi du même jour, nous suivîmes les troupes avec les bagages, après que nous eûmes reçu de nouveaux chevaux. Du village de Lièrent, nous ne trouvâmes plus qu'un monceau de ruines. Trois jours après, je rencontrai le lieutenant Foerster (actuellement de la qua- trième compagnie du régiment d'infanterie de réserve n" J5). Il me raconta qu'on avait fait subir des mutila- tions révoltantes à des soldats allemands et qu'on s'était livré sur eux à des actes de sadisme vraiment incroyables (1). Le soldat Westerkamp accuse les Louvanistes des crimes les plus épouvantables, commis avec des raffinements de sauvagerie sadique tels qu'on ne s'attendrait pas à les rencontrer chez les peuplades les plus sauvages. Et sur quoi reposent ces accusations ? Sur des racontars, sur des on-dit qui ne peuvent être contrô- lés. Nous livrons à l'appréciation des consciences droites la conduite de la commission d'enquête allemande qui, non seulement accueille avec bienveillance ces propos de corps de garde, mais qui les reprend à son propre compte et les présente, dans son rapport, comme des faits parfaitement établis. C'est, semble=t=il, en raison des monstruosités qu'elles contiennent, que les dépositions lui paraissent intéressantes, si vagues, si imprécises, si invraisemblables soient=elles. Ce qu'elle dit, sans le moindre preuve, de la commission d'en- quête belge, nous pouvons, en nous basant sur des faits précis et incontestables, le retourner contre elle : « C'est pour faire sensation que la commission reproduit des dépositions recueillies à la hâte, sans aucun souci de vérité ni de justice. » Le reste de la déposition de Westerkamp ne présente qu'un médiocre intérêt. Il a vu des jeunes gens qui se parlaient à l'oreille. Pour lui, et pour la commission d'enquête, c'est une preuve irréfutable du complot. Dès les premiers coups de feu — tirés par qui? on ne le sait pas — une panique se produisit; les chevaux s'emballèrent et le chariot qui portait Westerkamp rentra en ville à fond de train. A peine eut-il dépassé la gare d'une cinquantaine de mètres qu'il dut s'arrêter, par suite du bris d'une roue. Survint alors la fusil- lade entre les soldats postés sur le boulevard de Tirlemont et ceux qui arrivaient par le train. Le témoin se sauva et chercha à se mettre à l'abri. Un civil, dit-il, sortit d'une maison et courut vers lui, le revolver au poing. Singulier franc-tireur qui quitte son refuge et se précipite, tout seul, dans la rue qui, à ce moment, était remplie de soldats ! Est-il besoin de relever la stupidité du reproche fait aux prêtres d'avoir déclaré, du haut de la chaire, que, en tirant sur les Allemands, on assurait son salut éternel ? La déposition suivante nous donnera l'occasion de parler des accusations lancées contre le clergé. Annexe 38. Déposition de Gruner, commerçant à Hambourg. Altona, le Ier mars 1915. Lors de la mobilisation, j'ai contracté un engagement volontaire; je suis entré en campagne avec l'état-major du IXe corps d'armée de réserve en qualité de conducteur d'automobile. Le 2$ août, au soir, nous arrivâmes à Louvain. Comme on annonçait une sortie d'Anvers, les troupes allemandes qui se trou- vaient à Louvain quittèrent la ville et, comme je le crois, furent opposées à l'attaque. Les bagages, y corn- pris mon automobile, restèrent sur la place dans le voisinage immédiat de laquelle se trouve l'hôtel Métro- pole. Sur l'ordre du capitaine de cavalerie von Esmarch, je rejoignis en automobile les troupes qui s'en allaient et ramenai une compagnie pour protéger l'état-major qui s'était installé sur la place dont je viens de parler. Il était 8 heures du soir, lorsque je vis une fusée verte s'élever au-dessus de la ville. Au même moment, on commença à tirer des maisons entourant la place. J'entendis aussi le tac-tac régulier des mitrail- leuses. Un certain nombre d'entre nous furent grièvement blessés. Les soldats allemands tirèrent à leur tour et réussirent à faire taire le feu des habitants. Les maisons d'où l'on avait tiré furent incendiées. J'eus l'impression qu'il s'agissait d'une attaque préparée méthodiquement. Jusque-là, la population nous avait traités avec la plus grande amabilité et les plus grandes prévenances. (1) Le texte allemand contient ici des précision» répugnantes qu'une plume honnête doit se refuser à traduire. — 82 — Lorsque l'attaque fut maîtrisée à l'intérieur de la ville, les troupes qui s'y trouvaient furent conduites à la gare. Jusque-là, je n'avais rien constaté concernant la participation de prêtres belges à la révolte. Pendant que je me rendais à la gare, j'aperçus un homme en costume de prêtre, ayant une physionomie ecclé- siastique à ne pas s'y tromper et coiffé d'un chapeau à larges bords, entouré de deux cordons; il indiquait à quelques détachements un chemin déterminé. Moi-même, suivant le chariot qui me précédait, je pris une autre route. Ainsi qu'on me l'a dit plus tard, les troupes qui avaient suivi les indications du prêtre avaient été conduites dans un cul-de-sac et, là, avaient été assaillies par les habitants qui tiraient des maisons. Arrivé à la gare, j'appris que, là aussi, la population civile avait, des maisons environnantes, tiré sur les troupes allemandes; mais l'attaque avait été maîtrisée. Là, comme dans toute la ville, des maisons flambaient. 0,n conduisit à la gare tous les bourgeois qui avaient été arrêtés. On leur fit subir un inter- rogatoire; ceux dont la faute fut établie, furent fusillés d'après les lois de la guerre. J'ai servi moi- même d'interprète dans une partie des interrogatoires. Ceux-ci durèrent toute la nuit jusque dans la matinée du lendemain. Le nombre des personnes fusillées d'après la loi martiale peut avoir été de 80 à 100; parmi celles-ci, il pouvait y avoir de 10 à 75 prêtres, sans compter un homme qui, d'une façon indéniable, était déguisé en ecclésiastique, car sous la soutane il portait un habit civil. Parmi les prêtres se trouvait — je puis l'affirmer de la façon la plus formelle — celui dont j'ai parlé tout à l'heure. Les soldats le recon- nurent comme étant celui qui les avait conduits, eux et leurs camarades, dans le cul-de-sac; lui aussi fut fusillé. J'ai encore servi d'interprète à deux autres prêtres; sur l'un d'eux on trouva un revolver dont une cartouche avait été tirée, quatre autres cartouches se trouvant encore dans le barillet; lui aussi fut passé par les armes. D'ailleurs, il avait été publié que tout habitant qui serait trouvé porteur d'armes serait fusillé. Je ne puis plus dire aujourd'hui si on a pu relever autre chose à charge de cet ecclésiastique, mais, en tout cas, aucune personne ne fut fusillée, dont la participation aux attaques n'ait été établie sans le moindre doute par au moins deux témoins, ou sur laquelle on n'ait trouvé une arme. Ceux qui furent amenés à la gare devaient s'être rendus suspects de quelque façon; sans cela, on ne les y aurait pas conduits. Pendant la nuit, il se produisit encore à la gare quelques attaques isolées contre les troupes alle- mandes, de même que le jour suivant. Au cours des interrogatoires, une grande partie des Belges déclarèrent que l'attaque contre les Alle- mands leur avait été présentée, par des personnes haut placées et aussi par les prédicateurs, comme une affaire religieuse. Lorsque, pendant la nuit, nous emportions en automobile les blessés de l'hôpital, on tira sur nous, notamment d'un couvent. 2e déposition. Berlin, le iç mars iqi$. Je renouvelle tout d'abord les déclarations que j'ai faites à la commission d'enquête judiciaire devant laquelle j'ai comparu à Altona, le ieT mars içi$. La déposition que j'ai faite alors et qu'on vient de me lire correspond, en tous points, à l'exacte vérité. Je la complète de la façon suivante : L'interrogatoire des francs-tireurs amenés par les soldats allemands sur la place de la Station dans la nuit du 25 au 26 août a été conduit par le capitaine Albrecht, qui était alors officier préposé aux rensei- gnements près de l'état-major du IXe corps d'armée de réserve, et qui est tombé à la fin d'octobre près de Noyon. En temps de paix, le capitaine Albrecht faisait partie du grand état-major général. Il me demanda de servir d'interprète pendant une partie des interrogatoires . Ceux-ci se faisaient de la manière suivante : les soldats amenaient les civils qu'ils avaient saisis pendant que la fusillade continuait en ville. J'eus, pour ma part, 100 à 200 personnes à fouiller et à interroger. D'autres interrogatoires avaient lieu à côté;- le capi- taine Albrecht allait d'un groupe à l'autre, s'informait du résultat de l'interrogatoire et décidait ce qu'on devait faire des inculpés. En tout, 600 personnes environ peuvent avoir été amenées; de celles-ci, au moins 500 ne furent pas fusillées, parce que, dans l'interrogatoire, on ne put trouver la preuve certaine de leur culpabilité. Ces personnes furent groupées d'un côté de la place; les hommes furent envoyés plus tard en Allemagne, tandis que les femmes et les enfants eurent la liberté de se rendre à Anvers. Il est faux de prétendre que, parmi les personnes amenées à la gare, on choisit arbitrairement celles qui devaient être fiisillées; bien au contraire, les interrogatoires furent menés d'une manière très objective. Moi-même, j'ai fouillé les personnes conduites devant moi, et j'ai souvent trouvé des armes sur elles. J'avais en plus, la mission d'examiner si ces personnes n'étaient pas des soldats belges déguisés; on pouvait s'en rendre compte par la présence de la médaille de soldat. J'ai constaté qu'un grand nombre des personnes amenées devant moi portaient cette médaille dans la poche ou le porte-monnaie. Le capitaine Albrecht, exécutant, je crois, un ordre supérieur, procéda de la façon suivante : il ordonna de fusiller tous ceux qui seraient trouvés porteurs d'une arme ou d'une médaille, ainsi que ceux au sujet desquels deux témoins au moins pouvaient affirmer qu'ils avaient tiré sur les troupes allemandes. D'après ma conviction intime, il est absolument impossible qu'un seul innocent ait été tué; en particulier, le capitaine Albrecht fit tout ce qui était possible, dans la situation où l'on se trouvait, pour engager les soldats à dire la vérité. Si on ne trouvait sur l'accusé ni arme, ni médaille, il adressait encore lui-même des questions aux témoins en leur deman- dant s'ils étaient bien sûrs de ce qu'ils déclaraient; il leur faisait voir que, de leur déposition, dépendait la — 83 — vie ou la mort d'un homme. Ce n'était qu'après que les soldats, ainsi avertis, avaient maintenu leur dé- position, qu'était donné l'ordre de fusiller. Parmi les personnes conduites devant moi, se trouvaient un certain nombre d'ecclésiastiques; de ceux= ci, 10 à 75 en tout jurent fusillés. J'ai moi-même constaté qu'un prêtre portait sur lui un revolver chargé, une cartouche avait été tirée; la douille vide se trouvait encore dans le barillet. J'ai, de plus, reconnu avec certitude le prêtre qui, d'après les témoignages des soldats, les avait, à dessein, attirés dans le feu des francs-tireurs. Ces deux prêtres étaient, sans aucun doute, de vrais ecclésiastiques. Sur une troisième personne qui portait une soutane et, en-dessous, un habit civil, j'ai trouvé une médaille de soldat. Je suis resté sur la place de la Station pendant toute la durée des interrogatoires, et je puis déclarer, en toute connaissance de cause, qu'il n'y a pas eu d' exécution simulée de prêtres et qu'aucun des specta- teurs involontaires de ces scènes n'a été forcé d'applaudir, de quelque manière que ce fût. Un grand nombre des civils amenés, ayant remarqué que je parlais français, me crièrent qu'ils étaient innocents et que les prêtres étaient les seuls auteurs responsables de ce qui était arrivé. En même temps, ils désignaient expressément les prêtres qui avaient été amenés avec eux. Il y avait là un civil belge qui, comme signe de sympathie pour l'Allemagne, montra un diplôme par lequel le Roi de Prusse lui con- férait l'ordre de l'Aigle Rouge. Je saisis l'occasion pour reprocher à ce Belge, qui était un homme cultivé, de n'avoir pas, lui et les autres personnes de sa condition, empêché la population de se livrer à cette attaque. Il me répondit : « // nous est impossible de rien faire contre les prêtres, qui ont le peuple en mains. » Cet homme fut placé près des prisonniers, car sa culpabilité ne fut pas établie. Je restai à Louvain jusqu'au 26 août IQI4, à j heures de l'après-midi. Pendant la journée du 26, j'ai encore vu et entendu continuellement tirer de-ci de-là; certains de mes camarades, tel le volontaire Wuppermann, furent blessés, directement à mes côtés. Pendant la matinée du 26, un grand nombre de femmes prisonnières se trouvaient réunies sur la place de la Station; je m'entretins avec deux d'entre elles, qui, manifestement, étaient des personnes cultivées. L'une — une Américaine de Saint-Louis — me parla en anglais et me pria de la délivrer, ainsi qu'une dame de sa connaissance; car, disait-elle, elles étaient innocentes. Elle m'expliqua que les prêtres portaient la responsabilité des événements. Ensuite, elle m'amena l'autre dame, une Belge, avec laquelle je m'entretins aussi, en français cette fois ; celle- ci m'assura que la fusillade partie des maisons était due à l'attitude des prêtres. Elle me raconta ceci : le soir, des soldats belges en civil étaient entrés dans différentes maisons et, la menace à la bouche, avaient forcé les habitants à les accueillir et à les laisser se poster aux fenêtres pour tirer; auparavant, les prêtres avaient fait le tour des maisons et avaient expliqué aux habitants que c'était pour eux un devoir de recevoir et de prêter assistance aux soldats, parce que les troupes allemandes faisaient la guerre à la foi des Belges. D'un couvent situé hors ville, le long de la route de Louvain à Bueken, on tira sur les troupes, pendant les jours critiques, d'une manière particulièrement violente. Je l'ai entendu dire, à plusieurs re- prises, par des soldats, et moi-même, le 26 août après-midi, comme je roulais en automobile dans la direc- tion de Bueken, je dus prendre des mesures spéciales pour passer à côté du couvent. Nous dûmes, pour nous garantir contre les coups de feu, prendre avec nous plusieurs civils que nous plaçâmes en partie sur les marchepieds, en partie sur le capot de l'automobile. Je tiens encore à faire remarquer que, même pendant que nous procédions aux interrogatoires sur la place de la Station, on tirait sur nous des maisons. Je me souviens particulièrement de l'incident suivant : dix à douze jeunes gens, portant une casquette de sport — c'était souvent le signe distinctif des soldats belges déguisés — avaient été amenés tout à côté de la gare; comme je me dirigeais vers eux pour aller les fouiller, on se mit à tirer sur moi d'une maison située en face; les jeunes gens s'&nfuirent et nous tirâmes dans leur direction. Gruner ment : i° lorsqu'il affirme que 80 à 100 personnes, dont 10 à 15 prêtres, ont été fusillées sur la place de la Station pendant la nuit du 25 au 26. — En effet, le nombre de ces victimes ne peut être su- périeur à 40, et, parmi elles, il n'y a que deux ecclésiastiques, les frères Allard et Sébastien, josé- phites (Ann. 19). 20 Lorsqu'il affirme qu'il a trouvé, sur des civils amenés devant lui et fusillés dans la suite, des médailles de soldats. — En effet, les exhumations ont prouvé qu'aucun soldat belge n'a trouvé la mort au cours des journées tragiques (Chap. II, § 6). Le témoin est donc pris, de façon indéniable, en flagrant délit de faux témoignage. Cette constata- tion, jointe à la déclaration de von Manteuffel innocentant les prêtres de Louvain (Chap. II, § 6 in fine), suffit à enlever tout crédit à la déposition de ce luthérien fanatique dont le seul but, semble-t-il, est de calomnier le clergé catholique belge. N'ous serions en droit de ne pas nous y attarder davantage; mais, pour rester fidèle au programme que nous nous sommes tracé, nous relèverons chacune des allégations qu'elle contient. D'après Gruner, ce sont les prêtres qui sont les auteurs responsables de tout ce qui s'est passé à Lou- vain; voyons quelles sont les preuves qu'il apporte de leur culpabilité : i° Il a vu un ecclésiastique indiquer la route à un groupe de soldats; il a appris plus tard que ceux-ci avaient été ainsi attirés dans un guet-apens; l'ecclésiastique fut fusillé sur la place de la Station. — L'impré- -- 8/, - Cision et l'invraisemblance de ce récit le rendent déjà très suspect; mais nous pouvons prouver qu il est éventé de toutes pièces; ainsi que nous venons de le dire, les frères Allard et Sébastien furent les seuls c asuuues mis a mort sur la place de la Station pendant la nuit du 25 au 26; or, ils n'ont pu se trouver duski situation d'indiquer le chemin à des soldats allemands, car ils furent faits prisonniers dans leur cou- vent «^«c^tlTwot™ Sgé sur un des prêtres qui furent fusillés pendant cette nuit. - Nous pouvons allumer, avec une entière certitude, que le frère Allard et le frère Sébastien ne portaient ni revolver, Fendant qu'il emportait les blessés de l'hôpital, on tira sur lui d'un couvent. — De quel hôpital et ni cartouches de q^XTélalfmerit tiré d'un couvent hors ville, le long de la route de Louvain à Bueken. Comme le témoin devait passer en automobile devant ce couvent, il a dû, pour se protéger, avoir recours aux civils : •^n n mist r les marcheoieds et jusque sur le capot de sa voiture; grâce à cette mesure énergique, il put oassersans encombre ^-Tveutparter, sans aucu? doute, de l'abbaye bénédictine du Mont-César; nous avtns ^déiàvuTe, oi l'aveu d'un officier allemand, qui sauva le monastère de l'incendie dont il était ' narA les accusations portées contre les moines étaient fausses (Ann. 1). menace les accusa^o ç ^^ ^ ^, ^ œupable> Un LoUvaniste décoré de 1 Aigle Routre de Prusse, fui a môme dit qu'à Louvain, les prêtres étaient les maîtres absolus de la population. Une Kouge de t russe, iu 4 entretenu en anglais (il est très fier de ses connaissances linguistiques), M^^St^^S^^i responsabilité df tout ce qui était arrivé et une dame belge lui a raconté ut nSrïf a menace à la bouche, avaient forcé les habitants à accueillir les francs-tireurs. - Nous nous cont ente™ s de i^rf^lr pont réfuter ces racontars absurdes, qu'il y a plus de quarante ans que Srmistration de la ville est entVe les mains des anticatholiques. Le clergé n aurait pas eu assez d in- fluen e pour^a^e él ue des édiles de son choix, mais jl aurait pu et cela sans le moindre reproche ni le nuence pour ia { Louvanistes au sacrifice de leurs biens et même de leur vie ! ! m01 Gru^Te,pôseP assS longuement la manière dont les civils auraient été jugés; nous avons déjà, à . H^rPvnosé JéS des faits, relevé les contradictions et les invraisemblances de cette partie de sa propos de ,exP°^.^^an.7Sre^è^drons pas. U affirme que toutes les personnes fusillées ont été réguliè- ûéposition (fc 3, H), nous » n / revl^a^ P basant Sur £ Livre Blanc lui-même, qu'aucune victime n'a e^miSf a*^ pas la moindre preuve de culpabilité n'a pu être apportée contre aucune d'elles. mensongère du témoin disant que les femmes et les enfants eurent la liberté d ï 'rrenreTAnvers. N'a-t-il donc pas connaissance du convoi de « prisonnières » emmenées au A~ A,t„nctpr et retenues en captivité pendant cinq semaines? (§ 4, A). ... , . • , camp de Munster et retenues en c p ^ ^4 ^ francs.tireurs> p dant qu>ûétait en tram de commission d'enquête n'a sans doute pas pensé à le lui demander. Annexe 39- Déposition de Muesfeldt, sous-officier attaché au commandement général du IXe corps de réserve. Guiscard, le 1" mars 1915. T oc «ntit tota i' arrivai à Louvain avec la première division du commandement général. Nous débar- Le 25 août 1914, 1 arrivai a uouuui in h]nrP du Peuple l\\ Là nous fîmes halte, car on disait quâmes et nous rendîmes avec les bagage s sur Uf ^^^^1'^,^ encore combat ce jour, que les Anglais se trouvant ^ ^ ^Zler vZ Ërlfct, chef du convoi de bagages; il nous Le soir, à 8 heures, arriva le capitaine ae ^""V . d J quartiers. Le capitaine monta dit que la situation était changée et que nous pouvions nous retirer ^^Jela^usillade se déchaîna de à cheval et nous ordonna de faire de même. A peine crvaU-i fini de *a^J%JfJ™X capitaine gisait à tous côtés. Je pris mon fusil de la voiture me mis a l abri et far*. ^ZJnTtTps la fusillade a duré, je ne terre, blessé; je le mis en sûreté sous un chariot et c0W^^/z^r;eC^^^;/c^X francs-tireurs dans les puis 'le dire exactement LorsqueUe ^>™^^^^J^^ des î coups de feu, enfonçai maisons d'où l'on avait tire. Je me ,Zl ZZ7nu7,i tiré Je trouvai là un homme d'une quarantaine d'an* ir««. po«e . M„k«pU» • , C», .à» que >e .é».i» dé„gue 1. place du Peuple ou toi». b-Ulléa les bagages du commandement général — 85 — et, malgré sa résistance, je le forçai à remonter les escaliers de la cave; je le livrai alors aux gendarmes. Je n'ai pas vu que cet homme avait tiré, mais je le crois fermement, parce que je le trouvai le revolver en mains, qu'il se rebella violemment contre moi et que, à l'exception de sa femme, il n'y avait personne dans la mai- son, fe racontai tout ceci au capitaine von Esmarch, à Noël, lorsqu'il vint ici en visite auprès du com- mandement général. Dans la maison dont j'ai parlé se trouvait une pharmacie. « On disait que les Anglais se trouvaient dans les environs ». Cette déclaration est à retenir; elle est conforme au récit que Moenckeberg a fait de l'échauffourée de la place du Peuple (§ 3, F) et explique très bien l'état d'excitation des soldats qui s'attendaient à l'arrivée des troupes anglaises. Le témoin, en affirmant qu'il a saisi un franc-tireur le revolver à la main, fait un faux témoignage. En effet, d'après les indications qu'il donne, il s'agit, sans le moindre doute, de M. Schoofs, pharmacien, place du Peuple. Nous pouvons certifier que M. Schoofs n'avait pas de revolver en main au moment où les soldats le firent sortir brutalement de la cave où il s'était réfugié avec sa famille. Si l'assertion de Muesfeldt était exacte, ce soi-disant franc-tireur aurait été impitovablement fusillé, puisque, au dire de tous les témoins, on n'accorda aucun pardon à ceux qui furent trouvés porteurs d'une arme quelconque. Or, M. Schoofs fut libéré pendant la nuit du 25 au 26, après avoir été en butte, pendant plusieurs heures, avec sa femme et d'autres habitants de la place du Peuple, aux injures et aux mauvais traitements des soldats. Annexe 40. Déposition de Weiss, constructeur de machines, à Altona. Altona, le Ier mars iQi$. Lors de la mobilisation, je contractai un engagement volontaire. J'entrai en campagne en qualité de conducteur d'automobile avec l'état-major du IX" corps d'armée de réserve. Nous arrivâmes à Louvain le 25 août 1914, dans l'après-midi. La population eut d'abord A notre égard une attitude plus qu'amicale. Vers le soir, j'avais transporté tm blessé à l'ambulance nui se trouvait dans les environs de la place du Peuple (1). Cette ambulance était établie dans un couvent. Vers S heures, je reconduisais, du couvent à la place du Peuple, la voiture dans laquelle se trouvait le capitaine de cavalerie von "Ramier, lorsque, subitement, de tous côtés, on se mit à tirer des maisons. J'arrêtai ma voiture et m'en tirai sain et sauf. Le capitaine von Harnier reçut une balle dans le bras; il se dirigea à la hâte vers la place du Peuple, et moi je me mis à l'abri sous ma voiture. J'estime que je suis resté dans cette position environ une demi-heure; alors passa le long de la rue un détachement d'infanterie. J'appelai le commandant et celui-ci fît ouvrir le feu sur les maisons avoisi- nantcs, d'où l'on continuait à tirer. Je mis ensuite ma voiture en sûreté dans la cour du couvent. Comme, avrès quelque temps, je voulais repartir, on apporta le capitaine von Esmarch couvert de son?. Pendant qu'on l'amenait à l'ambulance, on tirait sur lui du couvent. J'y entrai en compagnie d'un soldat d infanterie; nous y trouvâmes un revolver, mais nous ne pûmes, afin de ne pas être séparés des nôtres, Pénétrer dans les vouloirs du couvent, dans lesquels les gens s'étaient manifestement retirés. Le personnel ambulancier belge ne voulait pas panser le capitaine von Esmarch; je saisis finalement par le bras un médecin belge et le forçai à faire le pansement. En me rendant en automobile à la place du Peuple et, de là, avec le commandement général, à la gare, je vis parfont des maisons en flammes; on tirait encore des maisons des coups isolés. _ A la gare, avenue maison n'était en feu; l'ordre formel avait été donné de n'incendier là aucune maison. A Près une demi-heure, la fusillade commença des hôtels situés en face de la station. De là, on tirait aussi avec des mitrailleuses dans la direction de la gare. Je pouvais très bien en reconnaître le tac-tac régulier. ' C'est alors seulement que l'ordre fut donné de raser les maisons qui, se trouvaient devant la gare: elles turent incendiées, mais même des maisons en flammes et, à la fin, des murs mitoyens (2), on continua à tirer vmtemment. Nous subîmes des pertes. Plus tard, on n'entendit plus que des coups isolés. , ; *•** hnurZ<,°js qui avaient pris part à l'attaque d'une façon quelconaue furent conduits à la Place .Station, et la, soumis à un interrogatoire. On fusilla d'après la martiale ceux d'entre eux oui furent reconnus coupables. J.es soldats qui amenaient les bourgeois furent engagés, comme je l'ai entendu moi-même, à faire dxs fi) Comme le témoin précédait, Weiss désigne la place du Peuple par « Marktplatz ,. (2, j.e texte porte : « Brandmauem », mot qui signifie : mur mitoyen, mur réfractaire. — 86 — dépositions prudentes et consciencieuses. Les interrogatoires des accusés et des témoins étaient faits par des officiers dzi commandement général. Celui qui était trouvé porteur d'une arme chargée, malgré la défense qui avait été faite et publiée, était immédiatement fusillé. En ville gisaient les cadavres de plusieurs hommes passés par les armes, portant l'habit ecclésias- tique; de même, à la gare, on en fusilla plusieurs qui étaient revêtus de la soutane; ils avaient tous été soumis à un interrogatoire, mais je n'y ai pas assisté. Le lendemain, des maisons, on tira encore sur nous des coups isolés. Weiss a pris pour un couvent... l'hôpital militaire; c'est, en effet, à l'ambulance établie à l'hôpital militaire, rue de Tirlemont, que fut soigné le capitaine von Esmarch. Le témoin aura sans doute vu quelques prêtres et quelques religieux qui y faisaient le service d'ambulanciers volontaires et il en aura conclu qu'il se trouvait dans un monastère. Il devait avoir l'esprit singulièrement troublé après l'aventure qui venait de lui advenir pendant qu'il se rendait de l'hôpital à la place du Peuple; il avait été surpris par la fusillade et était resté blotti, pendant une demi-heure, sous son automobile. Il prétend qu'il y avait des francs-tireurs à l'intérieur de l'hôpital. Nous avons déjà réfuté cette asser- tion (Ann. 29). Le reproche qu'il fait aux médecins belges de n'avoir pas voulu donner leurs soins aux blessés, alle- mands n'est pas fondé : ceux-ci ont été accueillis et soignés dans toutes les ambulances de Louvain. Le capi- taine von Esmarch en particulier ne doit pas avoir eu à se plaindre du personnel médical et infirmier de l'hôpital militaire, car, au moment de son départ, il leur adressa ses plus vifs remercîments pour les soins dont il avait été entouré. Il n'est pas vrai que les troubles aient commencé à la place de la Station, alors que les maisons de la place du Peuple étaient déjà en flammes; c'est au même moment, aux environs de 8 heures, que la fusillade éclata de part et d'autre. Admirons la bravoure des Louvanistes qui, pareils à des fantômes insensibles à l'action du feu, tiraient des maisons en feu et même des murs mitoyens! Nous avons répondu précédemment aux affirmations du témoin concernant les jugements et les exé- cutions (Chap. II, § 3, H et Ann. 38 in fine). Annexe 41. Déposition de Damman, commerçant à Hambourg. Altona, le j mars IQ15. Lors de la mobilisation, je me suis engagé comme conducteur d'automobile volontaire; je fus attaché en cette qualité à l'état-major du IXe corps d'armée de réserve. Le 25 août, au soir, nous arrivâmes à Louvain. La population se montra d'abord très obligeante à notre égard. Mon automobile fut installée sur la place du Peuple (1), une grande place dans les environs de la- quelle se trouve l'hôtel Métropole. Le soir, vers 8 heures, je m'entretenais avec les autres conducteurs d'automobiles, sous les arbres de la place. Des camarades me racontaient qu'ils avaient vu une fusée s'élever dans le ciel. Tout à coup, une fusillade sauvage éclata des maisons qui entouraient la place. Le feu était dirigé surtout contre les bagages que l'on était en train d'installer sur celle-ci. Chacun de nous chercha à se mettre à couvert. Pour ma part, je me mis à l'abri d'un chariot dont les chevaux venaient d'être tués. On constata plus tard dans le garde-boue et dans le panneau de ma voiture, un trou assez grand pour y passer le ^ poing; d'après la cassure, le coup doit avoir été tiré d'en bas, donc d'une cave. Pendant que nous étions à l'abri, la fusillade continuait; nous eûmes des blessés. Selon moi, cette attaque des civils avait été soigneusement préparée et méthodiquement organisée. Lorsque la fusillade se fut apaisée, nous conduisîmes nos automobiles à la gare. A la place du Peuple et dans les petites rues latérales, les maisons étaient en flammes. Pendant le trajet jusqu'à la gare, nous rencontrâmes déjà partout des patrouilles allemandes. Sur la place de la Station, on avait tiré sur les troupes, en particulier des quatre grands hôtels situés à cet endroit. Là, la fusillade continua jusqu'au matin. Au cours de la soirée et de la nuit, on conduisit à la gare ceux qui avaient pris part à l'attaque contre les Allemands. Un officier procéda à leur interrogatoire. Les soldats qui les avaient amenés furent enten- dus. Il y eut un grand nombre d'hommes fusillés, peut-être bien une cinquantaine; l'exécution eut lieu, après enquête préalable, sur la place de la Station. D'après mes souvenirs, parmi les fusillés, deux portaient l'habit ecclésiastique; mais il se peut qu'il y en ait eu davantage. (1) Le texte porte imprudents! Au lieu de fuir par les portes de derrière et de gagner les jardins, ils se précipitent dans la rue et vont s'offrir aux balles de leurs ennemis ! Von Esmarch les a vus : c'étaient des gens de mauvaise mine, comme il n'en avait jamais rencontré en sa vie. Est-il besoin de réfuter un récit d'une invraisemblance aussi criante ? On peut, d'un mot, clore la bouche à cet imposteur : Pas un seul civil n'a été tué à la place du Peuple. On comprendrait que, après être tombé de cheval, avoir été atteint grièvement de cinq coups de feu, avoir été écrasé par un chariot et traîné sur une longueur d'une centaine de mètres, le témoin ait, dans son délire, tenu des propos extravagants; mais nous ne parvenons pas à expliquer com- ment, de sang-froid et sous la foi du serment, il ose raconter des histoires aussi évidemment mensongères. Il est encore plus inexplicable qu'il ait trouvé un juge pour les accueillir avec bienveillance et une commis- sion d'enquête pour en faire état, en les reprenant à son propre compte. Ce capitaine Fracasse est, au fond, un peureux. Il ne se sent pas en sûreté parce que, à 8 heures, la circulation cesse; à son entrée en ville, les rues étaient très animées et voici que, tout à coup, les habitants disparaissent et la ville donne l'impression d'un désert. Il est persuadé que les francs-tireurs préparent une attaque et il demande du renfort. S'il s'était adressé à la Kommandantur, on lui aurait appris que le commandant von Manteuffel avait interdit, à tout habitant, sous peine d'être fusillé, de se trouver en rue à partir de 8 heures du soir. L'obéissance aux ordres de l'autorité allemande devient, pour von Esmarch, la preuve de la préparation d'un complot ! Le témoin a vu tirer des coups de feu à travers les volets des maisons. C'est donc, conclut-il, que préalablement, on y .avait jpraftiqué des meurtrières. Comme les maisons de la place du Peuple, sauf deux, ont été détruites, par l'incendie, il ne nous est pas possible de prouver la fausseté de cette affirmation. Seulement, nous défions von Esmarch et la commission d'enquête de retrouver, dans toute la ville, la moindre trace de préparatifs d'attaque ou de défense exécutés par les prétendus francs-tireurs (Chap. II, § 6). Von Esmarch ose dire que, à la place du Peuple, les femmes et les enfants ont été bien traités par les soldats allemands. C'est un odieux mensonge ! Lorsque les habitants furent extraits des caves où ils s'étaient réfugiés, on ne fit aucune distinction entre hommes, femmes, enfants ou vieillards; tous eurent à subir les mêmes brutalités. Nous pourrions riter les noms de femmes qui portèrent pendant longtemps les traces de coups qui leur avaient été assénés par les soldats. Malgré ces très nombreuses et très graves blessures, le témoin, oui était entré à l'hôpital militaire le mercredi soir à 11 heures, put déjà être transporté en automobile à la gare, dès le mercredi matin!!! Avant de comparaître devant la commission d'enquête, von Esmarch avait déjà raconté ses aventures dans les journaux allemands: Là, le récit dépasse encore, en invraisemblance, celui qui est reproduit dans le Livre Blanc: « Mes blessures, dit-il, dans les Kieler Neueste Nachrichten du 16 septembre 1914, proviennent de balles tirées, par une mitrailleuse qui avait été placée sur le balcon de l'hôtel Métropole (1). Quelques-uns de mes soldats se glissèrent le long des maisons, tuèrent, par une fente du balcon, les ser- (1) Cet hôtel était encore, on l'a vu, rempli, le mardi soir, d'officiers et de soldats allemands (voir la critique de l'annexe i). -93- vants de la mitrailleuse, pénétrèrent dans l'hôtel, abattirent le patron et ses domestiques et firent flamber la propriété! ! » Le patron de l'hôtel et tout son personnel, sauf Jean Oms, tué dans la bagarre (Ann. 2, critique), sont aujourd'hui en parfaite santé. Annexe. 47. Déposition de Schmidt, soldat de la 9e compagnie du régiment d'infanterie de landwehr n° 53. Wesel, le 8 janvier 1915. Au sujet de la participation des civils au combat, je puis déclarer ce qui suit : j'étais attaché comme boucher à l'état-major du 2e bataillon du régiment de landwehr n° 55. Nous arrivâmes à Louvain le 25 août, vers 4 heures de l'après-midi. Nous ne pûmes trouver immédiatement du logement. Le soir, à 8 heures, j'étais près des bagages. Un lieutenant, qui était chef de convoi, nous rassembla et nous déclara que nous devions être sur nos gardes, parce que nous paraissions ne pas être en sûreté. A peine étions-nous revenus auprès de nos bagages, qui se trouvaient dans une rue assez étroite, immédiatement à côté du Marché, que j'entendis un coup violent. Ce n'était certainement pas un coup de fusil, mais plutôt une détonation prove- nant d'un petit mortier; ce devait être un signal, car, à peine le bruit de la détonation avait-il cessé que, de tous côtés, on tira sur nous des maisons. Les coups partaient des caves et de tous les étages; c'était le plus pur tir rapide. Les chevaux ayant pris peur, les voitures des bagages s'entremêlèrent; je me trouvai placé entre deux chariots et ne pus d'abord me dégager. Lorsque, après cinq minutes, j'y parvins, je regardai autour de moi; tous mes camarades avaient disparu. Je courus sur la place, mais, là aussi, on tira sur moi, de même que dans deux rues latérales dans lesquelles je voulus m' engager . En prenant une troisième rue, je réussis enfin à trouver un abri dans une nouvelle construction. Quelques camarades vinrent successive- ment me rejoindre. Nous voulûmes alors nous rendre ensemble dans la direction d'une fusillade que nous entendions dans le lointain. En passant dans une rue, dans laquelle on tirait continuellement, je mis le pied sur une des grilles en fer, qui servent, à Louvain, à recouvrir les entrées des caves. Je fus précipité dans la cave, tombai sur le bras et me brisai le poignet. Immédiatement après, deux camarades tombèrent aussi dans la cave. A peine étions-nous étendus sur le sol, que, de l'intérieur de la cave, on tira sur nous. Après quelque temps, arriva un maréchal des logis-chef de l'artillerie, qui, probablement, nous avait vus tomber; il demanda de la rue si nous étions Allemands. Je m'approchai de l'entrée de la cave et, prenant mon bras valide, le maréchal me tira dehors. Les deux autres ne pouvaient plus se relever. Je racontai au maréchal des logis ce qui venait de nous arriver; il me dit qu'il enverrait immédiatement du secours. Je fus transporté dans une caserne et pansé. Je ne puis dire de science personnelle ce qu'il est advenu de mes deux camarades tombés en même temps que moi dans la cave; mais on m'a raconté, le lendemain, au poste, qu'ils avaient été griè- vement blessés. Le 26 août, vers midi, nous devions être emmenés par chemin de fer. Le signal du départ avait déjà été donné, lorsque, tout à coup, des maisons qui se trouvaient dans les environs de la gare, on tira violem- ment sur le train. On entendait tomber les balles. Tous ceux qui en étaient capables, durent charger leur fusil. Ce n'est qu'après une demi-heure que nous pûmes partir; la fusillade avait duré pendant tout ce temps. Le train était exclusivement un train-hôpital et était désigné comme tel par la croix rouge. Schmidt appartient à cette catégorie de soldats qui, dès que les premiers coups de feu se firent entendre, n'eurent qu'une seule préoccupation : se mettre à l'abri. Après avoir couru à droite et à gauche, il finit par trouver un refuge dans une maison en construction; quelques camarades vinrent l'y rejoindre. Là, ces vaillants qui venaient de se sauver de tous les endroits où l'on tirait, décidèrent.... de se rendre dans la direction d'une fusillade qu'ils entendaient dans le lointain; leur courage n'eut pas l'occasion de se dépenser; car Schmidt et deux de ses camarades... tombèrent successivement dans une cave. Même là, ils ne furent pas à l'abri des francs-tireurs :des coups de feu furent dirigés sur eux de l'intérieur de la cave( !), mais, comme toujours, les mauvais tireurs qu'étaient les Louvanistes manquèrent leur but. Schmidt est retiré de sa position critique par un sous-officier et, sans attendre l'arrivée de secours, il abandonne ses camarades. Le 26 août, vers midi, dit le témoin, des maisons qui se trouvent dans les environs de la gare, on tira, pendant une demi-heure ( !), sur un train de blessés dans lequel il avait pris place. Or, il y avait longtemps que, d'après les dépositions des autres témoins, ces maisons avaient été évacuées; la plupart d'entre elles étaient déjà détruites par l'incendie. A côté de toutes ces sornettes, la déposition de Schmidt contient une indication intéressante : avant qu'aucun coup de feu ne fut tiré, un lieutenant vint avertir les hommes qu'ils devaient être sur leurs gardes parce qu'ils paraissaient ne pas être en sûreté. Pourquoi ces inquiétudes? La fusillade, au dire du Livre Blanc lui-même, ne fut-elle pas tout à fait imprévue et les habitants ne manifestèrent-ils pas jus- qu'au dernier moment les meilleures dispositions envers les troupes allemandes? - d'entre eux ont été blessés. Partout on se venge cruellement, sur les populations des villages, de la résistance régulière de notre armée. A Wesemael, le 19 août, vers 14 h. 1/2, les soldats du 149e régiment font irruption : comme don de joyeuse entrée, ils tuent, sans motif connu, la servante du curé, Barbara Sterckx, âgée de 80 ans, et un idiot, Bruno Odeurs, qui errait au hasard sur la chaussée. A Linden, 103 maisons sont détruites et il y a 6 assassinats. Au Boven-Loo, à 3 kilomètres de Louvain, où s'est joué le dernier épisode de la résistance de l'armée belge, on allume 27 maisons et, quand, chassé par les flammes, le paysan s'enfuit à travers la campagne, une balle le couche par terre : on ramasse 9 cadavres. A la limite de Kessel-Loo, le fils d'un meunier est saisi et fusillé sous les yeux de son père : celui-ci est obligé de concasser de l'avoine pour les chevaux jusque bien avant dans la nuit. A Blauwput, rue du Chemin de fer, une famille s'enfuit devant l'ennemi qui approche : on tire dessus, une petite fille de 12 ans tombe percée de sept balles. Voilà des faits qui se sont déroulés dans les communes situées à l'est de l'agglomération de Louvain, les 18 et 19 août, la veille et le matin même du jour où les Allemands sont entrés en ville. Ils ont servi de prélude éloigné à l'affaire tragique du 25 août. Jusqu'au 25 août inclusivement, les troupes ont traversé la ville sans discontinuer. Certains régi- ments passent sans arrêt. D'autres se reposent quelques heures. Les contingents arrivés le soir cantonnent et repartent le lendemain de bonne heure. Ils sont logés dans les casernes, dans les écoles, dans les cou- vents, dans les instituts de l'Université, dans les habitations privées : les bourgeois doivent fournir de la paille ou céder leurs matelas. — tii — Il n'est pas exact de dire, comme le répètent à satiété les journaux allemands, que pendant Ces sept jours de grand passage l'armée a entretenu avec le bourgeois les rapports les plus corrects et même les plus cordiaux. Au contraire, l'administration et la population eurent beaucoup à souffrir de la présence des troupes. Mille vexations inutiles leur furent imposées. Ce fut en permanence le régime de la terreur. Le bourgmestre fut tracassé et menacé de toutes manières, au point qu'il en devint malade. Le 21 août, on lui demande une contribution de guerre de 100,000 francs. On fait l'impossible pour la lui extorquer. Il résiste courageusement et on finit par se contenter des... 3,080 francs qu'il offrait de prime abord : c'était tout le contenu de la caisse communale. Dans les réquisitions, c'est l'anarchie. Chaque officier réquisitionne pour son compte sans s'in- quiéter de ce que font ses collègues, ni des réquisitions d'ensemble imposées par le commandant de place. Aujourd'hui, il faut 30,000 kilog. de pain; demain, 60,000. L'un réclame 5,000 paires de godillots, l'autre 10,000 litres de vin. Tout cela se demande avec brutalité, la menace et l'injure sur les lèvres, le revolver à la main. Cependant, on discute, on transige, on laisse tomber certaines exigences, on en rabaisse d'au- tres, on en produit de nouvelles. Le 24 août, un lieutenant-colonel débarque à la gare avec ses hommes : sur le champ, il faut fournir des repas chauds et des matelas pour 200 soldats. La livraison sera faite à l'instant ou le bourgmestre sera fusillé. Comme garantie d'exécution, celui-ci est retenu prisonnier au café de l'Industrie : il est là, assis sur une chaise, gardé par deux sentinelles, l'arme au creux du bras. On lui adjoindra bientôt un de ses éche- vins. En grande hâte, pour sauver la tête du premier magistrat, la police enjoint aux habitants de la rue de la Station d'apporter des matelas à la gare. Comme les matelas arrivent de partout..., l'autorité allemande fait annoncer qu'elle renonce à cette réquisition. Dès le début de l'occupation, sans souci des besoins de la population, qui fut plusieurs jours durant condamnée au maigre forcé, l'armée se fit livrer une quantité excessive de viande. Des milliers de kilo- grammes ne purent être consommés en temps utile et, bien qu'en voie d'avarie, on tenta de les laisser pour compte aux abatteurs. Ceux-ci résistèrent, n'en voulurent reprendre que la partie absolument saine; le reste, après rejet des morceaux devenus impropres à l'alimentation, fut distribué aux pauvres de la ville. Les banques aussi eurent à souffrir. Le 24 août, après-midi, des militaires gradés, soutenus par un peloton de soldats, se présentèrent, pour s'y faire délivrer l'encaisse, à la Banque Nationale, à la Banque de la Dyle, à la Banque populaire. De la Banque Nationale, ils revinrent bredouille : on leur déclara tout net que les^ fonds avaient été transportés à Anvers; au lieu d'argent, ils se contentèrent de prendre... le verre de bière qu'on leur offrit. A la Banque de la Dyle, ils furent plus heureux : ils trouvèrent fr. 581.08, qu'ils emportèrent, après avoir donné reçu et promis de restituer plus tard. La restitution eut lieu, en effet, mais après le mois de mars 1915, à l'intervention de la Société Générale de Bruxelles, dont la Banque de la Dyle est une filiale à Louvain. A la Banque populaire, ils se firent ouvrir le coffre-fort et y prélevèrent le portefeuille, soit 13,363 francs. Ici aussi, ils donnèrent reçu et promirent de rendre dans deux jours. Le remboursement se fit attendre plusieurs semaines et ne fut d'ailleurs obtenu qu'à grand'peine : aucun intérêt ne fut payé. Notez que la Banque de la Dyle et la Banque populaire sont des établissements privés, qui, en droit international, devaient être à l'abri de pareils exploits. Le meurtre et le pillage, qui devaient s'accomplir en grand à partir du 25 août, commencèrent en réalité avec l'entrée des Allemands. Le vendredi 21 août, à Corbeek-Loo, trois soldats pénétrèrent, à 9 heures du soir, dans une maison habitée par la famille L... Ils emmenèrent d'un côté le père et la mère, d'un autre la jeune fille âgée de 15 ans. Une heure plus tard, la malheureuse enfant est retrouvée sur le terrain : elle a été abominablement outragée, elle est lardée de coups de baïonnette à la poitrine, à la jambe, au bras, dans le dos, en tout cinq blessures. Elle n'est pas morte : des soins dévoués l'ont conservée en vie. Elle accusera, et d'une manière terrible, au moment opportun. C'est là, dira-t-on, l'acte de trois brutes dégéné- rées ou alcoolisées, comme il s'en rencontre dans toutes les armées; il n'en faut pas rendre responsable l'or- ganisme entier. Nous voudrions être de cet avis et nous le serions si une circonstance particulière ne donnait au fait sa signification précise. L'odieuse agression fut portée à la connaissance d'un officier, qui la repoussa avec une hauteur dédaigneuse et passa outre en disant : c'est impossible. Il fallut une deuxième dénonciation, faite par les médecins belges auprès d'autres officiers, pour provoquer une enquête et déter- miner la punition des coupables. Le fait qu'il se rencontre des chefs indulgents pour de pareils monstres n'est-il pas symptomatique ? Fermer les yeux sur ces infamies sans nom, n'est-ce pas les encourager? Beaucoup d'habitants, à l'approche de l'ennemi, s'étaient enfuis à Bruxelles, vers la mer, à l'étran- ger, laissant leur maison à l'abandon. Les soldats enfoncent les portes de ces habitations inoccupées, s'y installent, explorent la cave, prennent le vin qu'il leur faut, distribuent le reste aux camarades. Ils frac- turent les meubles et en enlèvent tout ce qui peut leur être de quelque utilité. Le cambriolage est public et s'accomplit sous l'œil bienveillant des officiers. Il s'étale : les flacons de vin sont consommés au milieu de la rue. Ces faits se sont passés, entre autres, rue Léopold, rue Vander Kelen, place du Peuple, aux abords immédiats du quartier général. La maison du professeur Sencie et celle de l'illustre Van Gehuchten ont été mises au pillage dès le premier jour de l'occupation. On ne se borne pas à piller. Presque toujours, les soldats s'amusent à souiller les pièces d'un manière immonde. Us barbouillent la tapisserie et le mobilier avec le contenu des pots de confiture. Ils répandent les huiles et les graisses sur le parquet. Au lieu de se servir des installations hygiéniques, ils avisent une p >ttche qui est sur la cheminée, une soupière qui est 112 à la cuisine, ou simplement un coin du salon et y déposent leurs ordures. On salit pour le plaisir de salir. Le besoin de salir n'est pas un trait isolé de quelques individus mal tournés, c'est une caractéristique de la race. On le signale de tous les points du pays. Il y aurait un curieux chapitre de psychologie ani- male à écrire sur ces mœurs malpropres qui placent l'espèce au dernier rang de l'échelle zoologique. Le chien et le chat enfouissent leurs excréments. Le soldat allemand les expose dans le logis de l'adversaire. L'habitude a une origine psychologique. Ces gens surnourris, qui mangent et boivent sans cesse, évacuent avec intempérance. Toujours pressés, à vingt dans une chambrée, ils n'ont pas le temps de prendre les précautions élémentaires. A ces causes physiologiques, ajoutez un désir aveugle de ravaler l'ennemi par tous les moyens, un instinct frénétique de l'humilier aussi bas que possible, qui fait perdre de vue les limites du bon sens et de la pudeur humaine, et vous aurez l'explication suffisante de la scatologie prussienne. On vient de voir le genre de rapports que le militaire entretient avec la population de Louvain depuis le 19 août, jour de l'entrée en ville, jusqu'au 25 août, jour du sac. Il faut vraiment beaucoup de toupet à la presse allemande pour les qualifier de « cordiaux », au Livre Blanc (p. 233), pour oser imprimer qu'ils étaient « extrêmement bons » (ausserordentlich gut), que les troupes eurent une conduite exem- plaire (musterhaft). Du 19 au 25 août 1914, la terreur a régné en permanence à Louvain. Nous avons vécu dans des transes mortelles. D'heure en heure, les murailles se couvrent d'affiches de plus en plus mena- çantes. On prévient la population que c'est la loi de la guerre, que les innocents payent pour les coupables I On lui dit que la faute d'un seul peut entraîner le massacre des otages et, au besoin, le châtiment de là ville entière ! Fusillé quiconque attente aux communications télégraphiques ou téléphoniques ! Fusillé quiconque est porteur d'armes ou en recèle à domicile ! Fusillé quiconque tire un coup de feu ! On promet de fusiller pour tout et pour rien : c'est la peine unique dont les Allemands sanctionnent leurs décrets. Fusiller — c'est là le mot qui revient le plus souvent sous leur plume et sur leurs lèvres. Voici le texte d'une de leurs affiches. Il n'y a ni date, ni signature. Nous respectons le style et l'orthographe (1) : PROCLAMATION 1 Habitants I Nous ne faisons pas la guerre contre les citoyens mais seulement contre l'armée ennemie. Malgré cela les troupes allemandes ont été attaqué en grand nombre par des personnes qui n'ap- partiennent pas à l'armée. On a commis des actes de la plus lugubre cruauté non seulement contre les combattants mais aussi contre nos blessés et nos médecins qui se trouvent sous l'abri de la croix rouge. Pour empêcher ces brutalités à l'avenir j'ordonne ce qui suit : 1. Toute personne qui n'appartienne pas à l'armée et qui soit trouvée les armes entre les mains sera fusillée à l'instant; elle sera considérée hors du droit des gens. 2. Tous les armes, fusils, pistolets, brownings, sabres, poignards, etc., et toute matière explosible doivent être délivrés par le maire de tout village ou ville au commandant des troupes allemandes . En cas q'une seule arme soit trouvée dans n'importe quelle maison ou que quelqu'acte d'hostilité soit commis contre nos troupes, nos transports, nos lignes télégraphiques, nos chemins de fer ou qu'on donne .l'asile aux franctireurs, les coupables et les otages qui sont arrêtés dans chaque village seront fusillés sans pitié. Or cela tous les habitants des villages etc. en question seront chassés, les villages et les villes mêmes seront démolis et brûlés. Si cela arrive sur la route de communication entre deux villages ou entre deux villages on agira de la même manière contre les habitants des deux villages. /'attends que les maires ainsi que la population voudront assurer par leur prudente surveillance et conduite la sûreté de nos troupes ainsi que la leur. Dans le cas contraire les mesures indiquées ci-dessus entreront en vigueur. — On ne donnera aucun pardon l Le Général Commandant en Chef. Ainsi donc, le sort d'une ville de 42,000 habitants est à la merci d'une tête chaude, d'un détraqué ou d'un agent provocateur qui tenterait un mauvais coup sur le dernier des soldats allemands ! Quand on a reçu un pareil avertissement, on se tient coi et on tremble. Car ces menaces ne sont pas vaines. D'Aerschot, à trois lieues de Louvain, nous arrivent chaque jour des fugitifs, véritables épaves humaines, qui nous racontent, heure par heure, l'œuvre de mort et de destruction qu'y accomplissent depuis le soir du 19 août les soldats allemands : la ville incendiée 1 les habitants fusillés ! les survivants obligés de creuser les fosses (1) Un fac-similë de cette affiche se trouve ci-dessus, p. 16. — n3 — des victimes! Tout cela se chuchote à l'oreille, glace jusqu'aux os et fait frissonner d'épouvante. Les bour- geois de Louvain sont atterrés. Ils osent à peine sortir. Ils circulent, la tête basse, en rasant les murailles. L'éclatement d'un pneu, un bruit insolite, une détonation accidentelle les met aux abois : ils sont sur le qui-vive et se demandent ce qui va arriver. On se couche le soir sans être sûr de se réveiller le lendemain matin. Les pressentiments sont sinistres. La température morale tombe effroyablement bas. Cela seul dément l'hypothèse d'une révolte de la population, d'un guet-apens tendu à l'armée occupante. Les trembleurs ne se révoltent pas. Pas un seul moment, du 19 au 25 août, n'a existé à Louvain l'atmosphère de chaleur et de fièvre où s'élaborent les idées et les projets de complot et de révolution. Et puis, pour se révolter, il ne suffit pas de le vouloir, il faut en avoir les moyens matériels, il faut être armés! Or, la population est désarmée. Le matin du 19 août, les fusils de la garde civique sont partis pour Anvers. Sept jours durant, on a rendu les autres armes : fusils de chasse, revolvers, pistolets, panoplies, vieux sabres, épées rouillées, tout, absolument tout, a été porté à l'hôtel de ville. Un maître d'escrime a même rendu des fleurets neufs qu'il venait de recevoir d'une fabrique allemande. A l'hôtel de ville — il faut le remarquer en passant, — tandis qu'on promettait de restituer après la guerre, qu'on étiquetait chaque arme au nom du propriétaire et qu'on délivrait des reçus de dépôt, nous voyions les officiers allemands se partager entre eux tout ce qui avait quelque valeur pour la guerre ou pour la chasse ! Le 25 août, au soir, il n'y avait plus à Louvain ni arme à feu, ni munitions à la disposition des bourgeois. Et c'est cette population désarmée qui se serait ruée sur l'armée allemande! On ne le fera croire à personne. En résumé, du 19 au 25 août, l'armée de von Kluck défile sans interruption. Il passe des centaines et des centaines de milliers de soldats. Toutes les rues en sont couvertes. La ville est littéralement sub- mergée. Rien que la vue de ce flot envahissant décourage profondément, la conduite sauvage et malpropre de beaucoup de soldats, les réquisitions vexatoires, les vols impunis et les inutiles dégradations de pro- priétés, les menaces toujours renouvelées, les récits effroyables qui nous arrivent d'Aerschot et des localités environnantes produisent leur effet naturel : la terreur, l'abattement physique et moral, le désarmement com- plet. Ces sept journées auraient compté parmi les plus tristes de l'histoire de Louvain, si la sombre horreur des suivantes n'en avait presque effacé le souvenir. CHAPITRE II. La nuit du 25 août 1914 Le mardi 25 août, à partir de 6 heures du soir, le clairon d'alarme se fait entendre. Beaucoup de troupes, fraîchement arrivées, quittent précipitamment la ville et se portent vers le nord, entre Louvain et Malines, où les Allemands sont aux prises avec l'armée belge. Un peu plus tard, d'autres soldats, en désor- dre ceux-ci, des cavaliers surtout, traversent certaines rues de la ville, le boulevard de Diest notamment. En même temps, parmi la population se répand le bruit que les Français sont aux environs et s'approchent de la ville. Le calme subsiste néanmoins jusque 8 heures. A 8 heures précises (heure belge), quand tous les habitants sont rentrés chez eux, conformément à l'ordre qui interdit la circulation civile après 8 heures du soir, la fusillade éclate soudain à différents endroits. Que se passe-t-il? Impossible de s'en rendre compte au premier moment. La rue appartient à la troupe et tout bourgeois qui s'y hasarde s'expose à la mort. Le nommé Crab, Joseph, de la rue de Diest, sort de chez lui : il est abattu d'un coup de fusil. Une femme de la rue des Joyeuses-Entrées risque un œil derrière le carreau d'une fenêtre : elle est mortelle- ment frappée. Les soldats tirent dans les façades, de nombreuses maisons sont mitraillées. Les balles pénètrent dans les pièces du rez-de-chaussée, dans les sous-sols, dans les chambres de l'étage; elles tuent et blessent au petit bonheur. Ce qu'a été cette fusillade, on s'en fera une image assez exacte en parcourant la rue des Joyeuses-Entrées, où les maisons, debout, avec leurs murailles déchiquetées, sont les témoins irré- cusables de sa violence. D'ailleurs, les scènes ne sont pas partout identiques. Elles varient avec les régions de la ville. Rue du Manège, aux abords et à l'intérieur des deux grandes casernes, il règne à partir de 8 heures du soir et jusque bien tard dans la nuit, un épouvantable tumulte; c'est un déchaînement fou de pétarades, de détonations, de hurlements, d'adjurations et de commandements d'officiers, de sourds coups de bélier frappés contre les portes, de cris de blessés et de mourants. A entendre le vacarme, les voisins pressentent un affreux carnage. Cependant, il faut se rendre à l'évidence, il n'y a rien eu... que du bruit. Car, à cet endroit, on ne relève ni morts d'hommes, ni traces de balles. Les soldats logés dans les deux casernes ont- ils simplement voulu terroriser les gens des alentours, ou bien ont-ils simulé un siège en règle de leurs cantonnements par de prétendus francs-tireurs? On se perd en conjectures sur les mobiles de leur conduite. Simulacre ou réalité, le tumulte et la fusillade ont partout le même résultat : les habitants cherchent à se mettre à l'abri du danger. Des personnes entrent dans la Dyle par la rue Notre-Dame et se réfugient dans la partie voûtée de la rivière qui passe sous l'hôpital Saint-Pierre et sous la rue de la Lei : elles y restent jusqu'au matin, les jambes dans l'eau. Trente personnes de la rue Vital-Decoster se cachent dans un collecteur d'égouts qui passe sous la rue : avec elles, il y a un enfant malade d'appendicite. Le cime- tière se remplit de fugitifs : le caveau de la famille Keulemans, ouvert pour recevoir le corps du défunt, les sarcophages de plusieurs tombes, la crypte mortuaire, la morgue servent de retraite à des bourgeois effrayés. Cependant, le gros des habitants ne songe pas à quitter ses maisons. La plupart descendent à la hâte dans leurs caves. Mais tous n'en ont pas le temps. Déjà, les soldats pénètrent dans les maisons, y tiraillent dans tous les sens et abattent les malheureux qui ne sont pas encore à l'abri. C'est dans ces con- ditions que M. André, ingénieur, est gravement atteint à la cuisse : sa vie a été en danger pendant plu- sieurs semaines. M. Verleysen a sa femme accouchée depuis deux jours. Elle se trouve à l'étage et il veut la transporter dans la cave. Sur le palier, une balle la frappe et elle expire dans ses bras. Comme les pro- jectiles continuent à siffler, il abandonne le cadavre et se réfugie dans la cave. Le lendemain matin, les soldats le font prisonnier et l'emmènent, sans même lui permettre de rendre les derniers devoirs à sa mal- 1 1 5 — heureuse épouse. Son départ laisse à l'abandon, outre le nouveau-né, une petite fille de deux ans. Des voisins qui ont recueilli le bébé la trouvèrent agenouillée près du corps de sa mère. Les gens qui ont procédé à l'enlèvement du cadavre ont constaté que la tête avait été fracassée et que la maison avait été entière- ment pillée. Voici un autre fait qui s'est passé dans une maison aux portes de Louvain. Dans cette villa, quatre officiers ont pris quartier le mardi après-midi. Ils soupent, vers 8 heures, en compagnie de Monsieur et de Madame, quand tout à coup éclate au dehors la fusillade. Tandis que Monsieur grimpe à l'étage poui y prendre ses enfants âgés de 10 à 4 ans et les conduire à la cave, les officiers se précipitent à l'exté- rieur. L'un d'entre eux, se prétendant blessé, rentre aussitôt et accuse les gens de la maison d'avoir tiré. Un autre survient tout de suite après et, mettant son pistolet sous le nez de Madame, lui dit qu'on va la fusiller. Madame demande qu'on fasse une perquisition : on accède à sa prière et on ne trouve rien. Sur ces entrefaites, les enfants descendent seuls de l'étage, disant que des soldats allemands les envoient auprès de leur mère. Madame veut s'enquérir de son mari. On ne lui laisse pas le temps de monter et on la fait sortir avec ses enfants demi-vêtus. Au campement allemand, près de sa propriété, elle est retenue prison- nière pendant toute la nuit : avec sa petite famille, elle assiste au pillage et à l'incendie de sa maison. Traduite vers 5 heures du matin devant une sorte de cour militaire, elle est mise en liberté avec ordre de partir vers une localité qu'on lui assigne. Madame n'a été fixée sur le sort de son mari que lors des fouilles accomplies dans sa maison : on y a, en effet, retrouvé le corps carbonisé de son mari. Le malheureux, selon toute apparence, a été assassiné au moment où il montait à l'étage pour sauver ses enfants. Les gens qui ont pu gagner leurs caves n'y sont pas longtemps en sécurité. Ils y sont bientôt traqués par l'incendie. Car le grand jeu des incendies va commencer. Parfois ils y sont canardés de l'extérieur : ceci eut lieu, entre autres, chez M. Lenertz, architecte, chef des travaux de dessin à l'Université, qui occu- pait un vaste immeuble situé au boulevard de Tirlemont. Père, mère, enfants, grand'mère âgée de 84 ans, en tout huit personnes, avaient cru trouver dans les sous-sols un abri sûr. Se rendant compte du danger, le père remonte l'escalier, court à la porte d'entrée de son habitation et supplie l'officier d'avoir pitié des siens. Pour toute réponse, une balle le couche par terre. Son cadavre restera six jours, sans sépulture, étendu au pied d'un arbuste du boulevard. Comme horreur commise de sang-froid et avec méthode, rien ne dépasse le fait suivant, qui s'est déroulé à la chaussée de Tirlemont. Il est environ 8 h. 1/2 du soir; un officier, accompagné de deux soldats, descend dans une cave : il y trouve au complet la famille Mahy, le père, la mère et les dix enfants blottis dans un coin. Il donne l'ordre d'abattre le père et l'achève lui-même d'un coup de revolver. Le fils aîné est ensuite désigné : au moment où le soldat fait feu, il se laisse choir et reste étendu sans mouvement. Puis, c'est le tour du second fils : il est placé contre le mur et blessé d'une balle au flanc. Ordre est alors donné de tuer la fille aînée; le soldat, plus humain, s'y refuse. Après que la mère et les petits enfants épou- vantés ont assisté à ce carnage, on les oblige à sortir, et, comme la mère veut toucher une dernière fois le corps de son mari, l'officier la rudoie. La maison est ensuite incendiée et, deux jours après, le 27 août, toute la famille est déportée en Allemagne, où elle restera six semaines. Les mots font défaut pour qualifier de pareilles abominations. L'histoire les jugera avec une impi- toyable dureté. A la décharge des soldats, elle alléguera peut-être l'excuse de l'obéissance au chef et parfois l'héroïque beauté d'un courageux refus; elle ne trouvera rien pour atténuer la faute de cet officier sans cœur et sans entrailles. Très souvent, au cours de ces pages, nous serons ramenés à cette conclusion qu'il faut être sévère pour les officiers dont la cruauté fut réfléchie et calculée. Les incendies vont fournir de nou- velles preuves. Il y a eu bien des manières d'allumer les incendies. J'en cite quelques-unes. Dans une maison du boulevard de Tirlemont, un soldat fait flamber avec des allumettes les rideaux d'une chambre à coucher, puis il descend au salon, où il met le feu au moyen d'une botte de paille enflammée. Même boulevard, dans une autre maison, des soldats, passant en automobile, lancent des fusées dans les sous-sols : elles éclatent et le foyer s'allume, « tandis qu'il vous retombe sur les mains », nous dit une personne qui en fut atteinte, « comme de petits morceaux de plomb ». Boulevard de Diest, dans divers immeubles, les soldats se promènent du haut en bas de la maison, se paient le luxe de casser tout et, avant de produire l'étincelle fatale, aspergent meubles, tentures et parquet, d'un liquide inflammable. A proximité du même boule- vard, à côté des installations du chemin de fer vicinal, arrivent deux ou trois caissons avec des hommes. Sur commandement, ils font sauter la porte d'une des habitations; d'un caisson, ils tirent une boule et la jettent à l'intérieur de la maison : cela produit une forte explosion, puis de la fumée noire, puis des flammes. Le feu se communique à tout le bloc de bâtiments. Place du Peuple, un officier, petit de taille, grisonnant, portant un bandeau à la- tête, dirige les opérations : il crie un ordre et une salve est déchargée sur la maison à incendier. De quelle substance les projectiles sont composés, je l'ignore. Mais le feu ne prend pas tout de suite, il couve, paraît s'éteindre, puis se déclare. Au magasin du Para, rue de la Station, une première tentative échoue; il faut recommencer : par la vitrine brisée, on lance une petite boule et, cette fois-ci, l'incendie s'allume et se propage rapidement. La technique, on le voit, est savante et variée. Le pétrole, le naphte, les comprimés de nitro-cellulose gélatinée, les bombes incendiaires paraissent avoir joué un grand rôle. On épuise toutes les ressources de la pyrotechnie moderne. L'œuvre semble dirigée et accomplie par des spécialistes de cet art. La brigade des incendiaires se compose de — iiG — plusieurs équipes et attaque sa sinistre besogne de plusieurs côtés à la fois. Une équipe s'arrête devant une maison choisie au hasard. Rapidement, elle enfonce les portes et les fenêtres et exerce d'abord ses droits au pillage. Le plus souvent, avant d'allumer, elle prépare un foyer en rassemblant les meubles de bois au milieu de la pièce à front de rue. La même opération se répète systématiquement par intervalle de trois à quatre maisons, tantôt à droite, tantôt à gauche. Les flammes s'élèvent, se rejoignent et se confon- dent par-dessus les édifices intermédiaires, par-dessus l'assiette de la rue. Le feu chemine le long des corniches ou se communique par des flammèches volantes. Ce n'est bientôt plus qu'une fournaise incan- descente. des di avant ue îa uruier, et on exirau les iiauitanis ue leiu reiraiie. ^eux-ci sont alors diriges sur divers pon de la ville, qui servent de lieux de rassemblement. Souvent les hommes sont séparés des femmes. Mais le triage n'est pas rigoureux. On rencontre des groupes de femmes avec quelques hommes et d'autres groupes où il y a beaucoup d'hommes et peu de femmes. Parfois, les deux sexes semblent également, représentés. De pareils groupes stationnent sur la Grand 'Place, sur la place du Peuple, dans la rue de la Station, devant le chevet de l'église Saint-Pierre, ailleurs encore. Toujours on exerce sur eux une étroite surveillance. Pour presque tous, la nuit a été affreuse. A titre d'exemple, faisons l'histoire anonyme sans nom de personne, sans nom de lieu, pour ne compromettre aucun concitoyen — de l'un de ces groupes. Ce groupe se compose surtout de femmes. Il y a cependant quelques hommes. Il y a aussi une jeune mère avec son enfant au berceau. Le lait manquant pour le mioche, les soldats sont compatissants : ils offrent, en guise de moquerie, du genièvre. Devant chaque personne se tient une sentinelle qui veille à l'observation de la double consigne : bras en l'air et défense de parler! Pendant ce temps, les maisons brûlent et il faut regarder ce beau spectacle. Quelqu'un détourne-t-il les yeux, des coups de crosse le rappellent à l'ordre. Une brave femme tombe en syncope, son voisin se baisse pour la soigner, la senti- nelle lui assène un coup de crosse dans la nuque. Ses deux jeunes filles essaient de la relever : l'une d'elles lui fait respirer un flacon de sels qu'elle tire de sa poche, une brute le lui arrache et l'écrase sous le talon de sa botte, en scandant l'action d'un éclat de rire cruel. A chaque instant, on répète aux hommes : faites vos adieux à vos femmes, faites votre testament, on va vous fusiller. Cette comédie se renouvelle sept ou huit fois au cours de la nuit. A certain moment un officier, ivre ou fou, pire qu'un démon, mû par une colère réelle ou simulée, se précipite sur un prisonnier, le sabre à la main, pour lui régler son compte. Un autre officier l'aperçoit et, prompt comme la foudre, il abat, d'un vigoureux coup de crosse de revolver, le sabre de son collègue; il intime à celui-ci l'ordre de se retirer. Peu de temps après, on entend le bruit typique du chargement d'une mitrailleuse. Un des prisonniers crie : tout le monde à plat ventre. Tout le monde obéit et aussitôt les balles passent en sifflant au-dessus des têtes. Les sentinelles n'eurent que le temps de se cacher derrière des obstacles. Un cheval vint s'abattre aux pieds des bour- geois. Puis arrive une automobile chargée de brancards. Quand ces brancards repassent, les soldats disent aux gens : voilà vos victimes ! Entre 10 et n heures, un coup de sifflet à roulette se fait entendre, et une fusillade éclate; puis nouveau coup de sifflet et nouvelle fusillade; ces alternances se produisent un certain nombre de fois. A chaque fusillade, les soldats crient à leurs prisonniers : « Vous voyez, on tire encore sur nous ». A i h. 1/2 du matin, le groupe est conduit vers la caserne Saint-Martin « pour y être fusillé », dit-on. Les flammes barrent le passage. On rebrousse chemin et on va à la Grand'Place. Ici on redit aux hommes : « Faites vos adieux à vos femmes et enfants ». Ceux-ci sont poussés au bureau de police. Les hommes sont alignés devant le perron. On se moque d'eux et on les injurie. Puis un commandement retentit et de la rue de Bruxelles arrive un convoi de 6 à 7 brancards. Sur chaque brancard, il y a un soldat allongé sous une couverture qui lui monte jusqu'au menton. Le premier blessé fait des gestes de menace et tend le poing vers les prisonniers. Le convoi se dirige vers la rue de la Station et, dès qu'il a disparu, tous les civils sont enfermés au corps de garde. Ils y restent jusque 5 h. 1/2 du matin. Alors on les licencie par troupe et on range dans une même troupe les gens qui demandent à retourner dans les mêmes quartiers de la ville. « Notre troupe, me dit un témoin, se rendait rue du Canal. Pour la convoyer, on lui avait donné deux soldats ivres. Le trajet est court, mais il fut très dur. Les maisons brûlent, nous voyons fracturer la vitrine d'un bijoutier. A tout instant, nous entendons tirer des coups de feu. Des soldats qui rôdent nous couchent en joue. Je demande à l'un de nos deux soldats si nous arriverons jamais à destination. Il me répond : Das Kommando ist heilig (le commandement est sacré). De fait, nous nous trouvons intacts devant la porte de la maison où nous comptions nous réfugier. Nous entrons. La porte à peine refermée, nous entendons un homme et une femme crier : « Wij hebben niets gedaan » (nous n'avons rien fait). Deux détonations se succèdent aussitôt... » Cette histoire est, avec de légères variantes, celle de presque tous les Louvanistes qu'on a chassés de leur maison, avant d'y mettre le feu. On se répéterait en suivant à la trace les événements survenus aux divers groupes. L'armée allemande a des principes, de la méthode, de la discipline, et opère de même dans les mêmes circonstances. Mais il est des habitants qui n'ont pas eu la chance d'être expulsés de leur cave. On a mis le feu à leur maison, sans s'inquiéter de savoir si elle avait été évacuée. Les cas ne sont pas rares où les occupants, — n7 — soit qu'ils aient eu toute retraite coupée, soit que la peur les ait rivés à leur cachette, ont été carbonisés chez eux. Dans une cave de la rue de Diest, on a découvert cinq cadavres calcinés jusqu'aux os : le père Respen, la mère Respen, les deux filles Respen âgées respectivement de n et 17 ans et le petit Lafili, âgé de 14 ans. L'attitude dans laquelle se trouvaient les corps, fait supposer que les malheureux, sentant la mort accomplir son œuvre et voulant adoucir leur dernier moment par un geste d'affection, se sont embrassés tous ensemble d'une suprême étreinte et se sont tenus enlacés jusqu'à la fin... Au Vieux-Marché, près de la bibliothèque de l'Université, le père, la mère et le fils Symons ont été asphyxiés dans leur cave. Notez qu'ils ont voulu s'enfuir en temps utile et que les soldats les ont repoussés dans le brasier. A la chaussée de Tirlemont, les vieux Terclavers, âgés de 74 et 73 ans, et leur belle-famille, les trois Van de Broeck, en tout cinq personnes, ont été asphyxiés. A deux reprises, les malheureux ont crié aux soldats : « Nous vous en supplions, laissez-nous sortir. » On leur a répondu : Nein! (non). Et quand, n'y tenant plus, ils ont voulu, malgré tout, s'échapper, on les a rejetés dans leur cave à coups de baïonnette. Ailleurs, dans une cave encore, se déroule une scène qui fait frémir. Cinq réfugiés, un vieillard, sa fille et son gendre, deux enfants de g et 7 ans, sont aux prises avec la mort. La maison brûle au-dessus d'eux. La voûte et les poutrelles s'échauffent. L'atmosphère a la températre d'une fournaise. Le plafond menace de s'embraser. Toute la nuit on l'arrose avec un tonneau de bière. Le dégagement de fumée asphyxie tout le monde. Les deux enfants gisent étendus sur le pavement. Les parents les croient morts. Avec le vieillard, ils se traînent au soupirail et se disputent le mince filet d'air qui leur arrive encore par là. Us restent dans cet enfer jusqu'au jeudi matin. Le vieillard, qui avait 71 ans, n'a pas survécu à l'em- poisonnement. Les autres membres de la famille sont heureusement sauvés (1). On voudrait mettre de pareils faits sur le compte de soldats irresponsables, en proie à une peur frénétique ou abrutis par l'ivresse. C'est malheureusement impossible. Dans chacun des deux derniers cas que nous avons cités, un officier dirigeait l'incendie : c'est donc les chefs qu'il faut mettre en cause. On ne pourrait être trop sévère à leur égard. A aucun moment, ils n'ont montré ni un peu d'humanité, ni un. peu de courage. Tous deux ont refusé de s'enquérir si les maisons qu'ils allumaient, avaient été préalable- ment abandonnées. A l'un d'entre eux, une personne, qu'on avait laissée libre et qui se prodiguait pour le salut des autres, demanda même s'il était au moins assuré qu'il n'y avait plus aucun habitant dans le bloc de bâtiments qui commençait à brûler. Il répondit : « Oui... Au reste, s'il y en a, qu'ils y restent; on a tiré sur nos troupes ». — « Impossible », réplique l'interlocuteur. « Si fait, repartit l'officier, des femmes l'ont déclaré. Si vous en doutez, venez avec moi, elles vous le diront ». Ces femmes étaient enfer- mées dans un local peu éloigné. On se rend auprès d'elles. On les interroge. Toutes nient avoir tenu le propos; elles jurent que jamais il n'y a eu un fusil dans leur pauvre maison... Que fait l'officier? Il tourne le dos et va reprendre son poste à la tête de ses hommes. Avec une sereine indifférence, il grille des ciga- rettes en regardant le brasier dans lequel des êtres humains se débattent contre les affres de la mort. On ne connaîtra jamais tous les drames qui se sont déroulés dans les caves de Louvain pendant cette nuit du 25 août. T'en cite un dernier. Il se passe rue de la Station, à proximité de la gare, chez un jeune professeur de l'Université, M. J. Thoreau, actuellement en Angleterre avec sa famille. Sa femme est accouchée la veille d'un premier-né. Outre les parents et le bébé, il y a les beaux-parents, la garde- coucho et la servante, en tout sept personnes, qui se sont réfugiées dans un réduit situé au-dessous du niveau du sol à l'arrière de la maieon. L'incendie fait rage autour et au-dessus d'elles. Impossible de bouger. La maison s'effondre : les issues sont obstruées. La voûte résiste heureusement. Mais la fumée s'infiltre dans cette espèce de caverne, l'eau s'y engouffre, car la chaleur a fondu les tuyaux de la distribution. Le matelas de la jeune mère est trempé. On se nourrit d'un kilo de riz cru, d'une croûte de pain, de quelques morceaux de sucre et d'un peu de vin qu'on a eu la précaution d'emporter avec soi ou qu'on a retrouvé en (1) Ces procédés sont conformes aux menaces contenues dans cette affiche apposée sur les murs dans une commune près de Liège: Commune de Chokier AUX HABITANTS De nouvelles instructions viennent de m'être données par l'autorité militaire allemande. Il est formellement interdit : 1. De circuler après 8 heures du soir (heure belge) ; 2. De former des rassemblements ou groupes de plus de trois personnes ; 3. De circuler sur le chemin de fer ; a. De causer des dégradations au chemin de fer, d'attaquer ou d'insulter les troupes. T. es soldats ont ordre de tirer sur toute -personne qui ne se conformerait fas à ces instructions. La vente des liqueurs fortes est absolument défendue aux négociants. Les cafés et restaurants doivent être fermés à 8 heures du soir. On ne peut débiter dans ces établissements que de la bière, du lait, du café, du thé. de l'eau et des limonades. Tl v aura des perquisitions dans les maisons. Si Pon trouve des armes, LA MAISON SERA INCENDIÉE AVEC LES PERSONNES OCCUPANTES. Celui qui tenterait de s'échapper serait fusillé. Il ne faut rien délivrer aux soldats sans un billet du commandant. Chokier, le 21 août 1914. Le Bourgmestre. — n8 — grattant dans les décombres. Le bébé est abreuvé à l'eau de pluie; c'est à l'eau de pluie également qu'on donne à la jeune mère les soins que comporte son état. Le régime a duré cinq jours. Cette famille de braves gens, le bébé surtout, devait mourir dans le cours naturel des choses : elle a été providentiellement sauvée. A côté des personnes qui ont attendu dans les souterrains le dénouement heureux ou malheureux de leur tragique situation, il y a celles qui ont pu s'échapper à temps. Leur sort a été très divers. Les unes, et ce furent les mieux avisées, gagnent le fond de leur jardin et s'y cachent comme elles peuvent : là elles guettent les clartés du jour et les moments d'accalmie qui leur permettront, pensent-elles, de s'enfuir avec plus de sûreté. D'autres se jettent à tout hasard dans la rue : les soldats tirent dessus. Les gens épargnés par les balles sont faits prisonniers. Ces prisonniers ont été traités de façon variée. Ce que nous connaissons de plus lugubre à ce sujet est arrivé dans une honorable famille de la chaussée de Tirlemont, la famille Michotte. Le père est à l'agonie. C'est un vénérable vieillard de 83 ans, dont la vie entière a été con- sacrée au culte et au progrès des arts. Il a enrichi le Musée du Cinquantenaire de Bruxelles d'une des plus remarquables collections d'art japonais qu'il y ait en Europe. Il a soutenu Wagner de ses deniers à une époque où son génie était encore méconnu en Allemagne. Il a publié d'attachantes études de musico- logie sur Rossini et sur Gevaert dont il avait été l'ami. Ses deux fils, MM. Paul et Albert Michotte, sont professeurs, l'un de géographie, l'autre de psychologie expérimentale à l'Université de Louvain. Ils ont long- temps étudié en Allemagne et le second était l'ami de Kulpe, le titulaire de la chaire de psychologie expérimentale à Wurzburg. Tous les membres de la famille parlaient l'allemand, presque à l'égal de la langue maternelle. Si une famille devait être épargnée, c'était celle-ci. Elle a été traitée avec la plus basse indignité. Quoique le récit anticipe quelque peu, à la fin, sur la journée du 26 août, je le donne ici parce qu'il se rapporte à une situation créée dans la nuit du 25 au 26 août. Le 25 août, vers 2 heures de l'après-midi, un commandant d'une section de mitrailleuses vient pren- dre quartier dans cette famille. Ce n'est pas un foudre de guerre. Il considère son poste comme dangereux. Il tient à sa vie et à sa famille et ne s'en cache pas. Vers 6 heures, on sonne l'alarme. Des estafettes viennent lui parler : l'affaire semble urgente, car il prend à la hâte quelques provisions de bouche et dit adieu à la famille par ces mots : Gott schùtze Sie, jetzt geht's los! (Que Dieu vous protège, maintenant cela va com- mencer!). Que signifient ces paroles? Est-ce le cri spontané d'un homme qui court au-devant d'un danger -qu'il voudrait éviter, mais qu'il sait inévitable? Est-ce une allusion à ce qui allait se passer à Louvain? C'est difficile à dire. Vers 8 heures du soir, après souper, la fusillade éclate, la maison est criblée de balles. Par bonheur, la fenêtre de la chambre où Mme Michotte se tenait avec le moribond, la seule qui fut éclairée, est épargnée. La nuit se passe avec des péripéties diverses et, de grand matin, Albert Michotte sort pour demander à un soldat ce qui se passe. Le soldat l'emmène et le joint à un groupe de prisonniers civils gardés à quelque distance. La mère, accompagnée d'une soeur garde-malade, va trouver l'officier, lui demande de relâcher son fils. L'officier vient à la maison, fait une perquisition, voit le père alité et ne trouve rien de suspect. En conséquence, il fait relâcher le fils et écrit sur la porte (sans signer) que la maison doit être épargnée. A 8 heures du matin arrive une nouvelle bande de soldats. Ils tirent dans les fenêtres. Devant cette nouvelle attaque, le malade est transporté à la cave. Pendant ce temps, ils enfoncent la porte et mettent le feu à la maison. A leur tour, ils descendent à la cave, sans doute pour la piller, et... tombent sur le mori- bond entouré de sa famille. Cela les calme quelque peu, ils aident à le remonter et à le transporter dans une école située de l'autre côté de la rue. Comme la maison brûle, la mère veut y rentrer pour sauver ses valeurs. L'officier s'y oppose. Elle le supplie à genoux. Il a l'impertinence de lui dire qu'il la trouve très belle dans cette attitude. Un peu plus tard, elle avise un soldat et lui demande s'il veut gagner 1,000 francs. Il accepte et, accompagnée de lui, elle rentre dans la maison, sauve son trésor et paie le salaire convenu. Quant aux deux fils, on les place comme otages de route devant un bataillon qui s'avançait sur Louvain. D'autres civils leur sont adjoints, parmi lesquels le médecin traitant, professeur à l'Université, qui le lendemain, lors de l'exode général des habitants, sera dépouillé de son portefeuille. En cours de route, on divise la colonne en deux groupes. L'un, dont fait partie le médecin, est conduit à la gare. L'autre reçoit l'ordre de piloter le bataillon jusque Herent. En chemin, les otages voient les soldats mettre le feu à deux maisons. De temps à autre, des coups de fusil éclatent à l'arrière de la troupe et le major furieux vient leur crier : Das sind die Zivilisten! (Ce sont les civils). A Herent, le bataillon poursuit sa route et, sous escorte, les otages sont ramenés à Louvain, où ils furent libérés. Le lendemain, 27 août, à 2 h. 1/2 de l'après-midi, le vieillard à qui on avait si brutalement arraché ses enfants, expirait dans les caves de l'hôpital Saint-Thomas, ayant eu ainsi la suprême consolation de revoir ses deux fils avant de mourir. De pareils actes sont révoltants. Quand un homme de 83 ans souffre d'une maladie qui ne pardonne pas, on le laisse mourir en paix chez lui. Incendier sa maison, insulter sa femme, chasser ses enfants, ce n'est pas la guerre, mais l'abus du droit du plus fort. Surtout qu'on ne vienne pas dire que cette famille était un nid de franc-tireurs : l'officier a visité la maison et trouvé tout en ordre. Quand des fils ont comme préoccupation centrale, la mort imminente de leur vieux père et qu'ils sont sur le point de réciter à son chevet les prières des agonisants, pense-t-on que la guerre les intéresse beaucoup et que l'idée puisse leur venir d'essayer un coup de main sur l'armée allemande? Visiblement, dans ce cas-ci, le prétexte clas- sique : Mon hat geschossen (on a tiré) ne peut être invoqué. Alors, quel est le but et la cause de pareil — "9 — acte? Il n'y en a pas et on ne peut le comprendre qu'en le rattachant, ainsi que beaucoup d'autres, à la psychologie du guerrier allemand. Pour nous, latins, la guerre est le choc régulier, d'après des formes prévues et inscrites dans des codes, de deux armées organisées : elle n'est que cela. D'elle, nous avons séparé, comme choses absolument distinctes, le vol, le pillage, l'assassinat, l'incendie, le viol, le mensonge. Autant de mots, autant d'idées nettement différentes. Le travail de dissociation a été lent, il a fallu des siècles pour l'accom- plir, mais actuellement il est achevé et ses résultats sont fermement établis dans nos esprits. L'Allemand, lui, n'en est pas encore arrivé là. Les mots sont différents, mais les idées restent confuses et chevauchent les unes sur les autres. S'il est possible de voler et de tuer hors du temps de guerre, il lui paraît impos- sible de faire la guerre sans piller, ni assassiner. La guerre est, dans son esprit, un concept complexe où se ramassent, pêle-mêle, toutes les idées de destruction et de négation. Au mot fatidique Krieg! Kriegf (Guerre ! Guerre !) son cœur tressaille et ses instincts, si durement contenus jusque là par la férule prus- sienne, entendent un cri de délivrance : on va pouvoir tout faire, tout oser! Que de fois, nous plaignant à des soldats allemands d'une destruction inutile ou d'un acte de mauvais gré commis par leurs troupes, que de fois ne les avons-nous pas entendus répondre : « Ah ! que voulez-vous ? C'est la guerre ! » La guerre est un état de l'humanité qui excuse tout, qui sanctifie tout, même des infamies comme celle commise à l'égard d'un digne et vénéré prélat, Mgr Coenraets, vice-recteur de l'Université, à qui on a fait jouer pendant deux jours, le rôle odieux et imbécile d'accusateur public de ses concitoyens. Il faut que les gens de Louvain apprennent pourquoi on exécute leur ville. En entendant la première fusillade, tous se sont imaginé que les Belges ou leurs Alliés tombaient brusquement à dos aux ennemis. La lueur des incendies les a vite détrompés : les noms de Visé et d'Aerschot, les menaces des affiches, se dressent devant leur mémoire, ils sont édifiés sur l'œuvre de sauvagerie qu'accomplissent les Allemands. Pour combattre cette impression et faire régner leur vérité sur l'esprit même de leurs victimes, les Alle- mands ont alors monté toute une comédie, dans laquelle Mgr Coenraets a été le principal acteur. Mgr Coenraets est otage à l'hôtel de ville, au moment où éclate la première fusillade. Il n'a donc rien vu : de l'origine et de la nature des événements qui se passent, il ne connaît que ce que les officiers allemands lui ont dit. Ceux-ci viennent lui annoncer qu'il y a un complot contre l'armée allemande, qu'on va prendre les mesures les plus sévères pour le réprimer : les otages seront pendus, la ville incendiée et bombardée, puis on prélèvera sur elle une forte contribution de guerre, 20 millions de francs (sic). En attendant, Mgr Coenraets est traîné à travers les rues, en compagnie du père Parys, dominicain. A tous les carrefours, ils font, sur ordre, en français et en flamand, une proclamation dans laquelle ils exhortent la population au calme et la préviennent que eux, otages, seront massacrés, si un seul coup de fusil est encore tiré. Le vice-recteur est un homme de 62 ans, d'une constitution robuste, mais prématurément minée par un travail excessif. Les fatigues de la corvée et la violence des émotions l'ont brisé. Il est à bout. On le ramène à l'hôtel de ville prendre un peu de repos. Le lendemain matin, il faut recommencer. On le promène de nouveau à travers les rues en feu et on l'astreint, cinq heures durant, à refaire la même procla- mation que la nuit. La fumée, la poussière lui emplissent la gorge. La voix lui manque. On lui refuse un verre d'eau. Vingt soldats l'entourent menaçants et deux officiers ont le revolver braqué sur sa poitrine. A tout instant, il entend des coups de feu. On lui dit que ce sont des civils qui tirent, on l'en persuade presque. Il tremble pour sa vie. Cependant, aux alentours, outre les officiers et les soldats de l'escorte, il n'aperçoit que des hommes, des femmes, des enfants qui tiennent les bras en l'air, pleurent et jurent de tout faire pour lui sauver la vie. Jamais il n'a vu un civil tirer. Ces scènes ont duré jusque trois heures de l'après- midi. A ce moment, on le relâche et le lendemain, quand toute la population reçoit l'ordre de quitter la ville, il se rend à la gare où on l'embarque pour Aix-la-Chapelle, dans un train militaire. De là, il gagne la Hollande où il est encore actuellement l'hôte du Docteur Poels. Rien de plus sinistre, rien de plus infâme que cette comédie des proclamations qui transforme les victimes en coupables, les assassins en gens paisibles qui se défendent! Au reste, pour qui la joue-t-on ? Est-ce pour les habitants de Louvain ? Sans doute. I] s'agit de leur persuader, avant qu'ils soient arrivés par eux-mêmes à une conviction ferme, que des bourgeois ont tiré sur des soldats allemands et de provoquer d'imprudentes déclarations qu'on exploitera ensuite aux yeux du monde civilisé. A ce point de vue, la comédie a été sans grand succès. Rares sont les Louvanistes qui en ont été dupes, s'il y en a eu. Cependant on n'a négligé aucun moyen de suggestion pour les induire en erreur. Les personnages chargés des proclama- tions sont habilement choisis; ils proclament avec sincérité et bonne foi : on leur a dit avec tant de force que les civils ont tiré, tant de fois ils l'ont répété que l'expression verbale a réagi sur leur pensée et déter- miné dans leur conscience une ébauche d'adhésion; ils proclament, enfin, avec une émotion d'autant plus prenante, qu'ils sentent leur vie en danger immédiat. D'instinct, le peuple incline à les croire. Il y a plus. Sous les veux de la foule, on fusille des gens qu'on prétend avoir saisis en flagrant délit, les armes à la main. On incendie et on pille, toujours pour le même motif : les civils ont tiré. Comment des hommes pourraient-ils affirmer cela avec une telle persistance, sous tant de formes diverses, par des représailles . aussi sanguinaires, s'il n'y avait à la base un embryon de vérité? Ne soupçonnant pas la profondeur de la élératesse prussienne, frappée de voir tous les signes extérieurs unis pour accuser la population, quelque personne candide a peut-être cru que des concitoyens ont fait ou ont vu les choses repréhensibles qu'elle- même en tout cas n'a ni commises, ni constatées. Qu'à une telle personne, habilement interrogée avant — 120 de s'être ressaisie et d'avoir contrôlé son opinion par celle des autres, on ait réussi à arracher, l'intimi- dation ou la dépression morale aidant, des paroles d'aveu sans portée nette, ni signification précise, cela ne nous étonnerait pas. Encore cependant, les Allemands, si prompts à faire flèche de tout bois (bois vert comme bois pourri), n'ont-ils pu jusqu'à présent faire état de pareilles déclarations. Ceux que des polé- mistes sans scrupule, plus soucieux des intérêts de leur pays que de la vérité objective, ont donnés comme émanant de Mgr Coenraets et du père Parys ont été immédiatement démentis par les intéressés, bien que les journaux qui les avaient publiés n'aient pas toujours eu la loyauté de le faire savoir à leurs lecteurs (i). Mais si elle n'a pas produit sur la population de Louvain l'effet attendu, la comédie qui se joue aussi pour les soldats allemands a atteint un autre résultat qui était peut-être, dans la pensée des organisateurs, son but le plus important. Les soldats allemands savent généralement lire et écrire. Il vaudrait peut-être mieux qu'ils l'ignorassent. Car savoir lire et écrire est une pitoyable chose, quand ce n'est pas allié à un peu d'esprit critique. Or, ils sont crédules à l'extrême. L'instruction ne leur a pas ouvert le jugement. Surtout, ils ont la superstition de l'officiel. Pour eux, ce qui est affirmé « administrativement », est vrai sans condition. Les « bureaux » ne se trompent pas et ne mentent jamais. En l'occurrence, à Louvain, les « bureaux » font affirmer par quatre bouches vénérables que les civils ont tiré. Donc, les civils ont tiré. Sans doute, parmi les soldats qui ont pris part à la fusillade du mardi 25 août, à 8 heures du soir, beaucoup, les chefs surtout, savent pertinemment quelle iniquité on leur a fait commettre. Mais les autres qui n'ont pas été commandés pour ce service, les autres qui sont venus après, pendant la nuit et les jours suivants, n'ont connu que la « vérité administrative ». Ils se sont tout à coup trouvés dans une ville en feu, devant des massacres de la population civile, devant le pillage organisé des habitations. Pour eux, la scène des proclamations fournit un sens aux événements et une raison de coopérer, en toute sûreté de conscience, au sac de la ville. C'est ainsi que beaucoup de soldats allemands, inhabiles à distinguer dans une situation le vrai du faux, trompés par une savante mise en scène dont les traces se retrouvent à tout instant dans les affaires de Louvain, ont cru de bonne foi à la culpabilité des bourgeois et ont réussi à en accréditer l'idée dans leur pays. (1) Le service des eaux de Louvain est la propriété d'une compagnie hollandaise de Rotterdam. Son directeur, M. Rutgers, sujet hollandais, a été cité en Allemagne comme ayant attesté qu'il y avait eu des francs-tireurs à Louvain. Voici sa réplique : « Il m'est confié de source bienveillante une brochure intitulée Sturmnacht in Loewen, dans laquelle mon nom est cité et où on m'impute un témoignage tout à fait contraire à la vérité. Je tiens à déclarer publiquement que l'auteur, Robert Heymann, m'est tout à fait inconnu et que ce qu'il écrit s'écarte totalement de mes aventures, parues dans le journal De Telegraaf, et dans lesquelles il n'est pas dit un seul mot de francs-tireurs que j'aurais vus dans les maisons. M. Rutgers, Directeur du service des eaux de Louvain. (Extrait du Journal des petites Affiches de Louvain, dimanche 8 août 1915). — Le littérateur allemand Walter Nissen qui a fait vers le mois de décembre 1914, une visite à Louvain, attribue également des aveux à l'inspecteur de police di Martinelli, de la ville de Louvain. Son récit Ein Tag in Loewen (Une journée à Louvain) est une œuvre d'imagination. Les aveux sont inventés. Presque tous les détails sont inexacts. Exemples : 1. D'après Nissen, le bourgmestre provisoire est le professeur Rehling. Il veut dire Nerincx. 2. L'inspecteur de police lui aurait dit : « Je me nomme Edmond di Martinelli ». — Impossible, puisque M. di Martinelli ne porte pas ce prénom. 3. Le policier portait un brassard rouge et blanc, les couleurs de Louvain, et non pas noir et blanc, comme l'écrit Nissen. 4. M. di Martinelli aurait dit à Nissen : « Ma famille est originaire d'Italie. Mon grand-père a apporté d'Italie avec lui une gravure représentant le forum romanum • elle est suspendue au-dessus de mon lit et ainsi, de bonne heure, j'ai appris à connaître la beauté des ruines. Cela me vient à point aujourd'hui ». — L'inspecteur de police n'a pas dit cela, il ne connaît ni le latin, ni l'histoire romaine et ne sait pas ce que c'est que le forum romanum. Etc., etc. Ce récit, manifestement mensonger, a été lu aux prisonniers civils de Louvain en Allemagne, en vue de les solliciter à confirmer de leur témoignage les prétendus aveux de di Martinelli. Cette séance de suggestion n'a donné aucun résultat. CHAPITRE III. La journée du mercredi 26 août 1914 Le 26 août, les incendies continuent d'une manière plus méthodique. Cependant, les soldats tiraillent dans les rues avec moins d'intensité, quoique entre midi et trois heures il y ait eu une recrudescence de la fusillade. A ce moment des patrouilles de sauvages, en vertu d'une consigne manifeste, parcourent les quartiers de la ville les plus retirés, tirent à droite, à gauche, devant elles, sur les gens, dans les fenêtres, dans les soupiraux. Il est établi qu'il en fut ainsi â huit endroits différents : l'huissier Heerenaer, Mlle Goe- mans, le père Laboubée et sa fille, les nommés Crab, Jean-Baptiste et Armée, d'autres encore, furent tués dans ces affaires. Bien que pendant la nuit les Allemands aient déjà organisé des rafles de citoyens et fait beaucoup de prisonniers, dont quelques-uns furent fusillés place de la Station, ils développent considérablement dans la journée du 26 cette partie de leur programme. C'est une traque en règle. On arrache les gens de leur domi- cile, on les pousse dehors à coups de pied, à coups de crosse, à coups de baïonnette. Souvent en pénétrant dans la maison, un soldat prend la peine de lâcher un coup de feu et de crier : Man hat geschossen! Sur la comédie du man hat geschossen, nous avons bien des attestations dans notre dossier. Nous les publierons en temps opportun. Cependant nous signalons dès à présent le nom d'un témoin, qui, se trouvant en Amé- rique, ne court pas le risque d'être inquiété : M. Léon Dupriez, professeur à l'Université catholique. La comédie du man hat geschossen apprend aux victimes de quoi elles sont coupables et pourquoi elles sont arrêtées. Fouillant le sable à la recherche d'une aiguille perdue, on en ramasse une poignée; pour être sûr de tenir le pseudo-franc-tireur, les Allemands arrêtent toute sa famille. Lorsque cette méthode a produit cent à cent-cinquante prisonniers, les traqueurs encadrent le groupe, fusils braqués sur lui. Des voix guttu- rales commandent : Haende hoch! (haut les mains), et, bras en l'air, comme des criminels, le cortège des victimes s'ébranle à travers les ruines et les rues en feu. Souvent, en cours de route, les femmes sont sépa- rées des hommes : on les renvoie chez elles ou on en fait des paquets spéciaux. Un de ces paquets a été promené par le boulevard de Tirlemont, par la chaussée de Tirlemont où les prisonnières voient les soldats tirer dans les façades, par la rue du Chemin de fer où a lieu un simulacre d'un genre nouveau. Cette rue n'est pas bâtie dans toute son étendue, par endroit elle touche à la campagne, à proximité il y a des champs de betteraves. Les femmes y sont conduites et forcées de se coucher à plat ventre; les soldats, cinq minutes durant, s'amusent à tirer au-dessus d'elles, puis ils leur donnent l'ordre de se relever, en disant : C'étaient les Français qui étaient là ! » Le groupe se remet en marche et, le long des maisons en feu, arrive à la gare. Ici, à quatre ou cinq reprises, les soldats les collent au mur et tirent par-dessus les têtes. — Voilà les jeux cruels auxquels ces braves guerriers se livrent vis-à-vis de femmes. Pour les hommes, c'est bien pis. On ne leur épargne aucune avanie. L'injure ne cesse pas un moment : les Schwein! Hund! Schweinhund! (cochons! chiens! saligauds!) retentissent de tous les côtés. Des coups de poing, des coups de pied, des coups de crosse s'abattent sur les malheureux qui laissent retomber les bras fatigués, qui sortent de l'alignement, qui ne marchent pas au gré de la meute enragée. Le plaisir serait de courte durée, si on allait directement à la gare. Il faut que les prisonniers voient ce que leur ville est devenue et ce qu'on a fait de leurs conci- toyens. On parcourt les rues dans tous les sens, on repasse plusieurs fois aux mêmes endroits. Ici il faut enjamber un cadavre de civil, ailleurs c'est un cheval mort qui barre la route, là il y a des attelages renversés, puis ce sont les magasins éventrés et pillés. Fréquemment, on rencontre des soldats ivres, portant sous le bras des bouteilles de vin. La nuit du 25 au 26 août a dû être une nuit de monstrueuse orgie : vingt témoignages attestent d'ailleurs que, pendant toute la journée du sac de Louvain, la ville n'a cessé d'être sillonnée par des bandes de militaires en état d'ivresse. Enfin, après bien des détours, les prisonniers arrivent place de la Station : c'est le lieu de concentration de beaucoup de convois. Ici les officiers prennent la direc- tion des opérations et il se passe des scènes diverses. Je cite les rapports des témoins : h L'officier commence 122 par nous adresser ce petit discours : « Si vous restez bien calmes et bien tranquilles, aucun mal ne vous sera fait; si, au contraire, l'un d'entre vous tente de s'enfuir, vous serez tous fusillés ». — On nous fouille ensuite une fois, deux fois, trois fois, des pieds à la tête. Quelques-uns sont extraits des rangs et conduits, sous escorte, dans un chantier situé à quelque distance, au coin de la rue Marie-Thérèse et du boulevard de Tirlemont. Pourquoi? A-t-on trouvé sur eux quelque objet suspect? Mystère. Nulle enquête ne le dira. Un feu de salve retentit et les sous-officiers crient : « Voilà ce que nous faisons des Louvanistes qui ont tiré sur les braves soldats allemands ! » Est-ce simulacre d'exécution ou exécution réelle ? Les prisonniers, restés place de la Station ne s'en rendent pas exactement compte : car ils font face à la gare et tournent le dos au chantier qui est du reste dissimulé par les murailles du bâtiment en construction. Tous nous tremblons pour notre vie et nous nous attendons au pire malheur. Notre crainte n'était pas si mal fondée, puisque lors des exhumations, on a retrouvé 21 cadavres, entassés pêle-mêle dans la fosse à chaux du chantier et dans la cave de la maison en construction ». Le témoin dont nous venons de citer la déposition n'est resté que deux heures place de la Station, il a eu l'incroyable bonne fortune d'être délivré vers 3 heures de l'après-midi. La plupart des prisonniers ont été retenus jusqu'au lendemain matin et l'un d'eux nous a transmis la relation suivante : « Arrivés place de la Station, on nous fit eniamber la clôture du square Van de Weyer et je fus gratifié d'un terrible coup de crosse sur le bras droit, que j'avais abaissé un instant pour soutenir un vieillard de 83 ans qui ne parvenait pas à passer l'obstacle. Un à un, nous subîmes l'inspection minu- tieuse de nos poches, portefeuilles, papiers, porte -monnaie... Plusieurs de nos compagnons d'infortune, parmi lesquels Jean S... et Louis F..., furent fusillés. Devant nous, plusieurs cadavres de civils furent traînés dans le square, et six d'entre nous, que l'on munit de pelles et de pioches, reçurent l'ordre de les y enterrer. Pendant ce temps, les Allemands enfouirent eux-mêmes avec un semblant de cérémonie miliraro- religieuse un des leurs, victime de l'algarade de la nuit. A chaque instant, de nombreux civils, capturés par les Allemands dans les différents quartiers de la ville, venaient grossir nos rangs. A la fin, nous étions 1,500 prisonniers et on nous aligna devant le square. Notre file s'étendit depuis le boulevard de Diest jusqu'au boulevard de Tirlemont, à raison d'une dizaine d'hommes par rangée. On nous lia indivi- duellement les mains et les pieds, et une corde solide servit à emprisonner tout le groupe, de telle façon que, étroitement serrés les uns contre les autres, il nous était impossible de nous mouvoir... A plusieurs reprises, on fit des simulacres d'exécution en masse : pendant que les sous-officiers nous accablaient d'in- jures et nous accusaient des pires forfaits, un peloton se plaçait à dix mètres et nous couchait en joue. Lorsque, de temps à autre, un coup de fusil, tiré incontestablement par un soldat, éclatait dans le loin- tain, nos gardiens hurlaient : « Encore un civil qui vient de tirer, mais notre vengeance sera terrible, vous y passerez tous. » « Une pluie fine et persistante nous mouillait jusqu'aux os. Tout à coup, un homme grand et fort, ressemblant à un garçon brasseur, est amené, ficelé comme un saucisson, devant un officier, qui, après un interrogatoire sommaire, le gifle et le bourre de coups; l'homme s'abat, on le relève et, par le milieu du corps, on l'attache à un réverbère, tandis qu'à tour de rôle les soldats viennent l'injurier et le frapper lâchement. A la nuit tombante, nous aperçûmes une dernière fois le malheureux; des liens solides l'atta- chaient par le cou au réverbère et semblaient l'avoir étranglé. Au matin, le corps avait disparu (1). « On incendiait tout autour de nous : la place et la rue de la Station, le boulevard et la chaussée de Diest, le boulevard de Tirlemont, la rue Marie-Thérèse. « Harassés de fatigue, nous avions fini par nous écrouler les uns sur les autres, et, couchés dans la boue gluante, nous tâchions de reposer quelque peu nos membres endoloris. « Vers le soir, les caves des maisons particulières de la partie de la rue Marie-Thérèse non encore incendiée furent mises au pillage. De longues théories de soldats transportèrent toute la nuit vers l'intérieur de la gare un nombre incalculable de bouteilles de vin de toutes les provenances, mais particulièrement du vin de Champagne. Lorsque les officiers en eurent leur compte, les soldats, à leur tour, étanchèrent leur soif en buvant à même les bouteilles, dont ils brisaient les goulots à coups de baïonnette... « Le jeudi, vers 5 h. 1/2 du matin — il y avait quinze à seize heures que nous étions là, — on nous permit de nous relever. Avant d'être tous relâchés, il fallut qu'une centaine de nous s'engageassent à livrer immédiatement de quoi ravitailler les troupes. En quittant les rangs, nous étions mis en possession d'un bout de papier sur lequel étaient inscrits les articles réquisitionnés : viande de boucherie, œufs, beurre, café, farine, poulets, etc.. Ce papier devait nous servir de sauf-conduit pour rentrer en ville. En 1 h. 1/2, tous les vivres requis étaient sur la place et nous étions tous libérés. » Cette dernière déposition appelle un commentaire. La précédente signale des exécutions dérobées faites dans un chantier. Celle-ci en signale d'autres faites sur la place à la vue des prisonniers, qui sont même chargés du service de fossoyeur. Le fait est qu'on a iretrouvé des cadavres de civils à plusieurs endroits, aux environs de la s;are : au total, il v a eu à la gare 50 victimes (2), mais quelques-unes ont été tuées les jours suivants, les jeudi et vendredi 27 et 28 août. Il est intéressant de relever le genre de blessures dont elles sont mortes. En septembre 1914, lors des premières exhumations, les services admi- (1) La victime se nomme Ducuroir Ghislain, cabaretier. place de la Station. (2} 21 cadavres au coin de la rue Marie-Thérèse et du boulevard de Tirlemont, comme il vient d'être dit ci-dessus ; 27, dans le square devant la gare ; 1, à l'intérieur de la gare. — 123 — nistratifs étaient désorganisés, et aucune constatation officielle n'a été faite. Mais les 14 et 15 janvier 1915 les exhumations ont eu lieu dans les formes légales en présence du Kreischef, colonel Lùbbert, de son premier adjudant, l'Oberleutnant Teleman, du commissaire civil, Dr Kreuter, du bourgmestre provisoire de Louvain, de l'échevin de l'état-civil, du parquet, du commissaire de police et des médecins délégués par le service d'hygiène. On a retrouvé, à la gare, dans cette séance d'exhumation, 28 cadavres. D'après les constatations médicales, les blessures proviennent soit d'armes à feu, soit d'armes piquantes, telles que baïonnettes. Parfois, on trouve les deux sortes de blessures réunies sur le même corps; huit cadavres au moins portent des traces de blessures multiples et, sur une victime, l'examen médical relève : 1° le défon- cement du crâne; 2° une fracture du bras gauche; 30 au creux de l'estomac, une plaie produite par une arme piquante, telle qu'une baïonnette; 40 au niveau de l'omoplate gauche, une plaie large, constituant l'ori- fice d'entrée d'une balle, l'orifice de sortie se trouvant dans le creux axiliaire gauche. — Y aurait-il eu une boucherie place de la Station? Ces détails tendraient à le faire croire. Cependant, nous n'avons pas le témoignage direct. La déposition si précise, à propos de laquelle nous avons été amenés à faire ces remar- ques, n'en parle pas et se contente de dire qu'il y a eu des exécutions. Cette déposition signale, en outre, quatre autres faits essentiels : i° Il y a eu 1,500 prisonniers, environ, qui le 26 août et la nuit suivante ont été individuellement garrottés et rattachés ensemble par une longue corde. Ils ont été exposés à la pluie pendant quinze à seize heures et ont dû se coucher dans la boue pêle-mêle les uns sur les autres ; 20 Pour racheter leur liberté, les prisonniers ont dû payer une rançon consistant en vivres de toutes sortes; 30 II y a eu une pendaison avec torture préalable et plusieurs simulacres d'exécution en masse; 40 Les soldats ont ostensiblement pillé les caves des environs, au vu et au su des officiers, qui ont pris leur part du butin. Ces faits graves sont confirmés par un grand nombre d'autres témoignages et pas le moindre doute ne subsiste à leur égard. Ils donnent à la journée sa physionomie spéciale. Cependant, ils n'épuisent pas la liste des crimes commis ce jour-là : les promenades tragiques ont commencé le 26 août. Voici, à titre d'exemple, une promenade de cinq jours (1). Les gens qui ont été pris dans les rafles de la rue de Bruxelles n'ont généralement pas été dirigés vers la gare. On les a poussés vers le nord, dans la direction de Malines. Avant de sortir de la ville, l'un d'entre eux, Coopmans, a été fusillé. A peine hors de la ville, tous ont dû descendre dans un champ de pommes de terre et y subir les angoisses d'un simulacre d'exécution en masse. Plus loin, une seconde victime est tombée : Pardon a été condamné à mort et exécuté sur le champ. A la soirée, la troupe infortunée traverse le village de Hérent, qui est en feu, et y passe la nuit sur une éteule. Le lendemain 27, la colonne se dirige par Bueken sur Campenhout, où a lieu un nouveau simulacre d'exécution. Campenhout, c'est le champ de bataille; cela fourmille de soldats, qui insultent les prisonniers. L'après-midi s'y passe à creuser des tranchées; la nuit, la colonne est enfermée à l'église. Le 28, au matin, tous les paysans du village sont arrêtés et viennent grossir les rangs : ensemble ils repartent sur Louvain, où ils passent la nuit au manège. Quelle nuit, grand Dieu ! A chaque instant, on amène de nouveaux prisonniers. Le local est bientôt trop petit pour contenir tout ce monde et, au jour naissant, la pauvre foule déborde sur la place qui se trouve devant le manège : celle-ci est comme un vaste enclos, étroitement gardé par des sentinelles prêtes à faire feu; on peut y voir des femmes, des hommes, des enfants, des vieillards, des infirmes, un prêtre, du bétail, des chiens, des atte- lages et, au milieu, accroupie à côté d'un âne, une petite vieille presque nonagénaire. Il y a trois mille personnes de tout âge, de toute condition, de toute origine : il y a même des soldats anglais prisonniers. Les maisons flambent dans le voisinage : on entend le crépitement des flammes et le fracas des éboulements. Les gardiens sont ivres et, dans un théâtre situé à quelques pas, un orchestre militaire joue des airs de bal. Le spectacle est d'une insondable misère. Un enfant meurt d'inanition sur les bras de son père; deux femmes sont frappées de folie. C'est effrayant ! Nous sommes le 29 août. L'ordre de marche est donné et tout ce monde qui forme un cortège sans fin est conduit par la rue du Canal vers l'abbaye bénédictine du Mont-César. Des cadavres de civils jalon- nent le chemin. Après quatre heures d'attente au lieu dit « Windgat », on met en liberté d'abord les femmes, beaucoup plus tard les paysans, enfin les Louvanistes âgés. Quant aux jeunes, ils doivent repren- dre la marche dans la direction de Malines. Ils repassent à Bueken, à Campenhout, où ils ont déjà été le 27; on les pousse plus loin encore et on les lâche, enfin, en leur ordonnant sous peine de mort de tou- jours avancer sans jamais revenir en arrière. Brisés de lassitude, se mourant de privations, ils marchent... ils marchent sans arrêt... Le 30 août, à l'aube, ils se trouvent devant Waelhem, le fort avancé d'Anvers, et essuient les coups de feu de la première sentinelle belge. Tous se jettent à plat ventre. Un prêtre qui s'était joint à eux pendant la nuit se campe au milieu de la route, agite un drapeau blanc de fortune et de toute la force de ses poumons, lance à la sentinelle vingt appels sonores. Deux carabiniers cyclistes arri- vent en éclaireurs, on parlemente, ils avertissent le fort, et la colonne est accueillie à bras ouverts en territoire ami. (1) A l'aide de la carte ci-contre, on reconstituera facilement l'itinéraire des promenades tragiques que nous racontons dans ce chapitre et dans le suivant. 124 — Nombreux sont les pelotons de Louvanistes qui ont été ainsi promenés dans les campagnes envi- ronnantes. Il serait fastidieux de reconstituer en détail tous les itinéraires parcourus; les épisodes se repro- duisent toujours les mêmes : essentiellement, ce sont des marches et des contremarches épuisantes, des exécutions réelles et des simulacres d'exécution, des coups et des injures. On s'amuse à faire courir les pri- sonniers, puis marcher, puis courir encore; ici, il faut s'arrêter; là, il faut se coucher à plat sur le sol. Parfois, on les lâche et ils se croient libres. Illusion ! les voilà retombés dans les mains d'une autre com- Carte des deux cantons de Louvain et du canton de Haecht. FOBTZJIESSE 1 o LlEiRRE & I $? \ JJl^ST UllliriiiiiliiiiiiiiilimiHiiiiMiiiiiiiiiiiiiiiimiiiiiiii 0 E/^emeUo ~ ,_ Leur logement est au grenier, où, sur de la paille, à côté de soldats déjà couchés, ils prennent tant bien que mal un peu de repos. Le matin, on les fouille à nouveau. A midi, on délivre la moitié des prisonniers, tandis que l'autre moitié ira se promener avec un convoi de ravitaillement jusque Hal et ne rentrera à Bruxelles qu'à g heures du soir. groupe. — Ce fut le plus maltraité. Mgr Van Cauwenbergh, vice-recteur de l'Université, et le père Yermeersch, S.-J., en témoigneront. Avec d'autres, ils ont fait, hissés sur des chariots de munitions, à travers Bruxelles et dans les environs, la plus invraisemblable et la plus affreuse promenade. Les me- naces et les injures ne se comptent pas : elles sont l'assaisonnement obligé de ces sortes d'opérations. A l3 IÔ2 que instant, ils s'attendent à être pendus ou fusillés : ce sort leur est vingt fois promis. Je cite ici la relation d'un prisonnier : « On nous fait entrevoir la mort par pendaison. Un nous compte. On apporte des cordes. On nous compte à nouveau. Tout est prêt, il y a autant de cordes que de victimes. On fait des essais de résistance sur des cordes; on tire dessus par les deux bouts, pour vérifier leur force; elles sont sulides. La potence va être dressée, nous en sommes convaincus. Mais non, on se ravise. Voici qu'on nous couche enjoué. Puis le fusil s'abaisse et une bordée d'insultes nous est lâchée : Sckwein! Hundl Eselï (Cochon! Chien! Ane!) Enfin, on en revient aux apprêts de la pendaison. Et la comédie sinistre continue ainsi avec une rare entente de la mise en scène. C'est à croire que les tortionnaires ont appris leur rôle et répété la pièce avant de venir en Belgique. » Voilà de quels entr actes la promenade est entrecoupée, et, comme elle sera longue, ils seront nom- breux. Auderghem, Boitsfort, Linkebeek, Saint-Job, Uccle, Droogenbosch, Ruysbroeck : telles sont les ttapes de la première journée. A Ruysbroeck, les prisonniers sont logés dans une fabrique où se trouvent déjà des soldats étendus sur de là paille. Il faut se coucher parmi eux. Ils reçoivent un peu de soupe dans une gamelle. A 9 h. 1/2, deux officiers se présentent et disent gravement : « La fabrique va être attaquée par la population. Au premier coup de feu, deux d'entre vous iront audevant de l'ennemi pour l'arrêter; si un second coup de feu est tiré, vous serez tous fusillés ». Pure comédie. Rien de tout cela n'arrive. Le lende- main matin, les prisonniers sont à nouveau hissés sur les chariots, et la colonne se remet en marche. On est aux portes de Hal. Là, nouvelle comédie : un général s'approche en auto et annonce qu'on va les diriger sur Anvers. Il ajoute en partant et en leur jetant un mauvais regard : « Anvers est la seule ville de Belgique qui ne soit pas en terre allemande. L'Allemagne ne peut tolérer plus longtemps ces prêtres sur son sol. » Par malheur, le propos n'était qu'une feinte. Le peloton entre dans Hal et, sur la Grand'Place, il y reste exposé aux outrages des soldats. Puis il est emmené dans un couvent où les religieuses servent un bon repas, le premier depuis vingt-quatre heures. Le sort des prisonniers paraît enfin décidé : ils iront en Allemagne. De fait, on les conduit à la gare : le train est bondé de prisonniers anglais et de blessés, il n'y a pas de place pour eux. On les ramène au couvent, de là on revient à la gare et on les y enferme dans des wagons depuis ô h. 1/2 jusque 9 h. 1/2 du soir. Le train s'ébranle. A 11 h. 1/2, on est à Bruxelles- Schaerbeek. D'ici, voyage à pied, sous bonne escorte, jusqu'à la gare du Nord, puis jusqu'au ministère des affaires étrangères : trois quarts d'heure d'arrêt devant la porte. Enfin, à 2 heures du matin, on les enferme au Palais de la Nation; à 2 h. 1/2, on vient leur annoncer qu'ils ont été arrêtés par erreur et qu'ils sont libres : leur pèlerinage avait duré 62 heures. Pareille histoire est incroyable. Elle fait rêver. On ne lui voit ni but ni cause. On n'en finirait pas si on voulait raconter toutes les avanies infligées aux prêtres et aux religieux pendant la semaine tragique. Et dans toutes ces aventures, on se demande ce qui l'a emporté, la bouffon- nerie macabre ou la cruauté raffinée. Encore un fait pour clore la série. Je le choisis entre mille autres semblables. Le jeudi 27 août, dans la matinée, un prêtre, M. l'abbé Pierre Destrycker, vice-recteur du collège américain de Louvain, muni d'un sauf-conduit signé par le commandant de place, s'éloigne sur la chaussée d'Aerschot. Vers 13 h. 1/2, aux environs de Rotselaer, il rencontre une troupe de soldats, qui avait déjà arrêté un grand nombre de civils. Il exhibe ses papiers, mais les soldats ne veulent rien examiner et il doit prendre place parmi les prisonniers. On sépare les hommes des femmes : celles-ci sont chassées plus loin et les hommes sont parqués dans une prairie. Après une heure d'attente, on décide de ramener les hommes à Louvain. Le long du chemin, les prisonniers sont copieusement insultés et leur troupe s'accroît de tous les civils rencontrés au hasard de l'a route. Arrivée sur la Grand'Place, elle est grosse de 250 personnes. Pendant une heure, elle stationne en face de l'hôtel de ville. De là, elle est dirigée vers la gare où elle fait sur les voies du chemin de fer une nouvelle station de deux heures. Il est huit heures du soir environ, quand on introduit tout le monde dans des wagons à bestiaux. Quelques instants après, il faut en sortir, bras en l'air et, au moyen de fils de cuivre, un officier fait lier les malheureux les uns aux autres avec une violence qui rend tout mouvement impossible. Il les avertit qu'ils doivent rester debout, toute la nuit : « Si l'un d'entre vous, ajoute-t-il, bouge, tâche de se délier ou de s'asseoir, vous serez tous fusillés ». Ils restèrent donc debout dans cette attitude torturante pendant la nuit entière. Vers le matin — c'est le vendredi 28 août — ils voient les soldats traîner devant le monument Van de Weyer un « pauvre prêtre » : on le fusille à bout portant. Puis, eux-mêmes, on les aligne comme pour les fusiller à leur tour. Les soldats amènent de petites charrettes à bras « pour emporter les cadavres », disent-ils. Les prisonniers sont per- suadés que leur dernière heure est arrivée et le prêtre prononce sur ses compagnons d'infortune, les paroles d'absolution collective : ego vos absolvo a peccatis vestris. In nomine... Vers 5 heures, un coup de feu retentit : il est suivi d'une fusillade nourrie. L'adjudant s'écrie : « Nous voici encore entourés de francs- tireurs ! » On apporte trois soldats allemands blessés et le prêtre entend distinctement un sous-officier dire : Die dummen Kerle haben ivieder auf einander geschossen (les imbéciles ont de nouveau tiré les uns sur les autres). Vers 7 heures, l'abbé Destrycker est délié et conduit à la salle d'attente, où il passe la journée en butte aux injures et aux menaces des soldats qui traversent à chaque instant le local. Seul un adjudant a pitié de lui et se montre compatissant. Mais le soir, en lui apportant un peu de nourriture, il a soin de dire : « C'est la dernière fois que vous recevez à manger ». L'ecclésiastique passe encore la nuit du vendredi au samedi dans la salle d'attente. Le samedi 29 août, de bonne heure, il est définitivement mis en liberté. — i33 — D'après les faits qu'on vient de raconter, il y a donc eu, le vendredi 28 août, de grand matin, <( un pauvre prêtre », qui a été fusillé devant la statue de Van de Weyer. Ce pauvre prêtre était l'abbé Hippolyte Van Bladel, curé de Herent. Son cadavre a été retrouvé lors des exhumations de janvier 1915. Ce vieillard de 71 ans fut arrêté le 26 août 1914, dans des conditions qui, s'il avait eu affaire à des êtres humains, eussent dû lui assurer le respect et lui servir de sauvegarde intangible. Voyant son village mis à feu et le sang de ses paroissiens répandu, le digne homme était venu implorer la grâce de ses ouailles. « Si elles ont fait quoi que ce soit de répréhensible, dit-il, en se traînant suppliant aux pieds des officiers, je demande pardon pour elles et je vous conjure de les épargner ». Cette humble et miséricordieuse démarche ne servit à rien... qu'à le désigner personnellement à la colère allemande. On le fit retourner au presbytère où, peu après, on vint l'arrêter. Alors commença pour lui un douloureux pèlerinage à travers les villages de la région. Le jeudi, nous le retrouvons enfermé avec des centaines de prisonniers dans l'église de Rotselaer. Il leur prêche le calme et la résignation. Il se met au confessionnal et accomplit le dernier acte de son minis- tère. C'est là, au confessionnal, que, renversant les rôles, un officier le soumit à un interrogatoire et vrai- semblablement décida de son sort. On sait le reste. Ces faits sont de notoriété publique. Je les trouve actes avec précision dans la relation d'un témoin qui fit partie de la colonne des civils emprisonnés à l'église de Rotselaer. Cette colonne fut ramenée à Lou- vain le jeudi soir et transportée à Cologne le vendredi matin. Comme le curé Van Bladel avait fait route avec elle jusqu'à Louvain, cela fit longtemps croire que lui aussi avait été transporté à Cologne et avait trouvé la mort en Allemagne. Cette croyance était cependant ébranlée par deux faits : les recherches en Allemagne ne donnaient aucun résultat et, d'autre part, à Louvain on ne parvenait pas à mettre un nom sur le « pauvre prêtre » qu'on avait vu exécuter le 28 août, place de la Station, devant le monument Van de Weyer. Le mystère n'a été éclairci que lors des exhumations de janvier 1915. Le révérend Van Bladel a bel et bien été massacré après trois jours de mauvais traitements. Avouons qu'on n'en agit pas ainsi à l'égard d'un franc-tireur pris les armes à la main, ni d'un prêtre saisi en flagrant délit d'excitation à la révolte : on les tue sur place et sans délai. On vient de voir qu'il y eut des déportations à Cologne. Cela mérite d'être raconté. En annonçant le bombardement, les Allemands ont fait proclamer par le père Dillen, dominicain, et par d'autres personnes encore que tous les habitants devaient se rendre à la gare ou sur les voies du chemin de fer entre Louvain et Wilsele, seuls endroits où l'on serait à l'abri des obus. Conseil de fourbe! Le bombardement est un traquenard en vue du pillage, le rendez-vous en est un autre, en vue des déportations. Au fur et à mesure qu'ils se rendent aux endroits indiqués, les gens sont arrêtés. Leur foule se grossit de tous les fuyards ramassés sur les routes aux environs de la ville. Ils sont plusieurs milliers. On décide de leur sort sommaire- ment et par groupe et, comme le soir, il reste beaucoup de prisonniers dont on n'a pas disposé, on les enfourne dans des wagons à bestiaux, d'une saleté repoussante, pour y passer la nuit. En y montant, un vieillard de 85 ans, amené de Rotselaer en brouette et entouré de sa famille, tombe mort de fraveur. Cela ne dérange pas le service : l'enfournage continue. Ils sont deux mille dans ce train : des vieillards, trois prêtres, des enfants, des hommes en pleine vigueur, des femmes avec leurs mioches sur les bras, et même des malades fraîchement opérés dans les hôpitaux. Le départ a lieu le vendredi matin et l'arrivée à Cologne dans la nuit du vendredi au samedi; le voyage a duré 20 heures environ, sans autre nourriture que de l'eau, sans que personne ait pu descendre pour satisfaire ses besoins. Sur le séjour à Cologne et le retour en Belgique, voici les notes fugitives d'un témoin : « Nous sommes casernes dans un Luna-Park, les uns à la belle étoile, les autres dans des baraquements. Le samedi matin, vers 10 heures, nous recevons pour la première fois depuis notre départ, une ration de pain calculée à raison d'un kilogramme par dix personnes. Comme on a fouillé tout le monde et enlevé tous les canifs, impossible de couper le pain; les soldats le partagent à la baïonnette. Le dimanche, les marchands viennent nous vendre des couques et du chocolat : la plupart d'entre nous n'ont pas d'argent et ne peuvent rien acheter. A 2 heures environ, sortie, femmes et enfants prenant la tête du cortège : on nous fait croire que nous ne rentrerons plus en Belgique, que nous allons travailler en Allemagne aux tranchées et aux munitions. La foule forme haie des deux côtés. Des spectateurs nous injurient, d'autres ont les veux mouillés et nous entendons ce propos : « Il vaut bien la peine de faire des prisonniers comme cela. Faut-il un tel déploiement de forces pour de pareilles opérations? » Cependant, nous arrivons à la gare, nous prenons le train et ne tardons pas à remarquer qu'on nous rapatrie. Le train avance par petites étapes; il fait halte à toutes les stations. En surnombre dans les wagons, nous étouffons. Trois hommes deviennent fous, et l'un d'entre eux, ayant tenté de se suicider, est garrotté par les mains et les pieds. Un quatrième se jette hors du compartiment et est broyé sur la voie. Nous passons deux nuits en chemin de fer et nous arrivons le mardi, à 10 heures du soir, en gare de Bruxelles-Nord : on nous y laisse dans les voitures jusqu'au lendemain. Par les soins d'une adminis- tration communale, nous sommes régalés d'un délicieux pain blanc : c'était notre premier repas substantiel depuis le départ de Cologne. Enfin, à midi, les femmes et les enfants sont mis en liberté, tandis que les hommes repartent pour Schaerbeek. A Schaerbeek, tout le monde descend du train et, sous escorte, par Vilvorde et Willebroeck, le groupe de prisonniers est poussé sur Waelhem, où il se trouve en terre amie. Cependant, le groupe s'était disloqué en cours de route. Au pont de Willebroeck, un homme s'était jeté dans le canal et on avait interdit de lui porter secours. A Vilvorde quelques-uns avaient été élargis. Beaucoup s'évadèrent dans la partie ultérieure du trajet. Ceci se comprend. L'escorte devenait de moins en — i34 — moins diligente, et la surveillance toujours plus relâchée. Les soldats nous abandonnaient en nous enjoi- nt de piquer droit sur Anvers : ils nous observaient à longue distance. Puis nous retombions sur un autre poste de soldats que nous traversions bras en l'air et qui répétaient le même ordre. Et c'est ainsi que, repassés de poste en poste, nous franchîmes toutes les lignes allemandes et arrivâmes au front belge. Mais par les chemins de traverse, entre deux postes de soldats, il se produisit un grand nombre d'évasions » (i). Les membres de l'expédition de Cologne en furent quittes à bon compte : du 27 août au 2 sep- tembre , c'est sept jours de voyage. La sensation de l'exil eut à peine le temps de les frôler. D'autres furent moins heureux et restèrent plusieurs semaines, beaucoup plusieurs mois en Allemagne : ce sont les déportés de Miinsterlager (Hanovre). Les déportations en grand pour Miinsterlager ont commencé le 27, mais elles se sont continuées les jours suivants. Elles n'ont pas été limitées à l'agglomération de Louvain, elles se sont étendues à un grand nombre de villages ruraux. Pour tous les déportés, le voyage fut très pénible par l'absence complète de confort, par le manque de nourriture, par la lenteur désespérante de la marche, par la rudesse naturelle des soldats. Pour quel- ques-uns, il fut franchement épouvantable. Dans un des convois partis de Louvain, entre Cologne et Miins- terlager, un prisonnier, hanté par l'idée fixe de s'enfuir, profite d'un moment d'inattention des sentinelles et se précipite sur la voie au risque d'être écrasé par le train, qui roule encore à vive allure. Il retombe sur ses pieds à côté du ballast et se sauve à travers champ. Le train s'arrête, les soldats le poursuivent à coups de fusil; des paysans et des paysannes, armés de faulx, lui barrent le chemin : le fuyard est rat- trappé, roué de coups de crosse, de coups de pied, de coups de poing et ramené dans le wagon. Ce n'est là qu'un premier châtiment. Voici la suite. Les gardiens le garottent par les mains, paumes en dehors, au moyen d'une grosse corde et le suspendent à un anneau; les pieds, qui ne touchent plus le parquet, sont également liés. En cadence, avec le mouvement du train, le corps étiré et ficelé se balance dans le vide comme une masse inerte. Cela dure trois heures. Le malheureux souffre horriblement et supplie les soldats de l'achever. Il tombe finalement dans une sorte d'inconscience. On le dépend et, pieds et poings toujours liés, on l'attache à un banc. L'action entre alors dans une nouvelle phase. Le prisonnier tombe dans une complète prostration et, à l'un des arrêts, un officier vient à deux reprises gifler cet homme hors de connaissance. Saisies d'une noble émulation, les sentinelles, sans doute pour l'édification des autres prisonniers, font les gestes de massacrer la pauvre victime : elles lui posent la baïonnette sur le ventre comme pour l'en traverser, elles lui introduisent danr. la bouche le canon du fusil chargé, elles jouent odieu- sement avec la victime, qui ne sait plus où elle est, ni ce qu'elle fait, véritable paquet d'os et de muscles animés d'une vie latente. Le dernier convoi de déportés, et le plus important d'ailleurs, semble être celui qui est parti de Nos- seghem le 30 août, à minuit. Il se compose de gens ramassés surtout à Hérent, Wygmael, Wesemael, Gelrode, Haecht. Beaucoup sont en sabots; la plupart portent les vêtements terreux en usage dans la popu- lation agricole; çà et là, une couverture rouge sur le dos jette sa note criarde. Il en est qui sont prisonniers depuis le 27 août et qui ont déjà subi pas mal de mauvais traitements. En tout, ils sont approximativement 700, dont un élève-médecin, portant le costume d'officier belge, M. Goemans, arrêté à la Croix-Rouge de Haecht, et quatre prêtres : le curé et le vicaire de Wesemael, le vicaire de Hérent, le directeur des Ursulines de Haecht. On les embarque dans treize wagons à bestiaux, à raison de 50 hommes environ par wagon. Les planchers n'ont plus été nettoyés depuis plusieurs jours, une couche de 10 centimètres de crottin en fermentation les recouvre. Au milieu de chaque voiture, il y a des bancs, sur lesquels prennent place dix soldats d'escorte, fusils chargés et baïonnette au canon. Vis-à-vis des soldats et juste assez pour que la brise vienne les rafraîchir, les po.rtes sont entr'ouvertes. Quant aux prisonniers, ils doivent se tenir ut : impossible de s'asseoir, ni de se coucher; ils respirent l'atmosphère fétide qui monte du fumier en putréfaction. Le train avance lentement et s'arrête à de nombreuses gares. Entre Liège et Verviers, un officier a la charité de prévenir les prêtres qu'ils seront fusillés à la frontière : tous en ont l'absolue con- viction. Cependant, la frontière est franchie depuis longtemps, et le peloton d'exécution n'apparaît tou- jours pris. L'absolue conviction s'ébranle, et il faut trouver autre chose pour renouveler les tortures qui s'émoussent. Depuis qu'on est sur territoire allemand, les portes des wagons sont largement ouvertes : l'air entre à pleines brasses et apporte la vie dans des poitrines qui commençaient à mourir. Mais, à tous les passages à niveau, une foule, probablement prévenue, attend les prisonniers. Le train passe lentement devant elle : elle pousse des huées, profère des menaces de mort, de petits enfants montrent le poing, des femmes font le geste de couper le cou et d'ouvrir le ventre. Les soldats paraissent fiers de l'intérêt que susci- tent leurs prisonniers. Naturellement, aux gares d'arrêt, l'exhibition des « francs-tireurs » est plus longue et non moins féroce. Cependant, rien de plus bassement immoral que ces scènes d'exhibition. Elles n'ont d'autre but que d'exciter les passions, et elles avilissent tout le monde. Elles avilissent les soldats par la joie qu'ils trou- vent à étaler et à augmenter des injures de la foule les souffrances de leurs victimes. Elles avilissent les spectateurs en leur permettant de se livrer sur une proie sans défense aux entreprises de leur colère. Elles avilissent les prisonniers, qui, ravalés au rang de fauves de ménagerie et jetés en pâture à une curiosité hostile, en sont blessés dans les fibres les plus intimes de leurs cœurs. Il ne faut pas une sensibilité très (1) Parmi les déportés de Cologne, il y avait un jeune Bulgare, étudiant chez les Assomptionnistes français de Louvain. — i35 — fine pour en palper la lourde inconvenance. Malgré cela, elles ont continué à travers toute la Prusse rhénane et, se modifiant dans la suite, elles ont pris en gare de Brème un caractère d'exceptionnelle laideur. Avant de raconter cela, marquons qu'à Osruabrùck, le lundi 31 août, au matin, après 34 heures de voyage, les prisonniers reçurent la première distribution de nourriture; qu'à Bassum, le même jour, à midi, ils furent, pour la première fois depuis le départ de Nosseghem, autorisés à descendre du train pour satisfaire leurs besoins naturels : je passe sur la manière indécente dont il leur fallut vaquer à cette néces- sité. A Bassum, au moment de remonter dans le train, les quatre prêtres furent réunis dans le même wagon, et un jeune officier de vingt ans les avisa qu'ils seraient fusillés à Brème. Les voilà donc à Brème vers 4 heures de l'après-midi. L'officier fait descendre les prêtres, les aligne et... les photographie. Il les fait remonter et alors, debout, face au public, à l'entrée du wagon, ils sont passés en revue par un interminable défilé de militaires de toutes armes et de tout grade. Quand le défilé s'interrompt, les prêtres se réfugient au fond du wagon; quand il recommence, les gardiens ies forcent à paraître en criant : heraus, Schweine (de- hors, cochons). Notez que, des quatre prêtres, deux ont dépassé les cinquante ans. L'un d'entre eux ■ — ce n'est pas lui qui a révélé ces détails, mais un laïque, témoin immédiat, — ayant demandé aux geôliers si c'était par ordre qu'ils agissaient ainsi, fut courageusement giflé. Devant cette lâcheté, le sous-officier commandant resta impassible, mais il vint plus tard s'excuser en déclarant qu'il n'avait pas osé protester par crainte des officiers présents. Par cet aveu, dont il eut mieux fait de s'épargner la honte, ce sous- officier a tracé le portrait de l'Allemagne à l'heure présente. Les bons ont peur des mauvais, et les cheva- liers craignent les brigands. Celui qui est enclin à la bienveillance subit l'hostilité des autres et, pour écarter le soupçon du modérantisme, il se raidit, si loyal que soit son cœur, contre ses bons sentiments, passe d'abord indifférent à côté de l'injustice et du mal, puis bientôt, suivant une pente fatale, s'abandonne aux plus détestables excès. L'Allemagne est conduite par ses pires éléments. Les vertus humaines y ont perdu droit d'asile. L'incident de Brème fut cependant peu de chose au regard de ce qui devait se passer à Mùnster- lager, où le drame allait descendre aux plus basses profondeurs de l'horrible. L'épuisement physique, les souffrances morales ébranlent les têtes les plus solides. Un cas de folie s'était déjà produit entre Brème et Mùnsterlager, à la hauteur de Soltau. Le dément, un nommé Malevé, conseiller communal de Hérent, avait été sommairement fusillé et son cadavre enfoui le long de la voie du chemin de fer. La scène n'était pas de nature à ranimer ces cerveaux affaiblis. A Mùnsterlager, il fait nuit noire au moment de l'arrivée entre le 31 août et le Ier septembre. Les prisonniers, dans l'obscurité la plus complète, sont conduits au camp. Où sont-ils? Où vont-ils? Quelle est la disposition et la nature du local où ils pénètrent? Ils l'igno- rent et ne s'en inquiètent pas. A peine entrés, ils s'effondrent comme une masse sur le sol. Ils souffrent de la soif : depuis Bassum, ils n'ont plus eu une goutte d'eau. Des gémissements se font entendre, mais rien que des gémissements. Ni pensée de fuite, ni pensée de révolte. D'ailleurs, pensent-ils encore? Tout à coup, les portes s'ouvrent et sur cette jonchée d'hommes les soldats déchargent une salve, qui, rien que parmi les gens de Wesemael, fait sept victimes (1). Les dernières lueurs d'intelligence ne résistent pas à cette secousse : une sorte de folie épidémique s'empare des prisonniers; l'un d'eux se pend et, du sein de l'obscurité profonde, s'élèvent des rires, des cris inarticulés, des blasphèmes, des prières. Sur les 700 hommes, il n'y en avait pas 20 qui eussent conservé leur lucidité. Pareils attentats crient vengeance au Ciel. Ils sont d'autant plus coupables qu'ils ne sont le fruit ni d'une méprise, ni d'un accident. Ils paraissent avoir été délibérés d'avance et accomplis en exécution d'un programme. Car, quelques heures avant la fusillade, parmi les prisonniers belges amenés antérieure- ment et logés dans les autres baraques, on fit officiellement proclamer quelque chose comme ceci : « Cette nuit, il y aura peut-être des coups de fusil, peut-être même tirera-t-on sur vous. Néanmoins, il faut vous tenir calmes et rester couchés. Il est impossible de rien empêcher : des soldats qui doivent quitter le camp pour le front sont ivres et il n'y a pas moyen de les maîtriser. » Pour nous, cette proclamation est la preuve de la préméditation du crime. Cependant, à quelque temps de là, l'aumônier du camp, dans une correspondance à la Koelnische Volkszeitung (Gazette populaire de Cologne), n'hésitait pas à déclarer qu'il était exact (richtig) qu'une révolte avait éclaté parmi les gens de Hérent, de Wesemael..., qu'elle avait été sévèrement réprimée, que les quatre prêtres étaient innocents. Ah! l'odieuse contrefaçon de la vérité! Et puis, quel état d'âme chez cet aumônier? Visiblement, il a la conscience embarrassée. Il veut, ex œquo, servir deux maîtres à la fois : le pape et l'empereur. S'il accuse les prêtres, il nuit à l'église; s'il innocente tous les prisonniers, il nuit à l'empire. Dès lors, sa conduite est tracée : il disculpera les prêtres et chargera les laïques. Ainsi, chaque maître aura sa part. Tant pis si la justice et la vérité n'ont pas leur compte à ce partage; il n'y en a pas d'autre possible quand il faut servir deux maîtres aussi exigeants. Cet aumônier est le portrait-type des catholiques allemands à l'heure actuelle. Entre l'église et j'empire, en toutes circonstances, ils veulent tenir la balance égale, et cela les amène à juger les situations et les faits sous un jour qui n'est pas celui des conscients droites. L'esprit de Windthorst les a quittés ; ils se laissent conduire par les maximes de la prudence politique. En le constatant, nous qui ne nous lassions pas de les admirer et de les citer en (1) Voici leurs noms : François Feyaerts ; Jacobus Mertens ; Auguste Van Steenwinkel ; Guilelmus Swings; Alfons Kiebooms ; Ilenricus Woutcrs ; AJfons Wouters. — i36 — iple, nous avons senti comme une partie de notre idéal s'envoler pour toujours de notre cœur. Ah! monsieur l'aumônier, les quatre prêtres sont innocents! Alors pourquoi, le lendemain, ce coup de baïonnette qui éborgne presque l'un d'entre eux? Pourquoi cette mise au cachot qui dure jusqu'au 7 septembre? Oue de mauvais procédés les pauvres ecclésiastiques ont eu à supporter pendant leur inter- nement à Munsterlager d'abord, à Magdebourg ensuite! On en racontera un jour le détail avec la préci- sion de l'historien; en gros, ils se ramènent à un régime qui consiste à affaiblir physiquement et à démoraliser pour provoquer des aveux. On nommait cela, au moyen-âge, la question. Ces prêtres sont rentrés en Belgique le Ier décembre. Leurs compagnons de Munsterlager, après avoir été transférés à Celle (Hanovre), vers le mois de décembre, ont été rapatriés le Ier février : la capti- vité avait duré cinq mois. Pendant ce temps, la fusillade du premier jour s'était renouvelée plusieurs fois et quelques décès s'étaient produits. Parmi les décès, il faut signaler celui de Adams, Joseph, cultivateur, échevin de la commune de Rotselaer. Une brute — il n'y a pas d'autre mot pour désigner ce soldat — lui avait donné, lors de l'embarquement à Nosseghem, un coup de botte qui lui avait écrasé l'urètre. Il ne fut pansé ni pendant le voyage, ni pendant le séjour au camp. La baraque où il se trouvait fut cependant Fig. 12. — Femmes et enfants prisonniers à Munsterlager. évacuée par les prisonniers valides et resta affectée aux Belges malades, civils et militaires. Les fonctions ne s'accomplissant plus, le malheureux endurait des douleurs cuisantes, auxquelles il ne tarda pas à suc- comber. Aux approches de la mort, il trompait la souffrance en égrenant son chapelet. Un pasteur pro- testant se présenta pour l'assister. Un officier belge intervint et dit : « N'entendez-vous pas aux prières de cet homme qu'il est catholique? » Sur cette remarque, le pasteur trop zélé se retira et on fit venir un prêtre catholique. Voilà l'histoire d'une colonne de prisonniers belges en Allemagne. Ce serait se répéter que de faire l'histoire des autres colonnes. Un dernier détail la complétera, qui est une première réponse — une autre viendra plus loin — à cette allégation du Livre Blanc (p. 5) : « Femmes, vieillards et enfants furent, même quand ils étaient fortement soupçonnés, épargnés dans la plus forte mesure. » Veut-on savoir combien, parmi les prisonniers de Louvain à Munsterlager, il y avait de femmes et d'enfants ? Plus de 100 (voir fig. 5, p. 32> et fig. 12 ci-dessus). Les Allemands, s'ils étaient sincères, devraient dire ces choses. Car la vérité est entière, et c'est souvent mentir que d'en taire la moitié. Parmi les enfants se trouvait un nourrisson d'un an. Ce nourrisson, comme tout le monde, a eu son aventure. D'abord, un franc-tireur d'un an n'est pas un phé- nomène ordinaire. Et puis, à l'aller, en gare de Hanovre, le petiot se mit à avoir faim et à réclamer du lait. Les parents n'en avaient plus; ils en demandèrent à une bonne samaritaine portant le brassard de la Croix-Rouge allemande et... elle leur en refusa. Le soldat qui convoyait les prisonniers fut, lui, plus humain; grommelant ce mot vigoureux : Unmensch (monstre) à l'adrese de la pécore, il alla se procurer du lait et en régala l'enfant. - i37- Ce soldat fut généreux et courageux. Il obéit à la bonne poussée de son cœur malgré toutes les sollicitations contraires; il ne fit pas comme ce sous-officier qui, ayant peur de l'hostilité des autres, fit semblant, par son mutisme, d'approuver le soufflet donné au ministre de Jésus-Christ. De pareils actes reposent des horreurs que des hommes saoulés de vin et de sang, brutes devenues folles conduites par des sots devenus fous — ont commises à Louvain. Ne gâtons pas l'impression de fraîcheur qui s'en dégage en nous replongeant trop vite dans le récit de nouvelles horreurs. Avant de faire le bilan des tristes jour- nées de Louvain, respirons quelques minutes le parfum inaccoutumé qui soudain nous arrive d'Allemagne. CHAPITRE V. Le bilan Dans V Exposé de la situation de la province de Brabant et des travaux du département des secours de cette province, on lit ce qui suit : « La province de Brabant a connu toutes les horreurs de la guerre; nombre de villages ont été ravagés et dévastés, 5,042 maisons, appartenant pour la plupart à des personnes peu aisées, sont devenues la proie des flammes; le pillage s'est étendu sur 16,486 maisons; la population civile a été cruellement éprouvée; 837 habitants, dont un grand nombre de pères de famille, ont été tués, et 2,112 ont été emmenés comme prisonniers et retenus pendant cinq mois loin de leurs foyers. Ainsi, en quelques jours, 50,000 habitants de la province ont vu s'accumuler autour d'eux toutes les ruines ». Dans ces chiffres, pour quelle part émarge ce que l'histoire appelle dès à présent le « sac de Louvain » ? Louvain a une population de 42,492 âmes. Avec les communes suburbaines de Corbeek-Loo, Hérent, Iïéverlé, Kessel-Loo, il forme une agglomération de 70,000 habitants. Rares sont ceux qui ont échappé aux sévices. Le plus grand nombre ont été ou assassinés ou incendiés ou pillés ou déportés ou molestés. Les incendies ont détruit 2,117 maisons; le pillage a porté sur 3,500 maisons environ; 226 personnes ont été fusillées, carbonisées ou asphyxiées; à ne compter que celles qui ont reçu des soins dans les ambulances, 37 personnes ont été grièvement blessées; 653 civils ont été retenus prisonniers en Allemagne pendant une durée qui varie de six semaines à cinq mois. Voici le détail par commune (1) : Population . Blessés d'après des Maisons Maisons Prisonniers ^^ soignés dans documents incendiées!* pillées ahJ«L. « .. , de 1915 Allemagne ambulances Louvain 42,492 1,120 ? 334 Corbeek-Loo 1*807 I29 ? 62 Herent 6,958 312 200 104 Héverlé 8,377 95 336 10 Kessel-Loo 10,397 461 325 143 Tués 79 19 29 7 60 Etrangers à l'aggloméra- tion : Inconnus : Disparus : 16 9 7 Totaux 70,03 1 2,117 653 226 37 (2) Si on étend la statistique aux deux cantons de Louvain et à celui de Haecht, qui ont été associés au sort de l'agglomération, on arrive aux chiffres suivants (3) : Population des trois cantons 135,720 (4) Maisons incendiées 3>3!9 Maisons pillées 6,311 ? Assassinats 367 Prisonniers 1 .478 (1) Cette statistique comprend aussi les quelques faits signalés entre le 19 et le 25 août 1914. (2) Parmi ces blessés, il en est quelques-uns qui ont été envoyés dans les ambulances de Louvain par des communes extérieures à l'agglomération. (3) Pout être complet, il faudrait ajouter la partie de l'arrondissement de Bruxelles, Bueken et les environs, qui avoisine l'arrondissement de Louvain. (4) D'après l'Annuaire statistique pour 1911. — i3g — A l'article du bilan « maisons incendiées », se trouvent inscrits des bâtiments de valeur très inégale et d'utilité très différente : une maison ouvrière et le théâtre de Louvain y figurent chacun pour une unité. Afin d'avoir une idée de la perte qu'il représente, il faut examiner en détail de quoi il se compose. Impossible cependant, dans les circonstances actuelles, d'avoir pour chaque commune du district ravagé, des rensei- gnements sûrs et complets par rapport à la valeur et à la destination des immeubles détruits. De nécessité, nos indications seront restreintes à la seule ville de Louvain. Ici, on peut dire que les 1,120 maisons incen- diées équivalent au 1/7 du nombre total des habitations. Au point de vue de la surface bâtie, elles repré- sentent à peu près le 1/3 de la cité, car la plupart sont de grands et beaux hôtels occupés par les familles patriciennes : le quartier luxueux formé par la rue de la Station, la rue Léopold, la place du Peuple et le boulevard de Tirlemont, n'existent pour ainsi dire plus. La perte évaluée en argent — biens, meubles et immeubles réunis — doit dépasser de beaucoup les 100 millions. Toutefois, les pertes les plus importantes ne sont pas celles qui s'évaluent en argent, il en est d'autres qui sont sans prix, parce qu'elles ne sont pas récupérables; et elles sont nombreuses à Louvain. La biblio- thèque de l'Université a été la proie des flammes, avec elles ont disparu d'inestimables richesses (1). 950 manuscrits, dont quelques-uns très précieux, comme le meilleur manuscrit de Cornélius Nepos et un manuscrit autographe de Thomas a Kempis, dont beaucoup du XIIe et du XIIIe siècle; environ 1.000 incunables; une belle collection d'ouvrages du XVI", XVIIe et XVIIIe siècles; des gravures; des minia- tures et une superbe collection de reliures du XVIe siècle; une partie des archives de l'ancienne Université et les archives de la nouvelle; 250,000 volumes, parmi lesquels les plus beaux exemplaires sortis des presses de Jean de Westphalie et les ouvrages publiés par les professeurs depuis la restauration en 1834; une galerie de portraits et de bustes de recteurs, de chanceliers, de professeurs de Y Aima Mater, depuis sa fon- dation, en 1426; la bulle de fondation donnée par Martin V, en 1425. De tout cela, il ne reste rien. Le bâtiment lui-même est irrémédiablement compromis et ne retrouvera certainement plus son ancienne physionomie. Cependant, il avait une grande valeur archéologique; il était surtout chargé de souvenirs histo- riques très précieux. Une de ces parties, construite auXVIII" siècle, se faisait remarquer par une grande salle dont les boiseries fastueuses et le superbe plafond formaient, dans le style Louis XV le plus pur, un chef-d'œuvre de goût et de majesté. L'autre partie, plus ancienne, — la halle aux draps du XIVe siècle — affectée au service de l'Université dès 1431, renfermait la très belle salle des promotions, où tant de docteurs depuis près de cinq siècles, avaient reçu la toge et l'anneau, les auditoires vénérables où les profes- seurs de la fondation avaient donné leur enseignement. La bibliothèque de l'Université est la plus grosse perte que les sciences et les arts aient à déplorer h Louvain. Elle n'est pas l'unique cependant. L'Ecole commerciale et consulaire a été incendiée : outre le local, détruit de fond en comble, l'Université y perd le matériel coûteux qui servait à l'enseignement de la géographie. La « Bibliothèque choisie » qui, avec ses 300,000 volumes représentant presque toute la production récente de deux littératures, la française et la néerlandaise, complétait si heureusement le fonds universitaire, a pareillement disparu dans les flammes : il n'en subsiste rien. Perdues aussi quelques bibliothèques particulières très remarquables, entre autres celle du littérateur Eugène Gilbert et du musi- cologue Charles Martens, celle de l'anatomiste Van Gehuchten, des philologues Collard et Forget, qui étaient arrivés, à force de travail, de recherches et de dépenses, à réunir, pour certaines questions spéciales, des collections très complètes de livres et de documents. Parmi les collections privées que le feu a consumées, signalons encore une série unique de porcelaines chinoises et une collection de gazettes de plus de 120.000 exemplaires, représentant la vie du journal à toutes ses époques. Louvain est l'ancienne capitale du Brabant, et, d'un glorieux passé, outre des édifices publics comme la collégiale Saint-Pierre, les anciens collèges de l'Université, l'hôtel de ville, il lui restait quelques très vieilles maisons privées, dont les façades à hauts pignons flamands donnaient à certains coins, tels que le Vieux-Marché et la Grand 'Place, un aspect digne de Bruges : beaucoup viennent de disparaître. La collégiale Saint-Pierre est très abîmée. Toute la toiture a brûlé; la tour, qui surmontait le centre du carillon, achevée en 1727, restaurée en 181 1, s'est effondrée; au portail occidental, le campanile, datant de 1631, qui se terminait par une tourelle octogonale et qui lui-même surmontait la tour centrale inachevée, s'est pareillement abattu : voilà pour l'extérieur du monument. A l'intérieur, c'est pire. Le feu a été mis, dans la nef collatérale sud, à six autels, dont l'un, l'autel de Saint-Pierre, en style italien du XVIIIe siècle, par ses vastes proportions et la variété de ses lignes, avait une incontestable valeur architecturale. Dans la chapelle dite de la Croix Brune, un crucifix du XIVe siècle qu'on portait en procession dans les temps de calamité, a brûlé. A l'extrémité orientale du chœur, la voûte s'est écroulée et dans sa chute a gravement endomma^ le maître-autel qui était une belle œuvre « renaissance » en marbre noir, blanc et jaspé. A 1 extrémité opposée de l'église, à gauche de l'entrée principale, dite des longs escaliers, il v avait un Christ habillé du XVe siècle, en grande vénération parmi la population de Louvain : il est brûlé. Ainsi en est-il du magnifique tambour en chêne qui se trouvait, lui aussi, à l'entrée principale : c'était une œuvre attribuée à Corneille de Vriendt, dit Floris. Les cloches qui se trouvaient dans la tour de la façade principale, ont été fondues par l'incendie : deux d'entre elles, la cloche Notre-Dame et la Poortklok avaient été coulées en 14^8. Le carillon qui, chaque quart d'heure, jetait aux échos ses trilles joyeux, ne se fera plus (1) Voir L'Université de Louvain, par Paul Delannoy. — Paris, Picard, 1915. — i4o — entendre : ses cloches ne sont plus qu'un informe lingot de bronze. Ce carillon venait de l'abbaye de Parc, qui l'avait cédé en 1810 à la ville de Louvain. Quant aux tableaux, les plus précieux sont sauvés : le Saint-Erasme et la Cène, de Thierry Bouts, la Descente de Croix, de Roger Van der Weyden. Cependant sont restés dans les flammes une œuvre de Kreyer et quelques toiles de Verhaegen. Pour achever cet inventaire des ravages accomplis à la collégiale, ajoutons que deux sacristies ont été anéanties et, avec elles, de beaux candélabres et chandeliers. Parmi les anciens collèges de l'Université que l'incendie a dévorés, trois méritent d'être signalés : le collège de Drieux, situé rue des Ecreniers, le collège Saint-Yvon et le vicus, situés rue Vanderkelen. — Le collège de Drieux, fondé en 1559, restauré en 1775, dans le style Louis XVI, était le reste le plus somptueux de la vieille Université. Il abritait actuellement l'école des beaux-arts : il est détruit avec sa collection de plâtres classiques, sa bibliothèque et son musée technique. — • Le collège Saint-Yvon, dit des « bacheliers » ou des « juristes », parce qu'il dépendait de la faculté de droit, avait été fondé en 1483 et reconstruit dans le style Louis XV en 1775-1776. Le vicus était le bâtiment primitif de l'Université : c'est là qu'elle s'était installée en 1426, avant que la halle aux draps ne lui servît de local. Le collège Saint- Yvon et le vicus étaient contigus : ensemble, ils servaient aujourd'hui de local au tribunal de l'arrondis- sement de Louvain. Avec leur incendie ont disparu les archives du parquet et les duplicata des registres d'état-civil des communes. Comme les maisons communales d'Aerschot, de Wilsele, de Hérent, de Roos- beek, d'autres localités encore, ont été incendiées, elles aussi avec leurs registres d'état-civil, une partie importante de l'arrondissement de Louvain n'a plus d'état-civil authentique. Cette situation est grosse de périls et de difficultés pour l'avenir. Quant à l'hôtel de ville, qui est incontestablement un des plus beaux monuments d'architecture civile de toute l'Europe, le feu ne l'a pas touché. Les balles ont cependant étêté une statue de la façade nord et, pénétrant dans la grande salle historique, abîmé auelques tableaux. Sa conservation est un miracle. Les Allemands s'en attribuent volontiers le mérite. « Le somptueux hôtel de ville, grâce à nos troupes, put être sauvé », écrit le Livre Blanc (p. 236). Il faut en rabattre. La préservation de l'hôtel de ville est avant tout l'œuvre de circonstances atmosphériques favorables. Si le vent avait soufflé de l'ouest, quand la rue de Namur brûlait, ce n'eût fait qu'une flambée, et tous les travaux de sauvetage n'auraient servi à rien, surtout que l'édifice, à ce moment, était flanqué d'immenses échafaudages en bois. Et puis, pourquoi se vanter d'avoir sauvé de la destruction une œuvre qu'on v a volontairement exposée? Enfin, les troupes n'ont eu à intervenir que parce qu'elles ont empêché les civils de le faire. Des bourgeois avaient eu l'intuition des dangers que courait le vieil et célèbre édifice, orgueil de la cité. Portés par l'instinct civique et nonobstant le péril réel de s'exposer à la vue des soldats, ils s'appliquaient à éteindre, rue de la Monnaie, les incendies dont les flammes léchaient les maisons basses adossées au monument. C'est alors qu'on les fit prisonniers et qu'on les emmena sur la Grand'Place. Là, menacés et alignés comme pour être fusillés, ils attendirent longtemps, et il fallut bien des pourparlers avant qu'on leur permît de retourner à leur besogne de salut public. Ceci se passait le 26 août vers midi. Le même jour, au matin, les gardes civiques avaient été convoqués — comme nous l'avons dit plus haut — au son du tambour, « pour aller éteindre les incendies ». Ceux qui se présentèrent à l'appel furent faits prisonniers, fusillés, déportés en Allemagne ou promenés aux environs de Louvain; aucun ne fut emplové à éteindre les incendies. Le Livre Blanc nous fait hausser les épaules, à nous qui avons vu, quand ses rédacteurs écrivent de Berlin, riant peut-être sous cape, des phrases comme celle-ci : « Nos troupes circonscrivirent la propagation du feu et, au péril de leur vie, sous la conduite des officiers, entreprirent les travaux d'extinction » (p. 235). Si on avait sérieusement voulu limiter la propagation des incendies, il eut suffi de laisser aeir les concours spontanés qui surgissaient de partout. La vérité est que dans beaucoup de cas on a empêché les propriétaires de couper le feu et que dans beaucoup d'autres où l'extinction avait réussi, on l'a rallumé dans la suite. Hvpocrysie encore nue de décliner la responsabilité d'un partie des incen- dies, en écrivant : « On incendia les maisons d'où l'on avait tiré. Il fut impossible d'éviter que le feu ne se communiquât à d'autres immeubles et n'anéantît quelques pâtés de maisons » (Livre Blanc, p. 235). Quand on allume une rue des deux côtés à la fois par intervalle de trois à quatre maisons, on sait bien que tout doit v être la proie des flammes et que, sauf travaux exceptionnels de sauvetage, si l'un ou l'autre immeuble échappe à la destruction, c'est contrairement à la volonté et à la technique des opérateurs : dans le cours normal et prévu des choses, rien ne doit subsister. Pur pharisaïsme que de s'en prendre à la fatalité! Les travaux d'extinction des Allemands ont été sérieux dans certaines rues et ont réussi à soustraire aux flammes un certain nombre d'habitations. Mais ils n'ont été inspirés ni par le désir d'éoargner les innocents, ni par le souci d'atténuer le désastre. Ils ont eu pour uniaue cause les besoins de l'armée et le zèle des intérêts allemands. Les troupes ont préservé des maisons habitées par des sujets allemands en résidence à Louvain. Elles ont préservé, rue de la Station, aux abords de la gfare, quelques grands hôtels qui leur étaient nécessaires pour installer les services de l'administration civile et les services de l'admi- nistration militaire. Quand, après l'exode du 27 août, les propriétaires ont voulu rentrer dans ces hôtels éoargnés, ils les ont trouvés occupés par des militaires ou par des emplovés, et ils ont été priés de chercher ailleurs un logement. Le reste de la ville, qui ne les intéressait pas, les soldats l'ont abandonné à son sort et trop souvent, nous le répétons, loin de coopérer à l'extinction, ils ont entravé les efforts des habitants. - Ui — Il est surtout deux édifices dont l'incendie restera pour l'Allemagne une éternelle flétrissure : celui de la bibliothèque de l'Université et celui de la collégiale St-Pierre. On le sent si bien en Allemagne qu'on cherche à s'en excuser en alléguant, l'un contre l'autre, deux pitoyables motifs : d'après les uns, ces incen- dies auraient été allumés par des flammèches volantes; d'après les autres, ces édifices auraient dû être sacri- fiés par représailles contre les Belges qui y avaient installé des mitrailleuses. Des mitrailleuses, il n'y en eut jamais ni à la bibliothèque de l'Université, ni à la collégiale; il n'y en eut ni pendant l'occupation belge, ni pendant l'occupation allemande. Personne n'en a trouvé, per- sonne n'en a vu, personne n'a apporté à l'appui de cette hypothèse un témoignage précis et contrôlé. La tour de la collégiale brûlait déjà le 26 août, à 5 h. 1/2 du matin, quand des officiers, précédés du curé-doyen, firent l'inspection de l'église, de haut en bas, à la recherche de soi-disant prêtres qui tiraient sur les soldats allemands : on ne trouva ni armes, ni prêtres. Quant aux flammèches volantes, c'est une autre invention. La bibliothèque a brûlé dès la nuit du 25 août 1914 : à. 11 heures, on apercevait les premières flammes et la troupe y avait été casernée jusque 10 heures du soir. Ce fut en quelque sorte la flambée inaugurale. Si les reporters et les brochuriers s'étaient donné la peine de visiter les caves voûtées, longues de 35 mètres, de l'édifice qui abrite la bibliothèque, ils auraient constaté avec une évidence qui ne laisse place à aucune objection, qu'elles ont été le siège d'un foyer spécial qu'aucune flammèche venant de l'extérieur n'a pu allumer. Ce foyer fut si violent que le pave- ment en est soulevé et les colonnades en pierre bleue désagrégées. La collégiale a brûlé quelques heures plus tard : le 26 août, vers 4 heures du matin, des témoins nombreux ont vu des soldats se promener sur le toit et mettre avec une torche le feu à la coupole qui dominait la croisée de transept. L'architecte qui a fait, après le sinistre, les premières constatations a relevé dans son rapport que l'incendie avait dû être allumé à différents endroits sous les autels de la nef collatérale sud. 11 y a eu, en haut et en bas, à l'exté- rieur et à l'intérieur de l'édifice, des foyers multiples et indépendants. L'intention de dévaster l'église est marquée au coin des faits, et l'historiette des flammèches volantes ne trouvera pas créance auprès des personnes qui ont étudié la question sur place en s 'éclairant de la visite des lieux. Nous venons de décomposer l'article du bilan libellé « maisons incendiées » et on a vu ce qu'il cache de ruines effectives. Nous voudrions faire une opération analogue sur l'article « assassinats >;. 1 les cantons de Haecht et de Louvain, il y a 367 tués. Pour la seule agglomération de Louvain, il y en a 226. Nous ne connaissons pas l'état-civil exact de toutes ces victimes. Mais, sur les 226 victimes de Lou- vain, si on laisse de côté celles que nous avons indiquées sous les rubriques « disparus » et « inconnus » (voir ci-dessus), il en reste 210 dont le sexe et l'âge nous sont connus avec précision et certitude. Au nécro- loge que nous annexons à cette étude, on trouvera des indications détaillées à ce sujet. Ici nous les grou- pons en tableaux. Tableau I. Répartition des victimes par sexe : Hommes.... 186 Femmes .... 24 210 Tableau IL Répartition des victimes par âge : Personnes de moins de 18 ans 14 Id. de 18 à 50 ans 127 Id. de 50 à 60 ans , 40 Id. de 60 à 70 ans 18 Id. de 70 à 80 ans 7 Id. de 80 ans et plus 4 Id. de plus de 50 ans 69 Total 210 Parmi les personnes de moins de 18 ans, les petits Van Emelen, Jean, De Meyer, Arthur, et Meeus, Jules, avaient respectivement 6 mois, 18 mois et 4 ans. Groupons maintenant les victimes en deux catégories, d'une part les femmes, les hommes de moins de 18 ans et de plus de 50 ans, c'est-à-dire ce qu'on appelle les femmes, les enfants et les vieillards, et d'autre part les hommes entre 18 et 50 ans : Tableau III. Répartition des victimes par catégorie. Nombres absolus % Femmes, enfants, vieillards 94 45 Hommes entre 18 et 50 ans '. 116 55 Totaux 210 100 — 14a — De ce tableau résulte que la moitié des victimes à peu près, exactement 45 p. c, appartiennent à la catégorie des personnes qu'on .se vante d'avoir épargnées. Que serait-ce si on ne les avait pas épargnées ? Mais alors que penser d'une révolte où la majorité des conjurés seraient des femmes, des enfants et des vieillards, tandis que la minorité se trouverait parmi les hommes résolus de 18 à 50 ans? La vraisemblance n'est certes pas du côté de l'hypothèse de la révolte. D'ailleurs a-t-on réellement épargné les femmes, les vieillards et les enfants, comme l'affirme le Livre Blanc avec témérité? On va le voir. Pour les femmes et les enfants, nous le concédons : sur 210 victimes, il n'y a que 24 femmes et 14 enfants. Pour les vieillards nous le nions. Nous soutenons, au contraire, qu'on les a outrageusement massacrés. Voici, d'après le recensement de 1900, p. 75 de l'Annuaire statistique de la Belgique pour 191 1, la répartition de 1,000 personnes suivant l'âge : Tableau IV. Répartition de 1,000 personnes d'après l'âge : Personnes de moins de 18 ans 355>78 Personnes de 18 à 50 ans 440,35 Personnes de plus de 50 ans 203,87 Total 1000,00 D'après ce tableau, si on avait tué, au hasard, sans ménager aucun âge, les 210 victimes se répar- tiraient comme suit : Tableau V. Répartition hypothétique des victimes, d'après l'âge suivant la loi du hasard Victimes de moins de 18 ans 64,25 Victimes de 18 à 50 ans 103,15 Victimes de plus de 50 ans 42,60 Total 210,00 Or, les chiffres réels sont respectivement 14 + 127+69 = 210. Il faut en conclure que de toutes les classes de la population, celle des vieillards a eu en partage le sort le plus cruel. Elle a même été plus maltraitée que la classe des personnes de 18 à 50 ans. Si on se livre à une étude statistique analogue sur le chiffre des blessés soignés dans les ambulances, on arrive à des indications plus sévères encore. Sur 37 blessés civils, il y en a 23 qui appartenaient à la catégorie des femmes, des vieillards et des enfants : 10 sont des femmes, 8 des personnes de moins de 18 ans, dont 5 enfants de 3 à 11 ans et 3 jeunes gens de 11 à 18 ans. Enfin, pour grouper ici tous les éléments qui se rapportent à la question, rappelons que le groupe des femmes et enfants déportés à Mùnsterlager forme à peu près le 1/5 des 653 prisonniers civils de l'agglo- mération de Louvain. Le nombre des vieillards acheminés sur l'Allemagne nous est malheureusement inconnu. Et maintenant, que conclure de tous ces chiffres? A chacun de se faire une conviction. Quant à nous — chiffres de tués, chiffres de blessés, chiffres de prisonniers, pris tels quels, dans leur ensemble et avec leurs lacunes — ils nous ont laissé l'impression nette que le Livre Blanc affirme, en ce qui concerne Louvain tout au moins, une grossière contre-vérité, quand il écrit d'une manière générale : « Vieillards, femmes et enfants, même gravement soupçonnés, ont été dans la plus large mesure épargnés » (p. 5). Enfin, du sac de Louvain et environs, il reste un dernier trait à mettre en lumière. Quand on exa- mine attentivement les faits, on se défend malaisément de l'idée que la haine du catholicisme n'est pas étrangère aux cruautés allemandes. Celles-ci, en plusieurs circonstances, prennent la forme d'une véritable persécution religieuse. Ainsi, pendant la semaine sanglante, les soldats ne parviennent pas à appeler un prêtre par son nom, ils se servent des sobriquets spéciaux : Pfaffen, Schwarzrock (prêtraille, robe noire). Quand ils les tiennent prisonniers, ils éprouvent une joie visible et naturelle à ne leur parler qu'en disant : Schwein (cochon); et ils ont une façon d'articuler ce mot qui ressemble à s'y méprendre au grognement de l'immonde animal. Mais il y a plus que les dérisions et les outrages, il y a les voies de fait. Elles furent nombreuses. Pour mettre les bénédictins et les dominicains en sûreté, on a exporté les uns à Cologne, les autres à Maria-Laach. — 43 — Huit prêtres et religieux ont été internés à Mùnsterlager : 1. A. Héylen, curé de Wesemael; 2. L. Celis, vicaire de Wesemael; 3. A. Huypens, vicaire de Hérent; 4. Dr Nagant, professeur à Rolduc, sujet hollandais; 5. P. Spruyt, aumônier des ursulines, à Haecht; 6. J. Tuyls, aumônier de la maison d'arrêt, Louvain; 7. Père Adrien Van den Bol, religieux-conventuel de Louvain, sujet hollandais; 8. Père Cyprien Noël, religieux-conventuel de Louvain. Neuf prêtres et religieux ont été fusillés ou massacrés d'une autre façon : 1. Père Dupierreux, S.-J.; 2. Frère Sébastien, joséphite, dans le monde Stratman, André, sujet allemand; 3. Frère Allard, joséphite; 4. Frère Candide, des frères de la Miséricorde; 5. Père Vincent Sombroeck, conventuel, sujet hollandais; 6. Père Maximin Van Holm, capucin- 7. Van Bladel, curé de Hérent; 8. Lombaerts, curé de Boven-Loo; 9. De Clerck, curé de Bueken. Plus de cent ecclésiastiques, parmi lesquels beaucoup de Jésuites et quatre prélats de Sa Sainteté, ont été molestés, collés au mur à diverses reprises pour être exécutés, parfois retenus prisonniers pendant plusieurs jours : nous avons raconté plus haut les aventures d'un certain nombre d'entre eux. Voilà pour les hommes d'église; voici maintenant pour les choses. On a vu comment ils ont arrangé la Pfaffenuniversitaet (l'université de la prêtraille), comme ils disaient : là ils ont atteint l'Eglise catho- lique dans la plus riche collection d'anciens ouvrages de théologie scolastique qui existât peut-être dans le monde entier. Ils ont incendié trois églises : St-Pierre, à Louvain, et les églises de Bueken et de Tremeloo. Ils ont donné et confirmé l'ordre de brûler l'abbaye bénédictine du Mont-César, qui a échappé par miracle à la destruction : le récit très curieux de sa préservation sera publié après la guerre. Ils ont profané à Werchter et à Rotselaer les vases sacrés et les saintes espèces. Bref, sur une étendue de 400 à 500 km2, ils ont perpétré en moins de huit jours de temps plus de cent cinquante attentats de toute nature, grands et petits, contre la religion catholique, contre ses ministres, contre les édifices consacrés à son culte, contre Dieu lui-même, présent au tabernacle. Que si, à cette liste de forfaits, on ajoute, pour le reste du pays, l'assassinat de 40 ecclésiastiques, les manques d'égards graves vis-à-vis de 3 évêques, les molestations infligées à environ 300 prêtres et religieux qui ont été blessés, pour- suivis de coups de feu, menacés longuement et sérieusement de mort, soumis à d'indignes traitements, les sacrilèges au nombre de près de 50 dans le seul diocèse de Namur, la destruction volontaire de plu- sieurs églises, dont quelques-unes très remarquables, on se soustraira difficilement, en présence de faits aussi nombreux et aussi infâmes, à l'impression que le vieil esprit de Luther haineux, perfide, mauvais à l'égard du catholicisme, n'ait pris sa part de joie dans les événements du mois d'août 1914. En résumé, le viol, l'incendie, l'assassinat, la destruction de précieux chef-d'ceuvres de l'esprit humain, les sacrilèges et les profanations, il n'y a pas de crimes que les soldats allemands n'aient commis à Louvain et dans les environs. S'ils avaient été ramassés à la pelle et au rabais dans le fumier social d'outre-Rhin, parmi les hôtes naturels et prédestinés des maisons de fo«xe et des dépôts de mendicité, parmi les voyoux des grandes villes prêts à tous les mauvais coups, ils n'auraient pas travaillé autrement. Cependant, ce n'est pas ainsi que se recrutent les armées modernes. Les compagnies de forçats, libérés à dessein pour accomplir les basses besognes, sont, nous assure-t-on, inconnues dans l'armée allemande. Comment, dès lors, des soldats, dont la plupart ont eu jusque-là une vie irréprochable, dont beaucoup n'ont jamais fait de tort à personne, se sont-ils soudain transformés en brutes sanguinaires C'est un problème déconcertant de psychologie sociale, dont il faut néanmoins essayer une explication. Exaspérés par les périls qu'ils vont courir demain, ils s'étourdissent, puisqu'on le leur permet et le leur conseille, dans la fumée du vin; ils commencent, puisqu'on le leur ordonne, la guerre, par pro- vision et par précaution, contre une population paisible. Des victoires faciles habituent au mépris du danger. Ils expédient, en passant, des femmes, des vieillards, des enfants inoffensifs. C'est autant de pris sur l'ennemi. Ils se reposent de fatigues excessives et d'inquiétudes accablantes en pillant et en saccageant sans arrière-pensée. Car l'impunité est certaine et la réputation ne sera pas ébréchée. Huit jours plus tard, ils seront perdus dans l'armée, et le juge n'ira pas les chercher dans les camps. Les victimes ignorent les noms des coupables et, devant le public, ne les poursuivront pas d'accusations infamantes. De retour au pays, si la mort les épargne, ils seront considérés comme les glorieux héros de la grande guerre : on ne connaîtra jamais les turpitudes qu'ils ont commises. Du reste, on leur a dit qu'il fallait infliger à l'adver- saire le maximum de torts : soyez durs pour vos ennemis, défiez-vous de la sensiblerie et des sentiments humanitaires; à la guerre, il n'y a place ni pour la compassion, ni pour la sympathie. De pareilles recommandations à des hommes qui en ont si peu besoin, qui ne comprennent pas les nuances, qui inter- - iU - prêtent en toute simplicité d'esprit et en fonction de leurs instincts, produisent leur effet naturel : plus on tue, plus on pille, et plus on rend service au pays, c'est le brigandage au nom du patriotisme et pour la défense de l'empire; c'est la piraterie brutale et systématique, entreprise et exécutée au nom de prin- cipes formulés d'avance et répétés par les officiers (i). Quand le crime est présenté presque comme un devoir, il faudrait une moralité supérieure pour résister à sa séduction. La vertu humaine est fragile par essence. Elle ne s'affermit décidément que si la bête qui est en nous se trouve enchaînée par un système puissant de répression. La répression est intérieure ou extérieure. Les freins sont de nature morale et religieuse, et, à leur défaut, l'ordre n'est possible que moyennant un gouvernement politique très dur et très pesant. Gouvernement fort et morale faible ou gouvernement faible et morale forte, il n'y a que ces deux procédés de discipline dans les nations. L'Alle- magne est un pays de gouvernement fort et, par conséquent, de moralité faible. Dès que les chefs permet- tent ou commandent le mal, les hommes se ruent dans l'ordure jusqu'au fond. Ils se livrent aux pires atrocités. Ajoutez à cela qu'ils sont étrangers à la ville qu'ils saccagent. Incapables de faire acception des personnes, sur un nom, un costume, une qualification, une mine, si inoffensif et si vénérable que soit l'homme, ils brûlent sa maison, le maltraitent ou le tuent, non parce qu'ils le connaissent, mais parce qu'ils ne le connaissent pas. Bien mieux, ils ne veulent pas le connaître, de crainte que la victime ne leur échappe. Des simulacres de jugement, il y en eut plusieurs. Des jugements sérieux, avec enquête, inter- rogatoire, citation de témoins à décharge, plaidoirie d'avocat, même sommaire, il n'y en eut jamais. Le plus souvent, les victimes ne comprenaient rien aux questions qu'on leur posait. A Kessel-Loo, on fusillait un homme sur cinq, et le groupe aligné fut compté et recompté autant de fois que ce fut nécessaire pour que le sort désignât le malheureux père Maximin Van Holm, capucin, qui d'avance était destiné au sacrifice. Malgré l'horreur de tous ces crimes, le temps eut pu les faire oublier si l'Allemagne les avait avoués. L'aveu purifie. Mais, non contente d'outrager sa victime, elle a voulu la flétrir et traîner son nom dans la boue. A l'entendre, c'est nous qui avons commencé, c'est nous qui avons voulu la guerre et qui, l'avant obtenue, l'avons conduite d'une manière inhumaine et bestiale. L'Allemagne n'a fait qu'user de représailles. Le loup se fait agneau. Examinons les raisons qu'il allègue dans le cas de Louvain. (i) Eiserne zekn Gebote an die Deutschen Krieger, p. 37, 1915. (Les dix commandements de fer du soldat allemand). CHAPITRE VI Les explications allemandes. Pour excuser, dans la mesure du possible, les meurtres, les vols et les incendies de Louvain, la presse allemande a inventé tout un roman. Le voici résumé à larges traits, mais fidèlement. La population se serait révoltée contre l'armée occupante, elle aurait tiré sur les troupes impériales, elle aurait cruellement maltraité les soldats. La révolte aurait été fomentée par des soldats belges et anglais déguisés en civils, par des étudiants russes spécialistes en désordre, par des jeunes gens venus des quatre coins du pays et soigneusement cachés dans la ville. Elle aurait été préparée par le gouvernement et exécutée de connivence avec l'armée d'Anvers qui, le 25 août, tombait à dos à l'armée allemande et s'avan- çait jusqu'aux portes de Louvain. Tandis que les soldats allemands couraient sus à l'ennemi, ne laissant en ville qu'une petite garnison de bons vieux et paisibles pères de famille appartenant au landsturm, les habitants, excités et secondés par le clergé, se seraient jetés sur elle pour l'anéantir. Le combat de rues aurait coûté aux Allemands un certain nombre de tués et de blessés. Les troupes impériales rentraient en ville à ce moment-là, après avoir repoussé l'armée d'Anvers et, dans l'ivresse de la victoire, mues par une sainte colère, elles se seraient livrées sur Louvain, ses monuments, sa population, à une œuvre de ven- geance mille fois justifiée par le crime des habitants. La préméditation de cette révolte, la complicité d'Anvers et de Louvain se déduiraient de la coïnci- dence entre la sortie de la garnison d'Anvers et le prétendu soulèvement de Louvain; elle se déduirait encore de ce qu'on aurait vu s'élever dans le ciel en divers endroits de la ville, des fusées lumineuses, servant de signaux; elle se déduirait enfin des grandes quantités d'armes et de munitions qu'on aurait découvertes dans différentes maisons et même dans une église. Et puis comment l'émeute aurait-elle eu des mitrailleuses à son service, si elle n'avait été préparée de longue date, d'accord avec les autorités militaires et gouvernementales? (1) Voilà le plaidoyer allemand. Nous lui avons donné une physionomie aussi cohérente que possible. Car, jusqu'au 10 mai 1915, date à laquelle le gouvernement allemand a fourni une version officielle et fait l'accord entre les journaux en leur communiquant à tous un texte identique résumé du Livre Blanc, la presse allemande a nagé en plein dans l'incohérence et dans la contradiction. Si cette étude n'était déjà trop longue, nous y insérerions la traduction d'une bonne douzaine d'articles sur Louvain, antérieurs au mois de mai, et ce serait un vrai plaisir de constater comment ils s'opposent et se détruisent entre eux. Pouvait-il en être autrement ? Quand on est plusieurs à improviser, chacun pour son compte, même après entente préalable, des explications justificatives de faits qui sont sans aucune sorte d'excuse avouable, il est impossible de ne pas tomber dans l'incohérence. Cependant passons là-dessus et examinons en elles-mêmes les circonstances du récit. Chaque mot pour ainsi dire appelle un démenti. (1) Ci-dessous une liste de documents où l'on trouvera tous les éléments de ce récit. Quand un journal est mentionné au cours de cette étude, il s'agit toujours du numéro indiqué dans cette liste. 1. Koelnische Zeitung, n° 993, samedi 5 septembre 1914, 2e Morgen Ausgabe (communication officielle sur Louvain). 2. Frankfurter Zeitung, n° 246, samedi 5 septembre 1914. 2e8 Morgenblatt. (Récit d'un témoin oculaire, daté du 27 août 1914). 3. Dusseldorfer General-Anzeiger, jeudi 10 septembre 1914. Unsere Feuertauje in Loewen von Karl Moenckeberg (Notre bap- tême de feu à Louvain, par....) 4. Deutsche Tageszeitung, n° 468, mardi 15 septembre T914. Abendausgabe. (Récit d'un témoin oculaire). 5. Dusseldorfer General-Anzeiger, n° 268, dimanche 27 septembre 1914. 2e Beilage. (Récit d'un correspondant particulier). 6. Oberschlesische Grenz-Zeitung, n° 228, jeudi 10 octobre 1914. Beilage. (Récit d'un correspondant de guerre). 7. Taegliche Rundschau, n° 503, 19 octobre 1914. Unterhaltungsbeilage n° 245. (Interview de von Manteuffel, par Adolf Zim- mermann). 8. Koelnische Volkszeitung, n° 984, samedi 14 novembre 1914. Mittags-Ausgabe. (Gravure représentant l'hôtel de ville et la collégiale de Louvain avec des mitrailleuses installées sur leur toit.) 9. Die voelkerrechtswidrige Fùhrung des belgischen V olkskriegs, 328 p., 10 mai 1915. (C'est cette publication qu'on nomme c Livre Blanc »). 10. Résumé du « Livre Blanc » publié dans une teneur identique par le Berliner Tageblatt, n° 256, 21 mai 1915, par la Deutsche Tageszeitung, n° 256, 22 mai 1915 et par beaucoup d'autres journaux allemands. 10 I là - // y avait à Louvain des soldats belges et anglais déguisés en civils. Le témoin oculaire de la Frankfurter Zeitung a inventé cette histoire de toutes pièces. Si les soldats belges et anglais étaient déguisés en civils, comment les a-t-on reconnus ? Par quelle dénonciation a-t-on connu leur présence? La vérité est qu'il n'y a jamais eu à Louvain, à aucun moment de la guerre, un seul soldat anglais. On y a attendu les soldats anglais, comme les Français, du reste; on a compté sur eux pour la délivrance, on ne les a jamais vus. Je me trompe. On a vu quelques soldats anglais. Mais c'étaient des prisonniers de l'armée de French qui étaient de passage à la gare au moment du sac, et que les Alle- mands ont fait descendre du train pour les promener à travers les rues et les associer aux tribulations de la malheureuse ville. Quant aux soldats belges, nous attendons toujours qu'on cite le nom d'un seul d'entre eux. Son Excellence von Boehn prétend dans sa déposition (Livre Blanc, p. 241) que parmi les fusillés de Louvain il s'en est trouvé qui portaient sous leurs vêtements civils des effets d'équipement militaire : pour lui, il n'y a nul doute, c'étaient des soldats déguisés. Si le fait que relève le général von Boehn était exact, il devrait y avoir au moins un soldat parmi les 210 victimes identifiées dont le nom figure au nécro- loge. Or, il n'y en a aucun : pour s'en assurer, il suffit de faire, auprès des familles et auprès des admi- nistrations communales, une enquête qui s'impose, si on tient sincèrement à établir la vérité. D'ailleurs, le propos du général von Boehn porte en lui-même la marque de la fausseté : quand des conjurés se déguisent à loisir, sans être pressés par les événements, comme ce fut le cas à Louvain, où, d'après la version alle- mande, la révolte aurait couvé sept jours, depuis le 19 jusqu'au 25 août, avant d'éclater, ils le font avec le plus grand soin et ne laissent rien subsister du costume qui pourrait les trahir. Des étudiants russes ont fomenté la révolte. Pour l'année académique 1913-1914, l'Université a inscrit 15 étudiants polonais et pas un seul Russe proprement dit. Sur ces 15 Polonais, il y avait 5 ecclésiastiques et 10 laïques. Parmi les laïques, quelques- uns n'ont fréquenté les cours que pendant le premier semestre. Enfin, le 4 août, quand la guerre éclate, l'année académique est terminée et les sessions d'examens sont closes. Les étudiants sont en vacances et il reste à Louvain, en tout et pour tout, à notre connaissance, en fait de Polonais, un étudiant ecclésiastique, l'abbé Skokowski. Est-ce lui qui a organisé la révolte? Le rédacteur du Dûsseldorfer Gêner al- Anzeiger qui a écrit cette ânerie a confondu l'Université de Louvain avec celle de Liège, où il y a des centaines d'étudiants russes et où les examens se prolongent jusqu'au mois de septembre. Ent fait des victimes. Une autre cause encore a fait des victimes. Les Allemands ont simulé des attaques de francs-tireurs. Mais la comédie s'est parfois retournée contre eux. Des soldats pénètrent dans les maisons, grimpent aux ^ta^es et. par les fenêtres, tirent vaguement dans la direction des troupes qui sont dans la rue. Celles-ci, de ^onne foi ou de comnlicité, répliquent. Ce jeu, qui serait périlleux même pour des acteurs de sane-froid et nleinement maîtres d'eux-mêmes, a dû causer plus d'une mort d'homme. M. le nrofesseur Léon Verhelst .1 d^nosf*. au mois nV novembre, devant les enquêteurs allemands, que des soldats, le 25 août au soir, étaient montés aux étapes de sa maison et, de là, avaient tiré dans la rue. Mer Ladeuze, recteur de 1'Universit4, a fait une déposition analogue en ce oui concerne la région de la ville où il habite. Enfin, le mardi soir encore, des fenêtres du local de la « Table-Ronde », des soldats ont tiré dans la direction de camarades qui sortaient d'un café situé sur la place Marguerite. A ces deux causes, les méprises et les comédies, il faut en ajouter une troisième, et non la moindre : l'ivrognerie et les ripailles. Le 25 août, à Wesemael, les hussards de la mort pillent à fond un magasin de liqueurs. Des soldats s'approprient deux ou trois bouieilles. On en voit qui mélangent dans un seau du vin, des liqueurs, de la bière, et absorbent ce monstrueux et redoutable composé. Dans la journée, complète- ment ivres, ils partent pour Louvain. Le soir, oeaucoup en reviennent malades, et un Polonais dont nous avons le nom et le numéro matricule dit alors : « Les cochons! ils ont tiré les uns sur les autres! Louvain brûle. » Dans une école primaire, qui sera d'ailleurs incendiée, sont cantonnés le mardi soir 53 hommes. Tous sont ivres. La plupart sont déjà installés dans les classes. Un groupe de cinq h six rôde aux environs des latrines; tout à coup, l'un d'entre eux se retourne et décharge son fusil dans la direction de deux sous- officiers qui causaient à quelque distance : un des deux sous-officiers tombe mort. Au bruit de la détonation, les soldats qui sont dans les classes en sortent précipitamment : à leur tour, ils abattent quatre hommes du groupe d'où le coup est parti. Bref, il est établi que dès le 25 août au soir, à sept ou huit endroits différents, les Allemands, par erreur, par simulation, ou sous l'empire de la boisson, ont tiré les uns sur les autres, se sont entretués. Enfin, le pillage une fois commencé, les soldats ne dessoûlent plus, et des incidents analogues se re- produisent les jours suivants. On a lu plus haut le témoignage de l'abbé Destrycker qui, prisonnier à la gare, assiste le vendredi, 28 août, à une fusillade qui fait trois victimes et arrache cet aveu à un sous- officier : Die dummen Kerle haben ivieder auf einander geschossen (Les imbéciles ont de nouveau tiré les uns sur les autres). La hâte avec laquelle les Allemands ont fait disparaître les cadavres des leurs, est un fait accablant pour eux. Tous les bourgeois — prisonniers ou fuyards — qui ont été en rue dans la nuit du 25 au 26 août, et surtout pendant la journée du 26 août, ont vu partout des cadavres de civils et des cadavres de chevaux, rarement, s'ils en ont vu, des cadavres de soldats. Pourquoi cette hâte à faire disparaître les corps ? Pourquoi n'en avoir pas conservé quelques-uns aux fins d'autopsie? L'extraction du projectile, la nature de la blessure auraient établi, clair comme le jour, l'origine du coup qui avait donné la mort. Si le coup était d'ori- gine belge, le crime de Louvain était prouvé et l'Allemagne obtenait pour le sac de cette ville, les circons- tances atténuantes. Au lieu de cela, qu'a-t-on fait? On a caché précipitamment les cadavres. Bien mieux, après le Ier septembre, quelques incendies ayant encore été allumés, von Manteuffel, le commandant de place, les justifia parfois en déclarant que les civils avaient de nouveau fait le coup de feu et blessé ou tué des sol- dats : les autorités communales réclamèrent alors des constatations médicales, on les leur refusa obstiné- ment. Innocents, les Allemands avaient cependant tout intérêt à faire procéder aux expertises; coupables de s'être entretués, crime dont nous les accusons formellement, ils devaient fuir, comme ils l'ont fait, les révé- lations et le contrôle de la science médicale. Par leur attitude, ils ont prononcé leur propre condamnation. Les civils ont tiré. Impossible, par conséquent, de faire passer les soldats tombés à Louvain pour les victimes de balles bourgeoises. Ainsi disparaît le principal argument à l'appui de la thèse allemande : les civils ont tiré. Du reste, il a fallu longtemps aux Allemands pour se mettre d'accord sur les causes pour lesquelles ils avaient sacrifié la ville. Pendant la nuit du 25 au 26 août, dans la chaleur des événements, quand les prisonniers civils, concentrés sur la Grand'Place, interrogeaient séparément les soldats chargés de la surveillance, ils obtenaient les réponses les plus contradictoires : l'un accusait tel habitant déterminé d'avoir tiré, un autre disait qu'un coiffeur avait coupé le cou à un officier, un troisième alléguait une histoire plus sotte encore. Nous-mêmes, après le 25 août, quand nous demandions à un soldat pourquoi on martyrisait la population, il nous disait invariablement : « Les civils ont tiré ». Nous répliquions alors : « Vous personnellement, en avez-vous vu un, un seul qui tirait ? » Toujours, il devait répondre : « non » ou ne rien répondre du tout. Dans le Nieuwe Rotterdamsche Courant, feuille qui n'est certaine- ment pas germanophobe, sous la date du g septembre 1914, un témoin oculaire rapporte ceci : « Je vis des soldats qui tiraient sur une maison en feu. Avaient-ils vu quelqu'un qui cherchait à fuir les flammes ?... Je passai devant un magasin ouvert. Un soldat me prit la manche et me montra à terre le cadavre du commerçant. Je lui demandai : « Est-ce vous qui l'avez tué? » <( Non, me dit-il, mais j'étais là! Nous apprendrons à ces cochons qu'on ne tire pas sur les Allemands ». « Mais, comment savez-vous que cet homme a tiré sur vous ? » Le soldat me répondit par une nouvelle question : « Comment pourrions-nous nous enquérir de tout cela dans l'obscurité? » — Voilà donc des hommes qui vivent au milieu des évé- nements et qui ignorent la grande, l'unique cause alléguée par les journaux d'outre-Rhin et par le Livre Blanc : la révolte de la population. La nouvelle leur arrivera d'Allemagne un peu plus tard. On leur a dit que les civils avaient tiré, et ils le croient, mais ils n'ont rien vu. Malgré cela, ils s'abandonnent à la fureur des représailles. Pendant les batailles livrées autour de Louvain, les 11, 12, 13 et 14 septembre, quand la ville se remplissait de blessés allemands, on leur demandait, à l'arrivée dans les ambulances, où et comment ils avaient été blessés. Bien des fois ils répondaient : « Blessé par un civil. » On aurait dit qu'en principe, pour eux, le soldat allemand est invulnérable aux coups du soldat ennemi et ne tombe que sous les balles — i5i — d'un « civil » ou d'un « franc-tireur ». Or, ils arrivaient de la ligne de feu, ramassés et amenés par leurs propres brancardiers. Le mensonge était évident. Les malheureux, encore dans le coma ou déjà penchés au bord du cercueil, continuaient à répéter une leçon apprise par cœur dans le rang. Tout cela rend terriblement suspects les témoignages de soldats récoltés par le Livre Blanc. Parmi ces témoignages il en est d'ailleurs qui émanent de personnages dont la moralité est trop douteuse pour qu'il vaille la peine de relever leurs attestations même jurées. Ainsi, nous répudions a priori et sans examen le témoignage du nommé Berghausen, Georges, domicilié à Cologne, Gereonshof. Cet aventurier, qui fut médecin ordinaire du prince d'Albanie, est aujourd'hui, dans l'armée alle- mande, médecin en titre, major d'artillerie à ses heures, aumônier à l'occasion. Il s'est fait décorer de la croix 'de fer de 2e classe pour avoir, à la tête d'une troupe, enlevé une mitrailleuse à un parti de soldats belges : ce médecin est un belligérant, il endosse tour à tour l'uniforme du chirurgien et celui de l'officier combattant. — Une messe de campagne ayant été célébrée à Louvain, un dominicain, raconte la Koel- nische Volkszeitung, et nous ne cautionnons pas son récit, y prononce une allocution française et Berg- hausen lui succède en chaire pour traduire ses paroles en allemand (i). Notez qu'il n'est pas catholique, bien qu'il se fasse présenter, comme tel, à des prélats, à des évêques : car dans sa déposition actée au Livre Blanc, il se déclare altkatholisch (vieux catholique). Ce n'est pas tout. Délégué aux établissements hospitaliers de Louvain, il élargit les sujets allemands, condamnés de droit commun, qu'abrite la prison centrale, et bras-dessus, bras-dessous, dans les termes de la meilleure amitié, il part avec eux le long des boulevards. Compagnonnage digne de lui. Le 25 août, en effet, il assassine, par intermédiaire, le vieux David-Fischbach, âgé de 82 ans, brave et digne homme qui était entouré du respect unanime et qui faisait d'une immense fortune le plus noble et le plus charitable emploi. Voici l'affaire en deux mots, telle que la rapporte le Livre Blanc. Place de Brabant, devant la statue de Juste Lipse, gît le cadavre d'un soldat allemand. Berghausen passe et des troupiers lui disent que le coup- est parti de la maison du coin. Sans autre information, Berghausen se précipite sur la maison, force la porte d'entrée, traîne à la rue le vieux David, son fils et son domestique. Dans l'obscurité il perd de vue ses victimes et va plus loin s'occuper d'autre chose. Quand il repasse quelques minutes plus tard, il voit au pied de la statue le cadavre du vieux David. <( Je supposai, ajoute le Ponce-Pilate, en terminant sa déposition, que les camarades du soldat tué avaient sans délai infligé sa peine au propriétaire de la maison d'où ils avaient vu partir les coups de feu » (p. 260) (2). — M. David avait donné à l'ambulance St-Thomas, une superbe limousine, Dion Bouton, 40 chevaux, toute neuve. Il avait dit à Mgr Deploige, directeur de l'ambulance : <( Ma voiture n'a pas été réquisitionnée par l'armée. Je veux faire quelque chose pour la patrie. Je vous la donne ». Berghausen convoitait la magnifique automobile. Comme l'ambulance avait une garantie écrite et signée par le com- mandant de place von Manteuffel, stipulant que l'automobile devait rester au service de l'hôpital et ne pouvait être réquisitionnée par l'armée, il semblait difficile de lui ravir sa propriété. Berghausen y réussit. Cauteleusement, en invoquant la confraternité médicale, il vint, le 4 septembre, demander aux chirurgiens Tits et Noyons de lui prêter la machine pour aller visiter des blessés aux environs de la ville. A cause du motif invoqué, le prêt ne lui fut pas refusé. Jamais on ne revit l'automobile à l'hôpital. On la lui réclama cependant : « J'ai rencontré, répondit-il. un officier supérieur. La machine était de son coût. J'ai dû la lui céder. Force majeure ». Le directeur de l'hôpital, qui est un homme tenace et ne s'en laisse pas imposer, formula ailleurs une nouvelle réclamation. Sa plainte eut une suite, et, interrogé, Bergfhausen répondit aux enquêteurs : « L'automobile appartenait à David. Celui-ci est mort, et j'ai trouvé sur lui un testament par lequel il la léguait à l'ambulance St-Thomas. Mais il n'avait pas le droit de disposer de son bien : fusillé comme traître envers l'Allemagne, ses propriétés reviennent à l'empire allemand. Je suis légitime possesseur de l'automobile ». Inutile de faire remarouer que cette réponse est en pleine contradiction avec la précédente. Elle est aussi en contradiction avec les faits. Le corps de M. David a été relevé plusieurs jours après l'assassinat : dans les poches des vêtements, il n'v avait aucun papier qui ressemblât à un testament. Du reste, l'automobile avait été donnée et non pas prêtée à l'ambulance. D'évidence, Berghausen maltraite la vérité. Cet homme ment, vole et tue : voila son portrait en trois mots (3). Aioutez à cela nue. conscient de la noirceur de son âme, il mendie partout des cerfificats de moralité et... réussit à en obtenir : les journaux allemands ont publié les termes d'un brevet d'honnêteté et de générosité ou'il s'était fait remettre oar un notable de Louvain. C'est un condottiere... de la petite espèce. Les Barbiano. les Braccio, les Sforza étaient de francs bandits et s'en Horifiaient. Ils étaient connus et honorés comme tels. Lui prend les dehors d'un honnête homme et les manières d'un garçon bien élevé : il n'a pas le courage de sa nrofession. Nous ne nous occupons pas de la déposition de ce témoin-là. Telemann, Paul, lieutenant de réserve, conseiller au ministère des travaux publics à Berlin, a fait, lui, un témoio-nafre qu'il faut relever. Il n'accuse personne, mais ne désavoue rien. Avant réfléchi sur les droits de la vérité et sur les exigences de la solidarité, il les a trouvés en conflit irréductible. Ne voulant ni se charger la conscience d'un parjure, ni se séparer des frères d'armes, il arrange son témoignage de manière fi) Les deux faits sont mcontés dans la Koelnische Volkszeitung, édition hebdomadaire des 17 et 23 septembre 10,14- (2) T. a servante de M. David a déclaré que ses maîtres étaient couchés et qu'on est venu les tirer de leur lit pour les fusiller. C'est, en effet, pendant la nuit que cet assassinat a été commis. (3) Voir Les Allemands à Louvain, par Hervé de Gruben, Paris, Pion et Nourrit. — i5a — h ne rien affirmer, à ne rien nier. Il parle à côté des faits, il ne projette aucune lumière sur la question. Sa déposition, nulle quant au fond, est là pour faire nombre avec les autres. Nous la donnons au complet, sauf un passage où il expose son rôle personnel pour préserver de l'incendie l'hôpital militaire : <( Le 25 août, au soir, avec deux médecins d'état-major, je m'étais installé pour souper au Café Royal — café aujourd'hui incendié ■ — sur le marché. Soudain — d'après mes souvenirs, c'était vers 8 heures du soir (1), / — j'entendis au dehors, sur le marché, une vive fusillade qui augmentait sans cesse. La patronne, une Alle-( mande, éteignit aussitôt la lumière électrique et, avec les autres clients du café qui essentiellement étaient' des officiers et des sous-officiers de notre armée, nous nous rendîmes dans une chambre située derrière, j pour ne pas être atteints de la rue. Comme nous étions, pour la plupart, sans armes, nous nous décidâmes à' attendre là provisoirement. 1 » Après un petit temps, la fusillade faiblit et nous nous empressâmes de sortir. Dans la rue, nous' tombâmes sur des soldats allemands qui, rasant les murailles, avançaient vers les maisons d'où les habitants I tiraient. A ce moment-là, il n'y avait plus, d'après mon souvenir, que des coups de feu isolés. Nous allâmes' ensuite à l'hôtel de ville, où je rencontrai un groupe d'hommes de ma caserne qui étaient venus à l'hôtel de ville pour me chercher. Avec eux, je me rendis aussitôt à la caserne d'infanterie. Pendant ce trajet, nous entendîmes encore des coups de feu isolés tirés derrière nous. » Devant la caserne d'infanterie se tenaient les hommes de garde et beaucoup de soldats qui y logeaient, avec leurs fusils chargés. Ils me montrèrent plusieurs maisons de la rue de Tirlemont des- quelles les habitants auraient tiré sur eux. Leur intention était d'y mettre le feu. Pour épargner l'hôpital militaire qui est vis-à-vis de la caserne et la caserne elle-même qui abritait des blessés, je leur défendis sévè- rement. Peu de temps après, nous entendîmes dans la direction de la place du Peuple une fusillade qui dura un certain temps et nous vîmes, dans la même direction, s'allumer plusieurs maisons. Alors arrivèrent des autos qui amenaient des blessés allemands à l'hôpital militaire : d'après mes souvenirs, il y en eut en tout environ 30 à 35 Pendant la nuit entière, on continua d'entendre, avec des interruptions, l'éclatement de coups de fusil isolés et l'explosion de munitions dans les maisons en feu. Aux premières heures du jour, une section de pionniers s'avançait par la rue de Tirlemont; elle m'affirma que des maisons de cette rue on venait de tirer sur elle : les hommes voulaient également mettre le feu à ces maisons. Je le leur défendis pour les motifs que j'ai donnés tantôt » (pp. 252-253). A quoi se ramènent les constatations personnelles de ce témoin ? Prudemment caché, il a entendu la première fusillade, celle qui a déclanché tout le mouvement; ensuite, remontant la rue de Tirlemont, il a entendu tirer derrière lui; plus tard, il a entendu une nouvelle fusillade dans la direction de la place du Peuple; pendant la nuit, il a entendu des coups de feu et des explosions; enfin, à trois reprises, il a vu des soldats et leur a entendu affirmer que des habitations on tirait sur eux. Bref, comme tout le monde, comme nous tous quand nous étions dans nos caves, le témoin a entendu des coups de feu. Mais lui-même, per- sonnellement, bien qu'il ait circulé dans les rues, n'a jamais vu un seul civil qui tirât. Du moins, s'il a vu cela, il omet de le déclarer. Même omission dans les témoignages de von Manteuffel, commandant de place (pp. 247-249); de Ibach, lieutenant de la landwehr (p. 200); de Grebin, conseiller juridique militaire (p. 251). Ils ont entendu des coups de feu : la nature de la détonation, la direction du son, les propos des soldats leur ont fait con- jecturer qu'il s'agissait de coups tirés par les gens dp la ville. Aucun d'eux ne prend la responsabilité de déclarer qu'il a vu lui-même, de ses propres veux, des civils qui tiraient. L'étrange chose! Voilà des officiers qui sont dans les cafés, qui circulent dans les rues, qui vivent au milieu d'une population en révolte, et qui ne voient rien ! J'ai le droit de dire qu'ils n'ont rien vu, parce qu'il n'v avait rien à voir. La révolte est une fable inventée après coup. A côté de ces témoignages qui, par le néant de leur contenu, sont une reconnaissance implicite de la fausseté des accusations portées contre la population civile; il en est d'autres qui sont des parjures éhontés. Dans cette catégorie, il faut ranger la déposition de Grùner, Richard, marchand, à Hambourg. Dans un faux témoignage, qui n'occune pas moins de cinq paees in-40 du Livre Blanc (pp. 301-305), Grùner déclare avoir vu fusiller sur la place de la Station, à Louvain, pendant la nuit du 25 au 26 août 1914, 80 à 100 personnes. C'est un mensonge. Sur la place de la Station, à Louvain, on a fusillé au moins pendant quatre jours d'affilée. Le vendredi 28 août, au matin, on v fusillait encore. Au total, pour ces quatre jours, il y a eu 50 victimes : tel est le nombre exact de cadavres retrouvés sur cette place et dans les environs. Le même homme déclare, à deux reprises, avoir vu fusiller sur la place de la Station, pendant la nuit du 25 au 26 août IQ14, 10 à 15 ecclésiastiques. Nouveau mensonge! Des 13 prêtres et religieux massacrés dans le diocèce de Malines, 10 l'ont été en dehors du territoire de la ville de Louvain et 3 seu- lement l'ont été à Louvain, sur la place de la Station. Des 3 ecclésiastiques, massacrés à Louvain sur la place de la Station, 2 seulement — frère Allard et frère Sébastien, des Joséphites — furent fusillés dans la nuit du 25 au 26 août, et le troisième — le curé Van Bladel — le fut le vendredi 28 août, au matin. Quand (1) Heure allemande, en avance de 60 minute». — i53 — donc Grtiner affirme sous serment avoir vu fusiller 10 à 15 ecclésiastiques, dans la nuit du 25 au 26 août, sur la place de la Station, il se parjure purement et simplement (1). Parjures également le soldat Dreher, Robert, de la 11e compagnie du régiment n° 48, et l'officier- payeur Rudolph, Otto, qui déclarent sous serment avoir vu fusiller, dans les mêmes circonstances, de temps et de lieu que celles indiquées par Griiner, l'un, plus de 100 civils et 5 ecclésiastiques, l'autre, 6 à 7 ecclésiastiques (p. 273 et p. 317). Une enquête qui accueille les parjures, pourvu qu'ils soient favorables à l'accusation, ne pouvait faire moins que de supprimer les témoignages gênants. Qu'a-t-on fait des dépositions des témoins belges? Car il y a eu des témoins belges entendus. En même temps qu'ils interrogeaient leur monde, les enquê- teurs allemands, tunique militaire sur le dos, épée au côté, revolver au ceinturon, ont interrogé à Lou- vain, après les tragiques événements, quelques douzaines de personnes, des prêtres, des professeurs, des magistrats, tout ce qu'il y a d'honorable dans la cité : le recteur de l'Université, l'échevin Schmit, le Dr Tits, le chanoine Thiéry, le Dr Boine, les professeurs Lemaire et Verhelst, le curé de St-Joseph, Joseph Delmot, appariteur de l'Université, etc. Quel est celui de ces témoins, nous le demandons, qui ait re- connu avoir lui-même tiré ou avoir vu ses compatriotes tirer sur les Allemands? S'il y en a un, un seul, qu'on le nomme, et à l'instant même nous déposerons la plume et déchirerons cet écrit. Bien mieux, quel- ques-uns d'entre eux ont fait des dépositions accablantes pour les Allemands. Que sont-elles devenues? La loyauté la plus élémentaire exigeait qu'on les publiât à côté des témoignages allemands. Une enquête de laquelle on élague les témoignages défavorables à la conclusion qu'on prétend en déduire se nomme en lan- gage judiciaire une escroquerie de la vérité. Dès qu'on veut mettre le public en état de se faire par lui- même, sur production des pièces, une conviction éclairée, il faut publier tous les documents intégralement. Agir autrement, c'est non pas éclairer, mais tromper le public. Le Livre Blanc est fait pour égarer l'opinion. Car, de toutes les dépositions belges, il n'en cite qu'une seule, inopérante, celle du Dr A. Le- maire : <( Le 25 août, après-midi, étaient en quartier chez moi des soldats de la landwehr. Leur conduite fut calme et convenable. Plus tard, à la suite de l'alarme, ils sont partis. Le soir, tandis que je sou- pais avec ma famille, j'entendis sur la rue une vive fusillade. Nous nous réfugiâmes dans la cave. Entre 11 et 12 heures (heure belge), je me rendis au jardin. Là, on tira sur moi plusieurs fois. Qui tirait? Je ne pus m'en rendre compte par suite de l'obscurité. Auparavant, j'entendis un Allemand crier : « Lou- vain brûle! » De mon jardin, j'aperçus diverses lueurs d'incendie. Je n'ai pas constaté que des civils aient tiré dans des maisons ou sur la rue. Presque toutes les maisons des médecins et professeurs de la rue Léo- pold ont été incendiées. « Le lendemain, pour mettre ma famille en sécurité, je la fis conduire à l'hôpital par deux soldats. Le jeudi, le bombardement et la destruction de la ville avant été annoncés, je partis avec ma famille pour la campagne. A mon retour, ma maison avait été incendiée. » Ce témoignage est cité à raison du brevet de bonne conduite qu'il donne aux soldats en général et du brevet d'humanité qu'il donne à deux soldats en particulier. Si cela peut faire plaisir aux rédacteurs du Livre Blanc, nous leur fournirons une honorable liste d'actes d'humanité accomplis par les soldats alle- mands pendant les mauvais jours à Louvain. Seulement... il y avait un tarif. Le barème variait de cent sous à cinquante louis. Pour en finir avec cette colossale mystification que par antiphrase sans doute les Allemands nom- ment le Livre Blanc, il faut signaler une dernière perfidie. La moitié des dépositions qui y sont enre- gistrées fixe à 8 heures le commencement de la première fusillade; l'autre moitié, au contraire, indique 0 heures. Le rédacteur du Livre Blanc, dans l'exposé d'ensemble, transforme ces hésitations contradictoires en une certitude unanime qui fixe à 8 heures le début des opérations : « Vers 8 heures du soir (heure alle- mande), des fusées s'élevaient au-dessus de la ville... et au même moment les habitants de Louvain com- mentaient à ouvrir le feu sur les troupes allemandes » (r>. 234). Huit heures allemandes, c'est sept heures belges, ïl est faux que la première fusillade ait éclaté à 7 heures : elle a eu lieu à 8 heures précises. Les rens de Louvain l'affirment avec une concordance et une persistance qui ne laissent place à aucun démenti. Pourquoi ce maquillage de la vérité? Pourquoi avancer d'une heure les affaires de Louvain? C'est très simole. A 8 heures du soir, la circulation des civils est interdite et n'est tolérée sous aucun prétexte. Tout bourgeois qui se trouve en rue est appréhendé et colloque. D'ailleurs, personne n'a garde de s'y ris- nuer. Donc, à 8 heures du soir, il est impossible de se révolter : les civils n'ont pas le moyen de se concerter, ni de se rassembler. Aussi, pour rendre vraisemblable Phvpothèse de la révolte, faut-il avancer d'une heure le commencement des onérations et le reporter à un moment où la circulation reste permise et où les bourgeois ont encore la possibilité de se réunir et de s'attrouper. C'est ce qu'a compris le rédacteur du Livre Blanc, (1) Voici les lieux où ont été massacrés les autres ecclésiastiques : Père Dupierreux, S. J Tervueren 27 août Père Vincent Sombroeck Bueken 26 août Frère Candide Kessel-Loo 28 août Goris, curé Hougaerde 18 août Père Maximin Van Holm Kessel-Loo 28 août Carette, professeur Aerschot 10. août Lombaerts, curé Kessel-Loo 26 août Dergent, curé Aerschot 4 septembre De Clerck, curé Campenhout 27 août Wouters, curé Pont-Brûlé 26 août — i54 — et c'est le mobile qui l'a déterminé à considérer comme non existants tous les témoignages qui fixaient à 9 heures (heure allemande) la fusillade initiale (i). En résumé, le Livre Blanc est marqué de trois tares indélébiles : 11 contient des témoignages de gens indignes, des témoignages sans force probante, des témoi- gnages de parjures, tous cotés à la même valeur et servant au même degré à l'étai des conclusions finales; 11 tronque l'enquête en en supprimant tous les témoignages belges; Il substitue à des témoignages contradictoires des affirmations gratuitement précises. Le Livre Blanc est ce qu'on devait attendre d'un coupable qui se juge. Judicieusement critiqué et impartialement examiné, il fait éclater l'imposture des accusations diri- gées contre la population de Louvain, il démontre que les civils n'ont pas tiré. Quand les passions seront calmées, l'histoire le stigmatisera. Le clergé à tiré. Rien de grotesque comme cette affirmation : « Une série d'ecclésiastiques ont abusé de leur influence sur la population civile et ont déterminé celle-ci à accueillir les francs-tireurs. Il est même établi qu'une partie d'entre eux a directement pris part au combat » (p. 236). Clerici arma ferentes excommunie entut : que les clercs portant les armes soient excommuniés. Ce n'est pas nous qui transgressons ce canon de l'Eglise, ce ne sont pas nos aumôniers qui parcourent le champ de bataille armés de l'épée de combat et du revolver d'ordonnance : les nôtres ont sur le dos la livrée du prêtre et dans les mains le crucifix; ils bénissent et absolvent, ils ne combattent pas. Le Livre Blanc renverse les rôles quand il porte contre nos prêtres et religieux sa solennelle accusation. Mais il joue de malheur quand il s'agit de la prouver. Parmi les neuf témoins numérotés 1, 19, 34, 37, 38, 41, 42, 45 et 48 qu'il cite à comparaître, nous rencon- trons d'abord le trio que nous avons pris en flagrant délit de parjure : Dreher, Griiner, Rudolph (noa 19, 38 et 45). Quant aux six autres, ils n'ont rien vu par eux-mêmes, mais ils ont appris par ouï-dire que des ecclésiastiques étaient vaguement coupables d'avoir tiré sur les troupes ou d'avoir attenté d'une autre ma- nière à la sécurité des armées allemandes; ce sont le général von Boehn (2), le capitaine Josephson (3), le soldat Westerkamp (4), le réserviste Damman (5), le capitaine Hermansen (6), le sous-lieutenant Brandt (7) (nos 1, 34. 37, 4i, 42 et 48). Nous donnons en note la partie de leur témoignage qui concerne les prêtres et religieux. Qu'on la lise attentivement. Pas un d'entre eux n'affirme ce que le Livre Blanc leur fait dire. Pas un d'entre eux n'af- firme avoir vu, de ses yeux, un ecclésiastique faisant le coup de feu ou commettant quelque acte répréhen- sible. Pas un d'entre eux ne parle de science personnelle. Tous rapportent, au sujet des prêtres qu'ils ont vu fusiller ou dont ils ont entendu raconter l'exécution, des propos dont ils n'ont pas contrôlé l'exactitude et qu'ils se gardent bien de cautionner. De preuve directe contre les ecclésiastiques, il n'y en a pas. C'est sur ces racontars dont personne ne prend la responsabilité que le Livre Blanc formule à l'endroit du clergé un jugement qu'on qualifierait d'inique, si l'épithète de <( grotesque » dont nous l'avons stigmatisée ne con- venait infiniment mieux à une accusation à la fois si précise et si visiblement dénuée de fondement. Les rédacteurs du Livre Blanc ont été très embarrassés. L'empereur, dans son télégramme au pré- sident Wilson n'avait pas craint de parler « des cruautés commises même par des femmes, des enfants et des prêtres belges » (die selbst von Frauen, Kindern und Geistlichen begangenen Grausamkeiten). Ils (1) On rencontre une perfidie analogue dans les cartes' des opérations militaires publiées en Allemagne. Walter Paasche, dans sa carte indique le 24 août comme date d'occupation de Louvain. Il lui a paru invraisemblable qu'une ville occupée dès le 19 août par la plus puissante des armées allemandes, se soit révoltée le 25, c'est-à-dire sept jours plus tard. Il a donc reculé la date d'occupation de cinq jours de manière à la rapprocher de la date de la prétendue révolte. Ravenstein fait la même chose et signale que l'occupation de Louvain a eu lieu après un combat qui a duré du 22 au 25 août. (2) « Le vice-maréchal des logis Predoehl a rapporté que 12 ecclésiastiques avaient fait feu sur une patrouille. Arrêtés, ils fuient traduits devant un tribunal et acquittés, parce qu'il fut impossible d'établir qui avait tiré » (p. 242). (3) « Parmi les prisonniers se trouvait un certain nombre d'ecclésiastiques belges, dont l'un me surprit, parce que à chaque halte il allait de l'un à l'autre prisonnier et leur parlait avec excitation : j'en fis l'objet d'une surveillance spéciale... Le lenderrain matin j'appris de divers côtés, entre autres par le capitaine Ernst, que cet ecclésiastique avait tiré, sans l'atteindre, sur un homme de la garde, et avait été fusillé sur la place de la Station, probablement sur un ordre du commandant de place » (p. 291). (4) « On amena aussi deux ecclésiastiques dont l'un déclara qu'il était Allemand et n'avait pas tiré. Mais, dans la suite, j'appris qu'on avait trouvé sur lui un pistolet Browning » (p. 300). N. B. — L'ecclésiastique en question est le frère Sébastien des Joséphites. Dans le monde, il se nommait Stratmann André, de nationalité allemande, né à Langendreer (Prusse Rhénane), le 30 novembre 1871. (5) « Pour autant que je me souviens, il y avait parmi les fusillés deux ecclésiastiques; il se peut qu'il y en ait eu davantage » (p. 310). (6) « Le Ier septembre, à Lombeek-Ste-Catherine, à l'ouest de Bruxelles, j'ai fait la connaissance d'un ecclésiastique que je félicitai sur la conduite paisible de ses habitants vis-à-vis de ma compagnie. H me dit : « Depuis des semaines, je leur prêche le calme, et ma paroisse m'écoute. Je leur ai dit que s'ils voulaient se battre, ils n'avaient qu'à aller à Anvers, prendre un unifoTme et un fusil. L'ennemi ne fait que son devoir, et ses soldats sont les fils du même père céleste ». Je lui répliquai que si tous ses confrères avaient fait de même, bien des choses désagréables auraient été épargnées aux Belges et à nous » (p. 311). (7) « Au même moment, deux ecclésiastiques furent aussi fusillés. Quand je les vis, ils étaient déjà arrêtés. Questionnant un officier d'ordonnance du général commandant, j'appris qu'ils avaient distribué des munitions aux civils » (p. 324). ( N. B. — Le témoin Brandt contredit le témoin Westerkamp qui dit que sur l'un dos deux ecclésiastiques on a trouvé un pistolet Browning. 100 étaient moralement tenus de reprendre à leur compte une calomnie venue de si haut; aussi l'ont-ils rééditée sous une forme à peine atténuée. Ils ont préféré encourir le ridicule d'une accusation sans preuve plutôt que d'opposer un démenti à la parole impériale. Soupçonnant une manœuvre du protestantisme prussien en vue de provoquer en Allemagne même un mouvement violent contre le catholicisme, des polémistes catholiques, agissant sous leur responsabilité, tenus par conséquent à moins de réserve que les écrivains officiels, ont contesté avec la plus vive énergie les accusations gratuitement mises à la charge du clergé belge. Contre elles se sont inscrits en faux Mgr Ber- tram, évêque de Hildesheim, prince-évêque de Breslau, dans son mandement du 2 septembre 1914; le jésuite Bernhard Duhr, dans un livre L'esprit de mensonge dans la guerre des peuples (Der Liigengeist im Voelker- krieg); le directeur de la Gazette populaire de Cologne, Julius Bachem, dans un article des Siiddeutsche Monatshefte, avril 1 9 1 5 . Sous le titre le Problème religieux en Belgique, ce dernier écrit : « Sans doute, le clergé belge, dans son ensemble, était et est encore animé de sentiments peu bienveillants vis-à-vis de l'Allemagne et des Allemands. A ce point de vue, il ne diffère pas de la masse du peuple au milieu duquel il vit. Mais, de là à des actes d'hostilité à main armée ou même à des actes de cruauté, il y a loin. Pour y croire, nous manquons encore aujourd'hui de preuves décisives, telles que seule une enquête officielle entourée de toutes les garanties d'authenticité peut les fournir... Spécialement en ce qui concerne le clergé catholique belge, pour autant qu'on en peut juger dis à présent, elles sont gratuites et insoutenables, la plupart des histoires terrifiantes rapportées et répandues sur son compte et qui reposent sur des racontars volant de bouche en bouche, sur des lettres venues du front, sur des assertions occasionnelles de reporters de journaux » (pp. 33-34). En lisant ces démentis, on n'a qu'un regret, c'est de constater que trop souvent ils s'inspirent non du noble et pur souci de la vérité, mais de mobiles obliques et de fins utilitaires comme l'avenir religieux de l'Allemagne et la paix confessionnelle de l'empire. Ces messieurs vont au devant des accusations portées contre le clergé catholique belge, sans doute parce qu'ils en ont examiné et reconnu la fausseté, mais sur- tout parce que le luthéranisme prussien en prendrait volontiers prétexte pour ouvrir l'ère d'un nouveau Kul- turkampf. Ce sentiment perce à travers leurs écrits et affaiblit singulièrement la vigueur des dénégations qui devraient paraître d'autant plus sincères qu'elles ont à contredire une parole plus respectée. Ces dénégations seraient suspectes à tout le monde, si l'Allemand qui connaît le mieux les affaires de Louvain n'avait pris soin de les confirmer par l'autorité de son témoignage. Nous voulons parler de von Manteuffel, le commandant de place de Louvain, qui, pour avoir exécuté contre nous les ordres sangui- naires du général von Boehn, connaît à fond les raisons pour lesquelles on a voulu arracher la ville de ses fondations. A Adolf Zimmermann, rédacteur de la Taegliche Rundschau, venu à Louvain pour l'inter- viewer sur le.rôle du clergé, cet officier, de confession évangélique, a fait cette déclaration, qui ne laisse place à aucune équivoque : Je n'ai aucune raison de croire que des ecclésiastiques aient, soit comme meneurs intellectuels, soit de quelque autre façon, participé au crime d'ici (Ich habe keinerlei Ankaltspunkte fur die Annahme, dass Geistliche als intell ektuelle Urheber oder sonstwie an dem hiesigen Verbrechen beteiligt sind) (1). Il est donc certain, en vertu d'un témoignage devant lequel tout témoignage contraire est caduc, fût-il de l'empereur ou du chancelier, que le clergé, pas plus que les civils, n'a tiré sur les soldats. Si l'Allemagne avait un reste de pudeur, elle aurait honte de continuer à reproduire des accusations que ré- prouve celui de ses nationaux qui est le mieux informé sur la cause et le but du sac de Louvain. Nous en avons fini avec le roman que les Allemands ont inventé pour expliquer, à leur avantage, le sac de Louvain. Nous l'avons examiné consciencieusement et en toute sincérité : d'un bout à l'autre, nous l'avons trouvé du plus mauvais aloi, il ne contient pas un mot de vérité. Ce qui le réfute péremptoirement, c'est le fait que le sac de Louvain, loin d'avoir été brusquement décrété le 25 août au soir, en réponse à une prétendue révolte qui éclatait au même moment, a été prémédité plusieurs jours d'avance. La prémé- ditation est établie, autant que chose humaine peut l'être, par les faits, par d'irrécusables témoignages, par des preuves écrites. C'est ce qu'il nous reste à faire voir. (1) Taegliche Rundschau, n° 503, 19 octobre 1914. Unterhaltungsbeilage n° 245. CHAPITRE VII. La préméditation Il est inutile de chercher aux faits de Louvain une explication particulière. Ici, comme ailleurs, les Allemands ont appliqué le principe bismarckien, qui est de terroriser les populations civiles. Ce principe de force est. du reste, cyniquement avoué et exposé tout le long dans les publications militaires allemandes antérieures à la guerre. Il fait partie de l'esprit national. C'est d'un principe de force encore que se pré- valait von Bethmann-Hollweg quand il expliquait, le 4 août 1914, au Reichstag, pourquoi l'Allemagne avait raison d'envahir notre pays. L'Allemagne ne s'est défendue de professer ces principes de force qu'au lendemain de la violation de notre territoire, quand elle s'est aperçue qu'ils soulevaient la réprobation unanime de l'univers civilisé et qu'on n'admettait pas qu'ils remplaçassent, dans le gouvernement du monde, les principes de justice. Alors, elle s'est avisée de confisquer la justice à son profit : pour légitimer d'avance les destructions de villes et les masascres d'habitants qu'elle préméditait secrètement, elle a inventé les francs-tireurs belges et les cruautés belges; puis, elle a expliqué que nous avions vendu notre neutralité. Mais les faits parlent un langage plus énergique que les écrivains et les auteurs allemands. Ils attestent avec évidence que la Belgique a été dévastée en vertu de méthodes et de règlements militaires dont l'appli- cation est indépendante de toute provocation de la population civile. Arrêtés devant Liège (1) par la division du général Léman, les Allemands brûlent deux villes, Visé et Hervé, et une vingtaine de villages : dans chaque commune, ils fusillent un bon nombre d'habitants; entrés "à Liège, ils incendient deux rues et procèdent à quelques exécutions : cinq ou six sujets espagnols ont été tués, pour lesquels ils ont dû payer aux familles une indemnité d'environ 150,000 majjk. Arrêtés devant Namur, ils sacrifient Andenne et, maîtres de Namur, ils mettent le feu à 150 maisons. Dans les Ardennes belges, ils doivent livrer bataille aux armées françaises et ils ravagent la délicieuse vallée de la Semois : le pays Gaumet est transformé en un désert de mort et d'épouvante; dans bien des bourgades, il reste comme survivants des enfants, des veuves et à peine deux ou trois hommes; c'est ici qu'ils ont conquis les palmes de la cruauté. Par les armées françaises encore, ils sont repoussés à Dinant et contenus pendant plusieurs jours • ils se livrent à Dinant et dans le canton de Florennes au plus épouvantable carnage des temps mo- dernes: à Dinant seul, sur 1,650 maisons, non loin de 1,300 sont détruites, et il y a plus de 600 civils assas- sinés. Arrêtés sur la Sambre par les avant-gardes françaises, ils incendient les villages, ils brûlent 100 maisons à Charleroi, tandis qu'à Tamines ils rassemblent la population mâle et adulte sur la place et la mitraillent sans pitié : 400 personnes y sont massacrées. A Mons, ils se heurtent aux Anglais et ils accom- plissent dans le Borinage une œuvre de destruction voulue et systématique. L'armée belge campe, quinze iours durant, sur le front Diest-Eghezée, elle bat en retraite sur Anvers en ne cessant de les harceler : ils brûlent et fusillent à Hoegaerde, à Wavre, à Ottignies, à Grimde, à Neerlinter, à Linsmeau, à Weert- St-Georges, à Schaffen, à Aerschot. Aerschot seul a 143 fusillés. Nos contingents leur infligent des pertes sérieuses dans le sud du Limbourg : après l'action, Lummen, Bilsen et Lanaeken seront en partie détruits. Anvers résiste pendant deux mois, le périmètre de la forteresse est mis à feu et «à sang : outre de nombreux villages, toute la ville de Termonde et la ville de Lierre, à concurrence de 700 à 800 maisons, sont anéanties. Pendant les batailles de septembre, le village de Boortmeerbeek. près de Malines, occupé par les Alle- mands, est repris par les Belges : quand les Allemands y rentrent, ils incendient 40 maisons et prévien- ' nent la population que tout retour offensif des Belges sera suivi de pareilles représailles. Trois fois repris, Boortmeerbeek est trois fois châtié de cette manière, Partout où l'armée est retardée dans sa marche par les Alliés, on massacre la population civile et on incendie les habitations. Pourquoi Louvain et la région avoisinante échapperaient-ils au sort commun? Les Belges, se repliant sur Anvers, ont fait le iq août leur dernière résistance aux portes de la ville : la ville doit donc être châtiée, et plus rien ne retiendra le bras vengeur lorsque, le 25 août, le grand passage de troupes étant presque terminé, la garnison d'Anvers y vien- dra surprendre l 'arrière-garde allemande. (1) La carte qui se trouve à la fin du volume éclaire la démonstration. — 157 — Le sac de Louvain n'a pas été brusquement décidé le 25 août. Il a été prémédité par les Allemands, et ainsi tombe d'elle-même la sotte légende d'une révolte de la population. Le bruit du sort réservé à la ville courait dans l'armée allemande plusieurs jours avant les incendies avec une persistance symptomatique. C'est à croire que les chefs responsables avaient dévoilé leurs intentions en vue de préparer l'opinion des soldats. Ce n'étaient pas seulement de simples soldats qui annonçaient la destruction de la ville. Les offi- ciers faisaient la même prédiction. Voici quelques faits dont nous garantissons l'authenticité. Après la guerre, nous publierons les noms de nos témoins. Déjà, le 20 août, le lendemain de l'entrée des Allemands à Louvain, un sous-officier disait à Tirlemont « que Louvain allait être détruit parce qu'on y avait coupé la gorge à sept soldats allemands ». Le 21 août, c'est à Tongres que les soldats allemands prédisaient l'incendie de Louvain. Le dimanche 23 août, quelques personnes se dirigeant vers Lubbeek par la chaussée de Louvain à Diest furent arrêtées au passage par trois officiers allemands conduisant des troupes vers Louvain : les officiers leur demandèrent si Louvain brûlait ! Le 24 août, un capitaine annonça positivement dans un presbytère de l'arrondissemnt de Louvain que la ville devait être incendiée (Loewen soll abgebrannt werden), parce qu'on y avait mutilé 40 soldats. Le 25 août, des troupes allemandes allaient de St-Trond à Louvain par Tirlemont. Chemin faisant, des soldats manifestent leurs sentiments à un Belge qu'on avait forcé à les accompagner. Ils parlent avec fureur de Louvain et de sa Pfaffenuniversitaet (université de prêtraille), de ses étudiants qui ont tiré sur les troupes allemandes. Ces soldats étaient bien préparés à trouver une ville en flammes au bout de l'étape. La colonne s'arrêta à Bautersem pour y passer la nuit. Là, une autre compagnie se préparait à partir dans la direction de Louvain. Avant le départ, elle fut haranguée par son chet en ces termes : « Nous allons à Louvain. Cela fait trois heures de marche. Là-bas vous pillerez pendant trois heures, puis vous mettrez le feu à la ville. » Cela se passait à la tombée de la nuit, au moment même où les troupes de Louvain com- mençaient leur sinistre besogne. Le même jour, 25 août, deux personnes sollicitent du commandant de Tirle- mont, von Veltheim, un passeport pour Louvain. Le commandant leur déconseille de se rendre dans cette ville, disant que « Louvain allait être incendié. On y avait tué des officiers allemands. » Nous possédons une lettre autographe du même von Veltheim. Elle est datée du 24 août et parle déjà « d'une révolte des ouvriers de Louvain ». Ceci prouve qu'à cette date, donc au moins 24 heures d'avance, cet officier connaissait le sort qui attendait la ville de Louvain. Nous aurions voulu reproduire cette lettre en fac-similé dans cette étude. Mais nous avons craint d'exposer le destinataire aux représailles allemandes. Nous la publierons dès que le territoire sera libéré. Louvain a été mis à sac en vertu d'un plan général qui est lui-même l'application d'un système, le système abominable des cruautés préventives : terroriser pour soumettre. On extermine, on pille, on brûle dans toutes les régions marquées par les combats, sans doute parce qu'il faut après l'action un exutoire aux instincts débridés du soldat allemand, mais surtout parce qu'il faut abattre la population civile pour assurer avec un minimum de troupes l'occupation du pays, parce qu'il faut réduire les habitants à un état de dénuement matériel et moral si extrême que le Roi et son gouvernement, émus de pitié, en arrivent à désirer une paix immédiate et à toutes conditions, comme le plus grand bienfait dont le peuple puisse leur être redevable. Frapper fort et de toutes manières pour aller vite, telle semble avoir été la méthode de l'Alle- magne pendant le premier mois de guerre, quand, emportée par une vague d'orgueil, entretenue dans ses folles espérances par la course de ses armées sur Paris, elle voyait déjà l'Europe tremblante à ses pieds et, elle-même purifiée de ses crimes contre la Belgique, par l'éclat d'une victoire qui ne pouvait tarder. A ce moment, les traités, la Convention de Genève, les accords de La Haye, tout cela ne comptait plus pour elle. Dès le temps de paix, elle s'était d'ailleurs accoutumée à ne les considérer que comme des « chiffons de papier » qu'emporterait la tempête dès l'ouverture des hostilités. Elle était décidée à les violer quand cela paraîtrait utile à la réussite de ses plans. L'aveu en fut fait au plus illustre de nos hommes d'Etat, à Auguste Beernaert, par les délégués allemands aux conférences de La Haye. Beernaert s'étonnait de la part effacée que ceux-ci prenaient aux délibérations : « Vous admettez et signez sans observation, leur disait-il, tout ce que l'on propose. Vous prenez rarement la parole au cours des débats. Nul projet ne vous paraît excessif et, à l'occasion, vous renchérissez même sur des propositions déjà si restrictives des droits des belligérants, que les pacifistes les plus déterminés ne les regardent pas sans une certaine appréhension. » Un des délégués lui répondit : « A quoi bon? En temps de guerre, tout ce que nous décidons ici ne servira à rien et s'écroulera de lui-même. » Nous ne garantissons pas les termes de la conversation, nous en garan- tissons le sens. La réponse allemande révèle un état d'âme. A La Haye, les Allemands signaient tout ce qu'on voulait, parce qu'ils avaient l'intention de ne rien tenir. Ils trompaient et mettaient en état d'infério- rité les co-contractants en leur laissant croire qu'ils observeraient les conventions. Ils risquaient d'avoir le bénéfice d'accords qu'eux-mêmes se proposaient de violer. Leur littérature militaire enseigne, du reste, que le droit international réglementant les usages de guerre n'est pas un véritable droit, puisqu'il est sans sanc- tion ou, mieux, n'a d'autre sanction que la crainte des représailles que l'adversaire pourrait exercer. Or, av»x mois d'août et de septembre 1914, l'Allemagne ne craignait pas de représailles, puisqu'elle escomptait la victoire complète endéans les deux mois : du côté occidental, d'ailleurs, la parcelle occupée de son territoire était insignifiante, et le sang français qui coule dans les veines de l'Alsacien interdisait à l'occupant toute — i58 — pensée de vengeance. Selon sa théorie, elle avait donc le droit de tout faire, et elle s'en est abondamment servi. A dater de la retraite de la Marne, depuis que la guerre traîne en longueur et que la décision finale paraît devoir lui être défavorable, elle commence à craindre des représailles, elle se comporte dans notre pays avec plus de modération et invoque même parfois les traités qu'elle a bafoués avec tant de cynisme au début. Mais ses crimes restent. 11 lui faut se défendre. Elle commet alors son Livre Blanc, où elle montre dans la pratique du mensonge et de la calomnie la même virtuosité que dans la pratique du pillage, de l'in- cendie et de l'assassinat. « Des hommes de toutes les professions, des travailleurs, des fabricants, des méde- cins, des professeurs, même des ecclésiastiques, oui même des femmes et des enfants ont été saisis les armes à la main. Dans les régions d'où les troupes régulières s'étaient retirées depuis longtemps, on a tiré des maisons et des jardins, des toits et des caves, des champs et des forêts sur les troupes allemandes. Dans ces combats, on s'est servi de moyens que n'emploient certainement pas les troupes régulières, d'armes et de munitions de chasse, de vieux revolvers et de vieux pistolets. Aussi, nombreux furent les hommes blessés avec des plombs de chasse, échaudés avec du goudron en fusion ou avec de l'eau bouillante (p. 2). « Enfin, il n'est pas douteux que des blessés allemands n'aient été dépouillés et tués par la popu- lation belge et aussi cruellement mutilés, ni que même des femmes et des jeunes filles n'aient participé à ces exploits honteux. Des blessés allemands ont eu les yeux crevés, le nez, les oreilles, les doigts et les parties sexuelles arrachées, le corps fendu. Dans d'autres cas, des soldats allemands ont été empoisonnés, pendus à des arbres, arrosés de liquides brûlants ou grillés, si bien qu'ils ont souffert une mort atroce » (p. 4). C'est trop fort. La note est visiblement exagérée. Il manque cependant quelque détail encore. Il eut fallu ajouter que des vieillards de 80 ans, perclus de rhumatisme, et des nourrissons à la mamelle, oui même des nourrissons à la mamelle, avaient eu l'audace de tirer sur les soldats allemands : car, à Louvain et à Dinant, des vieillards de 80 ans, des enfants de 2 ans, de 6 mois et même un bébé de 3 semaines ont été fusillés, comme francs-tireurs, par les guerriers prussiens. Quand on lit ces accusations formelles émises avec une si tranquille assurance et qu'on se reporte aux témoignages invoqués à leur appui, on est stupéfait de la disproportion entre les preuves alléguées et le caractère précis du réquisitoire. Un témoin déclare avoir entendu dire...; celui-ci a appris d'un camarade...; un autre a vu un cadavre de soldat allemand ayant le ventre ouvert et en a déduit que c'était l'œuvre d'un civil...; celui-là, comme Grùner, à Louvain, invente de toutes pièces un récit manifestement faux... Tous ces témoignages sont d'ailleurs unilatéraux, ils émanent tous sans exception de soldats allemands. Pas un citoyen belge, pas un ressortissant d'Etat neutre, pour les contrôler. Pourquoi se dérober à l'instruction con- tradictoire du procès ? Enfin, quelles invraisemblances et quelles contradictions! Les Allemands se vantent d'être restes maîtres de tous les champs de bataille dans notre pays. Dès lors, voit-on nos jeunes filles parcourir ces champs de bataille dont les Allemands ont la maîtrise, pour crever les yeux aux blessés et leur arracher les parties sexuelles ? Ce sont nos blessés qui tombent dans les lignes allemandes et non les blessés allemands dans les lignes belges : si un système général et organisé de cruautés est possible, c'est de la part des Alle- mands sur les Belges et non des Belges sur les Allemands. Quant à la légende des francs-tireurs, elle porte en elle-même sa réfutation. Qu'on parcoure la carte de Belgique et on constatera que les régions d'incendie et de massacre de la population civile coïncident toujours avec les régions de combat entre les deux armées régulières : devant Liège, autour de Namur, dans l'Entre-Sambre-et-Meuse, dans l'Ardenne méridionale, autour d'Anvers, dans le Borinage. Au contraire, là où l'armée allemande a pu passer sans résistance, en Hesbaye, dans l'Ardenne du Nord, entre Bruxelles et Mons, dans la Flandre orientale, au nord du Limbourg, il y a eu, comme partout, des réquisitions exoi- bitantes, des molestations individuelles, des actes isolés de déprédation, il n'y a eu ni incendies métho- diques, ni massacre en grand de la population civile. Puisque les francs-tireurs sont le prétexte classique des dévastations, il faut en conclure qu'ils ont été collés à l'armée régulière comme l'âme au corps, comme l'ombre au solide qui la projette. Que cela est contraire à la nature des choses! Les francs-tireurs ne sont- ils pas, par définition, des combattants qui agissent pour leur compte, isolés ou en troupe, sans chef res- ponsable, qui harcèlent l'ennemi où le soldat fait défaut? On devrait les trouver de préférence là où préci- sément l'armée allemande, par sa conduite plus régulière, avoue ne pas les avoir rencontrés. Le franc-tireur est une odieuse invention. En veut-on une preuve irrécusable? Avant la chute d'Anvers, la ville de Lierre, qui est dans l'en- ceinte de la forteresse, a été complètement évacuée par la population civile. Plus tard, l'armée anglo-belge s'en retire à son tour. C'est dans une ville déserte que les Allemands font leur entrée. Ils y incendient les maisons les plus cossues, le tiers de la cité; six églises et chapelles sont réduites en cendres ou irrémédia- blement compromises et, parmi elles, la chapelle S.S. Pierre et Paul, qui était peut-être, en Belgique, le plus ancien monument d'architecture romane. Où étaient à Lierre les francs-tireurs? Quel prétexte allè- gue-t-on pour excuser la destruction de cette ville de plus de 25,000 habitants? Qui est pris, dans un cas, en flagrant délit de mensonge ne mérite pas d'être cru dans les autres cas analogues. Nul ne croira à la révolte ni aux francs-tireurs de Louvain. # S'il restait quelque doute dans l'esprit de qui que ce soit, voici qui achèvera de le ruiner. Le 27 sep- tembre 191 4, le sénateur Ch. Magnette, grand-maître de la franc-maçonnerie belge, a proposé aux neuf — i5g — grandes loges allemandes « de vouloir bien constituer une commission d'enquête qui parcourra les régions où s'est déroulée et où se poursuit la guerre et qui, en s'entourant de tous les renseignements utiles, dres- sera un rapport de ces constatations. Cette commission se composerait de délégués de grandes loges appar- tenant à des pays neutres, par exemple, un frère hollandais, un suisse et un italien, et naturellement il s'y trouverait un maçon allemand et un maçon belge ». Sept loges n'ont pas répondu. La grande loge «l'Union» de Darmstadt a fait écrire par son scribe : « La commission dont vous avez suggéré la création tombe de soi-même. J'ai la plus ferme confiance dans nos armées, et la conviction qu'elles mènent humainement la guerre scélérate dirigée contre nous » (7 octobre 1914). La grande loge « Au soleil » de Bayreuth décline pareillement, et son rédacteur termine sa lettre ainsi : « Malgré mon vœu le plus vif, le plus sincère que nos troupes puissent rester animées d'humanité et d'équité dans les pires situations et prouver au pays ennemi que la culture allemande a jeté des racines saintes dans toutes les couches de notre peuple, je mets en garde contre la recommandation à nos troupes dans les temps actuels de sensibilité et de bonté de cœur. L'attitude et la conduite perfides de nos ennemis ne le méritent vraiment pas » (8 octobre 1914). Le 20 janvier 191 5, le « Kreischef » de Malines, comte Wengersky, ayant sollicité, par lettre, du car- dinal Mercier des renseignements sur les prêtres qui auraient été tués, quoique innocents, dans son diocèse, et ayant manifesté l'intention d'ouvrir une enquête, Son Eminence lui répondit le 24 janvier : « Il est essentiel que les résultats de cette enquête apparaissent à tous avec une indiscutable autorité. A cet effet, j'ai l'honneur de vous proposer, Monsieur le comte, et de proposer, par votre obligeante entremise, aux autorités allemandes, que la commission d'enquête soit composée en parties égales de délégués allemands et de magistrats belges, et qu'elle soit présidée par le représentant d'un Etat neutre. Je me plais à penser que S. E. M. le Ministre des Etats-Unis ne refuserait pas d'accepter cette présidence ou de la confier à un délégué de son choix. Agréez... » Cette proposition d'enquête bilatérale, menée avec toutes les garanties d'impartialité, n'a pas été accueillie. Elle a été reprise le 10 avril 1915 par l'évêque de Namur, et elle est pareillement restée sans suite. Puis, c'est l'épiscopat belge tout entier qui est en instance auprès de l'épis= copat allemand pour qu'il s'emploie à la faire aboutir, et l'épiscopat allemand se tait. Toujours le même système : l'Allemagne fuit la lumière. Cette attitude la condamne : Onrnis enim, qui maie agit, odit lucem (S* Jean, III, 20). Quiconque fait mal, hait la lumière. A notre tour, nous proposons pour Louvain une commission d'enquête composée de la façon indiquée par le cardinal Mercier. Devant cette commission, nous ouvrirons nos dossiers, nous produirons nos témoins, nous mettrons des noms de personnes sur tous les faits de barbarie que nous avons dénoncés. NECROLOGE La liste comprend les noms : i° des civils assassinés sur le territoire de l'agglomération de Louvain; 2° des civils de l'agglomération de Louvain assassinés hors de ce territoire, pour autant que les corps ont pu être identifiés. Une note indique le lieu de l'assassinat des victimes de cette catégorie. Il n'est pas fait mention des inconnus, des disparus, des blessés. L'agglomération est conventionnellement limitée aux communes de Louvain, Corbeek-Loo, Hérent, Héverlé, Kessel-Loo. Les noms imprimés en caractères gras sont ceux des victimes de moins de 18 ans. Des tableaux de répartition des victimes d'après leur sexe et leur âge se trouvent au chapitre V. Noms. Prénoms 1 Ackermans, Guillaume, 2 Armée (sujet holland"), Charles, 3 Artois, Pierre, 4 Barthels, Louis, 5 Beusen, Martin, 6 Bicquet, Edgard, 7 Boelaert, Franz, 8 Boghe, Jules, 9 Boogaerts, A lois, 10 Boon, François, 11 Boschmans, Joseph, 12 Bosmans, Pierre, 13 Breedenraedt, Pierre, 14 Brouwers, Pierre, 15 Bruyninckx-Marien, Alida, 16 Bullekens, Augustin, 17 Bullekens, François, 18 Bullekens, Louis, 19 Caels (2), Henri, 20 Caels, Victor, 21 Candries, Oscar, 22 Carette (3), Robert, 23 Chrétien, Gabriel, 24 Claes, Célestine, 25 Clevenbergh, Adolphe, 26 Goessens, Joseph, 27 Coopmans, Martin, 28 Crab, Jean-Bapt. 29 Crab, Joseph, 30 Danckers (4), Pierre, 31 David-Fischbach, Léon, 32 David-Fischbach, Pierre, 33 De Becker, Edgard, 34 Decorde, Fernand, 35 Decoster, 36 Deflandre, Camille, 37 Deflandre, Camille, (1) Résidence habituelle : Louvain. (2) Simple d'esprit. (3) Fusillé à Aerschot. (4) Tué à Lubbeek. Profession. Domicile. Age. Contre-maître, Kessel-Loo, 40 ans Coiffeur, Louvain, 45 » Cultivateur, Hérent, 38 » Manœuvre, Kessel-Loo, 35 » Colporteur, Kessel-Loo, 49 » Brasseur, Boortmeerbeek, 59 » Chauffeur d'usine, Kessel-Loo, 51 » Boucher, Héverlé, 39 » Facteur des postes, Louvain, 54 » Cultivateur, Lubbeek, 26 » Etudiant en médecine, Thielt (1), 23 » Garde-Convoi, Héverlé, 45 » Soutireur de vin, Louvain, 48 » Chauffeur d'usine, Kessel-Loo, 61 » Ménagère, Aerschot, 26 » Ouvrier, Kessel-Loo, 25 » Ouvrier, Kessel-Loo, 29 » Ouvrier, Kessel-Loo, 56 » Hérent, 48 » Cordonnier, Hérent, 57 » Hôtelier, Louvain, 36 » Prêtre, professeur au col- lège Saint-Pierre, Louvain, 38 » Chef-mécanicien, Louvain, 55 » Institutrice, Aerschot, 19 » Machiniste, Kessel-Loo, 38 » Employé, Schaerbeek, 22 » Boucher, Louvain, 29 » Peintre, Louvain, 60 » Ouvrier, Louvain, 32 » Journalier, Kessel-Loo, 43 » Rentier, Louvain, 42 » Rentier, Louvain, 82 » Avocat, secrétaire du Mi- nistre du Travail, Louvain, 47 » Ouvrier, Kessel-Loo, 20 » Négociant, Louvain, 42 » Etud* en médecine, Louvain, 19 » Sous-chef de station, Louvain, 56 » — i6i — Noms. Prénoms. 38 Degoyen, Louis, 39 Degoyen, Théophile, 40 De Koninck, Victor, 41 Delcon, Joseph, 42 De Meyer, Arthur, 43 De Rauw, Alphonse, 44 Desmedt, Joseph, 45 Devos, Augustin, 46 Devroey, Eugène, 47 Devroey Louis, 48 Devroey, Edouard, 49 Devijver, Jean, 50 Devijver-Coquette, Marie, 51 De Werdt, Jean, 52 De Wever, Arthur, 53 Dierickx, Pierre, 54 Dubrulle, David, 55 Dubrulle-Roodhans, Marie, 56 Duchateau, Pierre, 57 Ducuroir, Ghislain, 58 Dufresne, Charles, 59 Dupierreux (1), Eugène, 60 Eikhorn, Pierre, 61 Feyaerts, Ida, 62 Feyaerts, Marie, 63 Fisenne, Victor, 64 Forger (2), Félix, 65 Freché, François, 66 Gilson, Paul, 67 Goemans, Louise, 68 Goossens, Henri, 69 Goris, Jean-Baptiste, 70 Goris, Joseph, 71 Heerenaer, Louis, 72 Hooghe, Alphonse, 73 Hugaerts, Jean-Baptiste, 74 Jacobs, Louis, 75 Janssens, Gérard, 76 Janssens, Gustave, 77 Janssens, Philippe, 78 Janssens, René, 79 Jespers, Bartholomé, 80 Kestens, Emile, 81 Kestens, Frédéric, 82 Keustermans, Constant, 83 Knaepen, Marcellin, 84 Laboubée, Blanche, 85 Laboubée, Jean, 86 Lafili, Auguste, 87 Lammens, Joseph, 88 Lefèvre, Achille, 89 Lenaerts, Auguste, 90 Lenertz, Vincent, 91 Lens, Louis, 92 Leynen, Louis, 93 Ljntermans, Adolphe, 94 Lombaerts, Engelbert, 95 Mahy, Adolphe, (1) Tué à Tervueren. (2) Frère AUard, Profession. Cultivateur, Cultivateur, Cultivateur, Marchand, Fondeur, Ouvrier, Ouvrier, Cultivateur, Cultivateur, Ouvrier, Cordonnier, Ménagère, Ouvrier, Menuisier, Forgeron, Droguiste, Ménagère, Hôtelier, Cabaretier, Journalier, Père Jésuite, Major pensionné, Journalière, Ouvrier, Religieux Joséphite, Peintre, Rentier, Rentière, Charron, Ancien ouvrier, Huissier, Fondeur, Ouvrier, Cultivateur, Cabaretier, Menuisier, Cultivateur, Meunier, Charretier, Journalier, Ouvrier pensionné, Briquetier, Ouvrier brasseur, Hôtellière, Hôtelier, Garçon de café, Professeur, Ajusteur, Sans profession, Architecte, chef des travaux graphiques à l'Université, Louvain, Maçon, Hérent, Corbeek-Loo, Boucher, Kessel-Loo, Curé à Boven-Loo, Kessel-Loo, Pensionné, Louvain, Domicile. Hérent, Hérent, Hérent, Louvain, Hérent, Hérent, Louvain, Kessel-Loo, Kessel-Loo, Kessel-Loo, Kessel-Loo, Louvain, Louvain, Kessel-Loo, Héverlé, Kessel-Loo, Louvain, - Louvain, Louvain, Louvain, Louvain, Louvain, Louvain, Heverlé, Héverlé, Nodebais, Louvain, Louvain, Louvain, Louvain, Hérent, Corbeek-Loo, Winghe-S'Georg' Louvain, Hérent, Héverlé, Aerschot, Louvain, Louvain, Hérent, Kessel-Loo, Hérent, Corbeek-Loo, Corbeek-Loo, Kessel-Loo, Corbeek-Loo, Louvain, Louvain, Louvain, Kessel-Loo, Louvain, Louvain, Age. 60 » 22 » 23 » 5i » 18 mois. 46 ans. 58 » 60 » 43 » 54 » 32 » 25 » 25 » 19 » 44 » 58 »» 32 » 34 » 40 » 36 » 35 » 23 » 60 » 12 » 40 » 45 » 63 » 49 » 47 » 81 » 57 » 71 » ', 20 » 52 » ? » 34 >' 39 » 28 » 30 » 48 » 20 » 42 « 15 » 7i )> 19 » 38 >> 27 » 51 » 14 » 52 » 36 » 56 » 50 » 54 » 16 » 36 » 53 » 72 » 11 162 Noms. Prénoms. Profession. Domicile. Age 96 Mahy, Jean, Marchand de fromage, Kessel-Loo, 43 » 97 Malevé (1), Joseph, Boucher, Hérent, 50 » 98 Marteau, Pierre, Ouvrier, Kessel-Loo, 48 » 99 Meeus, Fernand, Electricien, Kessel-Loo, 33 » 100 Meeus, Jules, Kessel-Loo, 4 » 101 Mertens, Charles, Cultivateur, Haecht, 36 » 102 Michiels, Léon, Ouvrier, Louvain, 38 » 103 Munkemers, Karl (Sujet allemand), Menuisier, Kessel-Loo, 29 » 104 Munters, Guillaume, Ouvrier, Kessel-Loo, 4i » 105 Ons, Jan, Journalier, Kessel-Loo, 49 » 106 Onzen, Rosalie, Ménagère, Hérent, 55 » 107 Oversteyns, Guillaume, Ouvrier briquetier, Corbeek-Loo, 18 » 108 Pardon, Pierre, Tourneur, Louvain, 36 » 109 Peeters, Jacques, Ouvrier agricole, Corbeek-Loo, 58 » 110 Peeters, Marie Th., Ménagère, Weert-S'Georg", 25 » m Pelgrims, Jean, Cultivateur, Kessel-Loo, 17 » 112 Pelgrims, Louis, Cultivateur, Kessel-Loo, 59 » 113 Périlleux, Julienne, Louvain, 63 » 114 Pierco, Jean, Ouvrier, Hérent, 54 » 115 Poels, Félix, Barbier, Louvain, 88 » 116 Puelinckx, Marie, Kessel-Loo, 12 » 117 Rans, Edouard, Marchand de bestiaux, Hérent, 40 » 118 Rau (sujet holland.), Pierre, Forain, Oss (Hollande), 22 » 119 Ravoet, François, Jardinier, Corbeek-Loo, 38 » 120 Raymon, Marie, Louvain, 73 » 121 Respen, Elisabeth, Ménagère, Louvain, 39 » 122 Respen, Franz, Manœuvre, Louvain, 43 » 123 Respen, Marie, Louvain, 17 » 124 Respen, Philomène, Louvain, 11 » 125 Rodaer, Armand, Plafonneur, Héverlé, 40 » 126 Romain, Christian, Hôtelier, Louvain, 58 » 127 Ruelens, Guillaume, Ouvrier, Kessel-Loo, 21 » 128 Ruelens, Pierre, Cultivateur, Kessel-Loo, 19 » 129 Ruttens, Joseph, Boutiquier, Louvain, 82 » 130 Scheepmans, Karl, Journalier, Kessel-Loo, 38 » 131 Schepmans, Vital, Cultivateur, Corbeek-Loo, 40 » 132 Schoovaerts, Louis, Contrôleur de tramways, Kessel-Loo, 53 » 133 Schrevens, Pierre, Ouvrier, Kessel-Loo, 4i » 134 Selfslagh, Joseph, Garde-champêtre, Hérent, 57 » 135 Selleslaghs, Pierre, Batelier, Louvain, 68 » 136 Smeermond, Charles, Boutiquier, Louvain, 58 » 137 Smets, Jean, Ardoisier , Louvain, 45 » 138 Socquet, Désiré, Ouvrier, Kessel-Loo, 64 » 139 Soetewege (2), Félix, Employé, Kessel-Loo, 34 » 140 Sombroek (3), Vincent, Religieux conventuel, Louvain, 45 » 141 Sterckx, André, Boutiquier, Louvain, 59 » 142 Sterckx, Marie, Louvain, 20 » 143 Sterckx, Elisabeth, Louvain, 62 » 144 Stratman (4), André, Religieux Joséphite, Louvain, 42 » (Sujet allemand), 145 Swevers, Pierre, Ouvrier, Kessel-Loo, 54 » 146 Symons, Albert, Md de pommes de terre, Louvain, 52 M 147 Symons, Guillaume, Ebéniste, Louvain, 25 » 148 Symons, Philippine, Louvain, 63 » 1 49 Terclavers-Scheepmans, Virginie, Ménagère, Corbeek-Loo, 73 » 150 Terclavers, Henri, Ouvrier agricole, Corbeek-Loo, 74 » 151 Thiery, Paul, Ingénieur, Kessel-Loo, 25 )) 152 Tilman, Georges, Ouvrier, Kessel-Loo, 34 » (1) Tué à Soltau. (2) Tué à Munsterlager. (3) Père Vincent, tué à Bueken, sujet Hollandais. (4) Frère Sébastien. i63 Noms. 153 Tossyn, 154 Tré, 155 Utsol, 156 Valkenaers, 157 Van Aerschot, 158 Van Aerschot, 159 Van Bellinghen, 160 Van Billoen, 161 Van Bladel, 162 Van Buyten, 163 Van Cackenberg, 164 Van de Broeck, i65 Van de Broeck-Terclavers, 166 Van de Broeck-Terclavers, 167 Vanden Bak, 168 Vanden Bosch, 169 Vanden Bosch, 170 Vanden Broeck, 171 Vanden Eynde, 172 Vander Hulst, 173 Vander Look, 174 Vander Meeren, 175 Vander Mosten, 176 Vanderstraeten, 177 Vander Willighen, 178 Vande Venne, 179 Van Dijck, 180. Van Emelen, 181 Van Ermen, 182 Van Ertryck, 183 Van Ertryck, 184 Van Eylen, 185 Van Groenderbeek, 186 Van Hentenryck, 187 Van Hentenryck, 188 Van Holmen, 189 Van Humbeek, 190 Van Krieken, 191 Van Meerbeek, 192 Van Rillaer, 193 Van Steenberghe, 194 Verbruggen, 195 Verhaegen, 196 Verleysen, 197 Verlinden, 198 Verstraeten, 199 Veuchelen, 200 Vivet (1), 201 Vleugels, 202 Vols, 203 Vranckx, 204 Vranckx, 205 Weets, 206 Winnepenninckx, 207 Winterberg, 208 Wouters, 209 Wouters, 210 Wouters, 9 cadavres (8 à Louvain et 1 à Corbeek-Loo) n'ont pu être identifiés; 7 personnes ont disparu. Prénoms. Proffession. Domicile. Age. François, Ouvrier de fabrique, Corbeek-Loo, 49 » Jean, Ouvrier, Louvain, 64 » Louis, Cultivateur, Hérent, 55 » Vital, Typographe, Louvain, 57 » Louis, Cultivateur, Hérent, 42 » Prosper, Cultivateur, Hérent, 45 » Emile, Fondeur, Hérent, 20 » Victor, Sous-chef de station, Louvain, 52 » Hippolyte, Curé, Hérent, 72 » François, Mouleur en fer, Louvain, 31 » Karl, Ouvrier, Gand, 33 » Augusta, Corbeek-Loo, 17 » Joséphine, Ménagère, Corbeek-Loo, 48 )> Louis, Ouvrier de fabrique, Corbeek-Loo, 46 » Pierre, Ouvrier briquetier, Corbeek-Loo, 16 » Frans-Pieter, Cultivateur, Kessel-Loo, 19 » Franz-Pieter, Visiteur de machine, Kessel-Loo, 55 » Joseph, Cultivateur, Hérent, 44 » Théophile, Marchand de porcs, Kessel-Loo, 30 » Gustave, Charretier, Kessel-Loo, 31 » Louis, Ouvrier, Kessel-Loo, 53 » Joseph, Dessinateur, Kessel-Loo, 38 » Pierre, Domestique, Louvain, 61 » Franz, Cordonnier, Hérent, 57 » Henri, Charron, Louvain, 69 » Alphonse, Garçon de café, Louvain, 20 » Joseph, Laitier, Hérent, 36 » Jean, Hérent, 6 mois. Jean, Domestique, Hérent, 24 ans. Edouard, Commerçant, Louvain, 25 » François, Commerçant, Louvain, 60 » Félix, Ouvrier, Kessel-Loo, 23 » Pierre, Ouvrier, Kessel-Loo, 67 » Jules, Cigarier, Kessel-Loo, 25 » Victor, Boulanger, Louvain, 34 » Maximin, Capucin, Hérenthals, 35 » Fernand, Employé, Bruxelles, 19 » Ambroise, Ouvrier agricole, Thildonck, 23 » Edouard, Ouvrier, Kessel-Loo, 22 » Camille, Cultivateur, Hérent, 20 » Pierre, Ingénieur, Kessel-Loo, 36 )> Joseph, Domestique, Corbeek-Loo, 42 » Jules, Antiquaire, Louvain, 53 » Marie-Pauline, Louvain, 28 » Joseph, Ajusteur, Louvain, 54 » Charles, Gardien de prison, Kessel-Loo, 43 » Alphonse, Jardinier, Hérent, 25 » Jean, Religieux enseignant, Kessel-Loo, 22 » Jean, Ouvrier, Louvain, 19 » Victor, Cuisinier, Louvain, 52 » Henri, Ouvrier agricole, Kessel-Loo, 65 » Armand, Ouvrier agricole, Kessel-Loo, 16 » Louis, Manœuvre, Kessel-Loo, 36 H Gustave, Ouvrier briquetier, Corbeek-Loo, 32 )) Anne, Colporteuse, Clèves, 64 » Auguste, Briquetier, Corbeek-Loo, 41 » Charles, Fondeur, Kessel-Loo, 19 » Désiré, Fondeur, Kessel-Loo, 19 )) (1) Frère Candide, des Frèreî de la Miséricorde. ADDENDUM Condamnation, pour tentative d'extorsion de fonds, du conseiller de justice Dr Ivers, qui présida les SÉANCES DU TRIBUNAL D'ENQUÊTE ALLEMAND AU COURS DESQUELLES FURENT ENTENDUES LES DÉPOSITIONS FAISANT L'OBJET DES ANNEXES I A 14 DU CHAPITRE RELATIF AU (( SOULÈVEMENT POPULAIRE» DE LOUVAIN, du LIVRE BLANC allemand du io mai 191 5. Ainsi qu'il a été exposé dans les Mémoires reproduits ci-dessus, l'enquête judiciaire ordonnée par le Gouverneur général de la Belgique occupée, le feldmaréchal von der Goltz, à l'effet d'établir « si et à quels militaires allemands une responsabilité punissable pouvait être imputée dans l'incendie de la ville de Lou- vain », a été complètement unilatérale. Aucun Belge, ni même aucun neutre, n'a été admis à en suivre les travaux. Des témoins belges interrogés, parmi lesquels se trouvaient les principales notabilités de la ville, un seul, le professeur Lemaire, a vu sa déposition reproduite dans le Livre Blanc (voir pages 7, 8, 9, 72. 153)- On était sans informations jusqu'ici au sujet des capacités et de la valeur morale du Dr Ivers, auquel fut confiée la direction, pendant le mois de septembre 1914, de cette enquête. Un jugement rendu le 29 novembre 1916 par la 7me chambre correctionnelle du tribunal régional I de Berlin a jeté une vive lumière sur ce point : le personnage en question, avocat de la femme d'un militaire en campagne, s'est vu condamner, en effet, à 9 mois de prison pour tentative d'extorsion de fonds au préjudice de la mère de ce militaire. « On se serait attendu », écrit à propos des enquêtes allemandes en Belgique en général, dans un article signé « Batavus », la revue catholique hollandaise Van Onzcn Tijd (n° 34, du 26 mai 191 7), « qu'en considération de la grande importance de l'affaire ainsi que de la difficulté d'un examen réellement objec- tif, le Gouvernement allemand aurait veillé avec le plus grand soin à ne charger des investigations que les fonctionnaires les plus capables et les plus intègres (onkreukbar). Ne s'agissait-il pas de l'honneur de l'armée allemande et de celui du peuple allemand, qui avait pris unanimement parti pour son armée? » L'auteur de l'article émet, en outre, l'opinion que, bien au contraire, le Gouvernement allemand a mani- festement traité cette affaire « en bagatelle », ne se rendant pas compte du sérieux de l'accusation ni des conséquences qu'elle peut avoir pour l'avenir du peuple allemand et pour ses rapports avec les autres peuples. Il n'y a pas lieu de faire connaître ici les particularités du procès intenté au Dr Ivers; les journaux allemands les ont exposées longuement (1). Il suffit de savoir que c'est le même Dr Ivers (2) — Feldkriegsgerichtsrat (conseiller de conseil de guerre de campagne), en tant que militaire, et Justizrat (conseiller de justice) dans la vie civile — qui reçut à Louvain, les 17, 18 et 23 septembre 1914, les dépositions, en majorité très importantes, consignées dans les annexes 3 à 14 du Livre Blanc; il se transporta ensuite à Noyon (France), pour y entendre, le 27 sep- tembre 1914, le témoin du grade le plus élevé, le général von Boehn, commadant du IXe corps d'armée de fi) Voir, notamment, le Tag de Berlin, nos 605, 606, 608, 610 et 612, Ite Berliner TageMatt, n°B 605, 606, 608, 610, 611, 612, et 613 et le V orwaerts de Berlin, n08 325, 327, 328 et 32g, tous datés du ?■; au 30 novembre 1916. Voir aussi, pour plus de détails, la note n° 196 du Bureau Documentaire Belge, établi au Havre, rue des Gobelins, n° 52. (2) Les comptes-rendus des journaux allemands font connaître le prénom — Franz — du Dr Ivers, tandis que les procès-verbaux de dépositions publiés dans le Livre Blanc ne mentionnent que son nom de famille. Les indications positives données par la presse allemande concernant les fonctions de justice militaire exercées en Belgique par le condamné de Berlin excluent, cependant, tout doute au sujet de l'identité entre celui-ci et le fonctionnaire qui dirigea une grande partie de l'enquête judiciaire allemande a Louvain. Au surplus, aucun démenti n'a été opposé a l'article de la Revue Van Onzen Tijd qui, publié l'e 26 mai 1917, a été relevé par la presse hollandaise, et, à la suite de celle-ci, par les journaux du monde entier. — i65 — réserve (annexe i), ainsi que le major von Klewitz, officier d'état-major du même corps (annexe 2), qui n'avaient fait qu'un très court séjour à Louvain. Ivers reçut sans doute d'autres dépositions encore — notamment celles d'habitants de Louvain (voir page 153) — dont les procès- verbaux ne sont pas repro- duits dans le Livre Blanc (i). Le Feldkriegsgerichtsrat Ivers constituait en cette circonstance, en qualité de juge, et peut-être de juge unique, le « Tribunal du Gouvernement général de Bruxelles », procédant à l'enquête. Il n'était assisté, semble-t-il, à Louvain, que du secrétaire de conseil de guerre Rambeau et, à Noyon, du secrétaire de conseil de guerre Reisener. Il se peut, à la vérité, que d'autres militaires aient siégé aux côtés d'Ivers; cependant, les seuls noms figurant en tête et à la fin des quatorze dépositions reçues par lui et consignées dans le Livre Blanc sont le sien et celui de l'un ou de l'autre des deux greffiers susnommés. Les fonctions dont était investi le Dr Ivers étaient donc importantes; elles requéraient des qualités d'intelligence et surtout de caractère. Dans l'enquête purement unilatérale dont il s'agit, le juge se trouvait en effet, par surcroît, uni à l'une des parties par des préventions communes contre l'autre. Le jugement rendu à Berlin montre qu'Ivers ne possédait pas les aptitudes désirables. Ce jugement, qui admet la responsabilité de l'accusé, déclare, entre autres, que celui-ci a procédé d'une manière dont le tribunal ne connaît, heureusement, que peu d'exemples; qu'il a foulé aux pieds, pour s'enrichir, les fonc- tions sacrées dont il est investi pour servir la justice; qu'il n'est pas homme entier (Vollmensch), mais qu'il est atteint de vices et de défauts qui rendent difficile pour lui la résistance morale. Ses bons antécédents et son activité pour la patrie ont été pris en considération pour la fixation de la peine. ' D'après l'avis du représentant du ministère public, on se trouve en présence d'une tentative de chan- tage de la pire espèce. L'accusé aurait agi d'une manière qu'en termes modérés, on peut qualifier de métho- diquement artificieuse (systematisch raffiniert), dans le but de se procurer, au moyen d'une lettre qui est certainement le document le plus étonnant (merkwurdig) qu'ait jamais écrit un conseiller de justice prus- sien, un avantage pécuniaire personnel. Pour la mesure de la peine, il convient de prendre en considéra- tion que l'accusé est avocat et qu'il a abusé de la manière la plus grossière de l'amour maternel et de la foi catholique. C'est un homme auquel font défaut les freins intérieurs (Hemmungen) qui existent chez les gens convenables. Au cours des débats, un témoin qui, à la demande d'Ivers, avait été adjoint à celui-ci pour l'aider dans son travail, déclara que le Dr Ivers avait présidé en Belgique plusieurs conseils de guerre et qu'il avait rendu dans ce pays et en France de si grands services à la patrie que le feldmaréchal von der Goltz lui avait adressé une lettre exprimant sa satisfaction. Le témoin assure qu'en considération de l'impor- tance de sa tâche, Ivers s'efforçait de réprimer une certaine nervosité intérieure et qu'il apportait la plus grande conscience à rendre la justice; cependant, il était subitement en proie à de la dépression psychique, se montrait tantôt très abattu, puis d'une gaieté excessive. Le témoin rapporte aussi qu'au cours des voyages qu'il fit avec l'accusé en Belgique et en France, le Dr Ivers s'adonnait fortement à l'alcool; il était de ces gens qui ne peuvent travailler sans avoir bu. De même, après être sorti de l'armée, l'accusé manifestait, selon le même témoin, tous les symptômes de l'alcoolisme chronique. — Divers témoins ont l'impression qu'Ivers n'était pas, à l'époque où se passèrent les faits sur lesquels la plainte est basée, tout à fait « normal ». — Un autre témoin, la mère de son ex-cliente, rapporte qu'Ivers lui avait, à plusieurs reprise, rendu visite dans un état d'ébriété tel qu'il ne pouvait plus s'en retourner. L'accusé allègue comme excuse une maladie des veux — réelle d'ailleurs — qui le faisait cruellement souffrir depuis des années. C'est pour s'étourdir qu'il aurait eu recours à l'alcool, à la morphine et au véronal. Le défenseur d'Ivers avait réclamé l'acquittement de son client, celui-ci n'avant pas eu, par manque de sens moral (aus M an gel an sittlichem Empfinden), \p sentiment 'de 'ce qui est contraire au droit et n'ayant pas été capable de se rendre compte que sa manière d'ag-ir constituait du chantage et était absolu- ment inadmissible (Berliner Tageblatt du 30 novembre iqi6, n° 613, I. Beiblatt). « C'est à un homme pareil », ainsi conclut l'article signalé plus haut de la revue Van Onsen Tijd, nue fut confiée la direction de nombreux débats devant des conseils de guerre en Belgique et en France, ainsi que l'enquête à Louvain. En entendant le tribunal déclarer dans son jugement que, pour la mesure de la peine, compte a été tenu à Ivers de son activité pour la patrie, qui ne frémit en songeant au sort des pauvres Belges dont le jugement d'un homme semblable a eu à décider? » Le Havre, le 26 juillet iQTf. (i) Les dépositions et documents formant l'objet des annexes 15 à 50 du chapitre relatif à Louvain du Livre Blanc ont été recueillis, à quelques exceptions près, de novembre 1914 à mars 1915, dans d'autres localités belges, françaises ou allemandes. D *" *-»V/0 Vlguilljuiiuiia UU l.UIIIU!Ut1 , 1 T- »~ 1 -i T— --j y- »yi t j. OL, § 7- — La commission d'enquête belge et le Livre Blanc 4o Invasion allemande en Belgique ( août- septembre Lo.14 ) Lignes d'invasion principales des armées allemandes . Armée Von Kluck . Armée Von Bulow. Armée Von Hausen. Armée Duc de Wurtemberg . Armée Kronprinz Impérial '. /Positions allemandes devant Anvers et Namur . ffâm>AtxpapA»atk Emplacements des troupes belges . Front extrême des armées franco britanniques en Belgique Régions de rencontres des armées ennemies, gui sont en même temps des régions dincend ie . de pillacre et de massacre de la population civile.. (Les Ues/rJictuxis doits tu province de-lafla>idi>e Occidentale-, nolatnmenl dans la régime de l'iser n ont commen eê. (fit. en odaor^ lgJ4.otif.mul- admel/j-e cfu'elies Sont dues A iv ' X" — N JH Anvers (À»tiirt5 «Lierre ':ïîWZ4 H s ' jHestecloo ..•••*' u \ — ^ ] Rureinondf? Maese^-ek/ '/leni .Mal mes L I M B O U RG '^Z^^rû^l^n^st' -LlJ "" ,Hasselt f Ikrvnl. VKessetitur Jk&uiiadftMtm Jl) ■DroopySoet -4feW S! Gcujcs JUnÀt-iteek ( ' /fTfiHupierdé, ^)\ Nodebais fj) • ! t\ J3 _/\_ <$.( jVT rT^ M] Jgnsmecuts'i 0Ui4pues | Çenout&MimffyJ ) .... : 1-7 \ ^ X \, ..''' Gemblouoc ; Hel1^' S ....'■'' k*>?7f . ■' SeiUes-**"3 Huv Andenne :../—.. '. itnackciil.' Bûs [ d MaESTRICHT S ^ Trcmd \ V , 7bnyre.S . \ ) AlX- LA CHAPELLE s.-""~\ --\ _-w. 7.,,rA,. l^ % ; / ...- •- ^ / 'Wm^'. ."•■••■' o Waremn ie A BttrcJuHV -Fte™> ' /T Verviers ^ E Uumei «• "* Charleroi 'vTamines' Namur ^Maifnaifj' slAinUeve' •onUtrg j* ^ I Soi 0 / 'X V y Philipjjftville DurLuv .Slavelot \ I ,Ciney Marche 'N^.i- — — ' (iraide."\ ^*^*^ ^feziêrei S!NuberL <£> / 1 Lihfcimo*U/ I J Neufchaleau ' i . Légli&e * .Aniier "^. ) c. - , v Flnifiivillr \SXJ ■bedan ^^ ^ j,uru Etoile )^M "Aklon^ i ; AvSk. ^Luxembourg r ) S~ oVirton TABLE DES MATIERES Avertissement PREMIER MEMOIRE AVANT'PROPOS. PREMIERE PARTIE Valeur de l'enquête officielle allemande Les Allemands ont repoussé ou laissé sans suite toutes les demandes d'en- quête impartiale qui leur ont été adressées DEUXIEME PARTIE L'exposé des faits Chapitre I. — Traduction de l'exposé des faits d'après le Livre Blanc. . . 1 1 Chapitre II. — Critique de l'exposé des faits d'après le Livre Blanc. . . \k § i. — Considérations générales ik \ 2. — Du 19 au 25 août 1914 16 §3. — La journée du 25 et la nuit du 25 au 26 août 1914 18 A. — Etat de la ville 18 B. — Troupes allemandes 18 C. — Fusées et signaux 18 D. — Qui a tiré? 20 E. — Prétendues atrocités des Louvanistes 21 F. — Echauffourées de la place du Peuple 21 G. — Echauffourées de la place de la Station il\ H. — Arrestation et jugement des francs-tireurs 27 I. — Incendies 28 J. — Otages 3o § 4. — Les faits postérieurs à la nuit du 25 au 26 août 19 14 3i A. — La journée du 26 août 3i B. — La journée du 27 août 33 C. — Les journées suivantes 3/j § 5. — Les preuves du complot 35 § 6. — Les organisations du complot 38 § 7. — La commission d'enquête belge et le Livre Blanc ko — 168 — TROISIEME PARTIE Remarques Annexe i. Id. 2. Id. 3. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Td. Id. Id. Id. Id. Id. 4 5> 6, 7' 8, 9« io. ii, 12. 13- 14. 15- 16. i7- 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. Id. 25. Id. 26. 27. 28. 29. 30. 3i. 32. 33- 34- Id. 35 Id. 36. Id. 37. - 38 39 40 4i 42 43 44 Id. 45 Id. 46 47 48 49 Les dépositions des témoins générales 43 — Déposition du général von Boehn .".".' 4û — Déposition de von Klewitz, major . 48 — Déposition de von Manteuffel, major et commandant de P,lace 5o — Déposition d'Ibach, lieutenant 52 — Déposition de Grebin, juge militaire 53 — Déposition de Telemann, Oberleutnant 53 — Déposition de Schweder, Lieutenant-Colonel 54 — Dépositions de von Sandt, Oberleutnant 56 — Déposition du Dr Berghauscn 5- — Dépositions de Hùllermeier, sous-officier 60 — Déposition de Krebbers, soldat 61 — Déposition de Schmiele, Feldwebelleutnant 61 — Déposition de Kuppers, soldat 61 — Déposition de Engemann, sous-officier 62 — Déposition de Messslke, caporal 62 — Déposition de Weinen, caporal 62 — Déposition de Mainz, soldat 62 — Déposition de Bastian, caporal 63 — Déposition de Dreher. soldat 63 — Déposition de Kroeber, caporal 64 — Déposition du Dr Keuten 64 — Déposition de Fenes, sous-officier 65 — Déposition de Meschede, sous-officier de santé 66 — Déposition de Bongartz, soldat 67 — Déposition de Zander, soldat 67 — Rapport de von Zitzewitz, capitaine 68 — Déposition de Herzog, uhlan 69 — Déposition de Getzke, soldat 69 — Déposition de Dadaczynski, soldat 70 — Déposition de Sittart, membre du Reichstag 71 — Déposition du professeur Lemaire 72 — Procès-verbal de descente judiciaire 72 — Déposition de Behnke, soldat 73 — Déposition de Tosephson, capitaine 7k — Déposition de Hoos, soldat 76 — 1. Déposition d'Oldenburgf, sous-officier 76 2. Déposition de Hôhne, caporal 77 1. Déposition de Kruse. ff. d'officier 78 2. Déposition de Hilmer, Feldwebel 79 i. Déposition de Westerkamp, soldat 80 — Déposition de Oruner, conducteur d'automobile 81 — Déposition de Muesfeldt, sous-officier 84 — Déposition de Weiss, conducteur d'automobile 85 — Déposition de Dnrnman, conducteur d'automobile. ... 86 — Déposition de Hermansen, capitaine 87 — Déposition de von Vethacke, capitaine 87 — Déposition de Doerffer, Oberleutnant 88 — Déposition de Rudolpb, officier-payeur 89 — Déposition de von Esmarch, capitaine de cavalerie. ... 91 — Déposition de Schmidt, soldat 9^ — Déposition et rapport de Brandt, lieutenant 9^ — 1. Déposition de Scbaefer, capitaine 9° Déposition de Duckwitz, lieutenant 9^ Id. 50. — Plan de Louvain. 96 Conclusion 99 — 169 — DEUXIEME MEMOIRE Introduction 107 Chapitre I. — Avant la nuit du 25 août 1914 110 Chapitre II. — La nuit du 25 août 1914 n4 Chapitre III. — La journée du mercredi 26 août 1914 121 Chapitre IV. — A partir du jeudi 27 août 1914 128 Chapitre V. — Le Bilan i38 Chapitre VI. — Les explications allemandes i45 Il y avait à Louvain des soldats belges et anglais déguisés en civils . . i46 Des étudiants russes ont fomenté la révolte 1 /j6 En vue de prendre part à l'émeute, des jeunes gens accourus de tous les points du pays s'étaient cachés à Louvain 1^6 On a découvert à Louvain des dépôts d'armes et de munitions; les émeutiers se sont même servis de mitrailleuses 1 46 Il n'y avait à Louvain, dans la soirée du 25 Août, qu'une petite garni- son composée de sections de landsturm 1^7 Des fusées ont été lancées , . i48 Les victimes allemandes i48 Les civils ont tiré i5o Le clergé a tiré i5/j Chapitre VIL — La Préméditation i56 Nécrologe 160 Addendum. — Condamnation, pour tentative d'extorsion de fonds, du Dr Ivers, qui dirigea une partie de l'enquête allemande sur l'incendie de Louvain i64 J J e livre a été composé sur linotypes de la Linotype Cy Ltd, Strand, Lon- dres, par des élèves mutilés qui viennent de subir avec succès à Paris, devant un jury composé de professionnels, délégués du Syn- dicat de la Presse Parisienne, l'examen de linotypiste pouvant se conduire seul. Les clichés sortent de notre atelier d'ap- prentissage de la photogravure. L'impression s'est faite sur nos presses par les soins de nos élèves imprimeurs et le brochage du volume a été effectué par les élèves de l'atelier de reliure. _ 1-1 UNIVERSITY OF TORONTO L1BRARÏ Acme Library Card Pocket Under Pat. " Réf. Index Kile." Made by LIBRARY BUREAU 8 ■ ■ n ■ flJU I WÊ. jmJfi yOBËÊ H B* ; I